Cover Federico Fellini - Commentaires

Federico Fellini - Commentaires

Rêveur, prestidigitateur, artisan du souvenir, Fellini est parvenu invariablement – même dans ses œuvres les plus brouillonnes – à insuffler, grâce à sa virtuosité technique fascinante (qui engendre des univers photographiques envoûtants), une excentrique mélancolie qui, encore aujourd'hui, conserve ...

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6 films

créee il y a plus de 3 ans · modifiée il y a plus de 2 ans

La strada
7.6

La strada (1954)

1 h 48 min. Sortie : 11 mars 1955 (France). Drame, Road movie

Film de Federico Fellini

Émile Frève a mis 7/10.

Annotation :

Faisant partie des tout premiers films réalisés par Fellini, La Strada est une œuvre calme, discrète, mais qui ébranle inévitablement par sa terrible douceur. Issue d’une famille pauvre, Gelsomina, jeune fille naïve et sympathique, se voit mariée à l’horrible hercule de foire Zampanò et dès lors doit l’accompagner dans ses spectacles ridicules et subir ses multiples sévices. Figure rigolote et niaise rappelant par instant le personnage de Charlot, Gelsomina choque tout le monde par sa différence, y compris son mari. C’est là que Fellini parvient, au sein de son film plutôt conventionnel, à dresser un portrait d’un être totalement en marge, à faire briller la différence, à glorifier la dissemblance. Histoire toutefois cruelle, La Strada peut être perçu comme un récit d’apprentissage inversé où le bonheur du personnage implose à mesure que le film avance. Soutenue par la superbe musique de Nino Rota, l’interdépendance absolue des époux brise le cœur quand, dans une fin touchante, l’abject mari comprend qu’il a tué Gelsomina par son abandon et qu’il éclate en pleurs. La Strada, frôlant le néo-réalisme, envoûte le spectateur de sa lenteur et le chamboule doucement par cette triste épopée d’une Madame Bovary, rêvant d’un peu mieux, d’un monde un peu plus beau.

Les Nuits de Cabiria
7.9

Les Nuits de Cabiria (1957)

Le notti di Cabiria

1 h 50 min. Sortie : 16 octobre 1957 (France). Drame

Film de Federico Fellini

Émile Frève a mis 8/10.

Annotation :

Vagabonde de la nuit, chercheuse de bonheur dans la pénombre, Cabiria, héroïne assumée, ne demande que bien peu : trouver un sens à sa vie. Après s’être fait amadouer par un beau parleur qui n’en voulait qu’après son argent, la jeune femme normalement confiante perd tous ses repères : l’heure est à la remise en question. Noyée par les grands espaces et les foules trop denses, elle étouffe. À la simplicité de Cabiria s’ajoute un regard cinématographique d’une très grande humilité où les plans sont souvent composés de vide. S’émouvant pour un rien, la protagoniste, en proie à une douce souffrance, ne manque pas de séduire le spectateur par son humanité. À la beauté baroque sublime, Les Nuits de Cabiria est le mélange, brillamment mixtionné, de tous les thèmes chers à Fellini. La ridiculisation caustique de la religion, vue ici comme un divertissement des plus vulgaires, enfante de scènes oniriques où la plasticité dévoile le grandiose d’une foule en émoi. Dressant le portrait d’une société inégale par le biais du voyage de Cabiria (elle côtoie à la fois le faste et l’extrême pauvreté), Fellini reprend les concepts du néoréalisme, mais y joint un surréalisme esthétique superbe. Sous la pluie ou juxtaposée à la tristesse d’un lac, Cabiria reste cette figure noble, cette âme pure qui, finalement, comprend que de vivre, c’est déjà bien. La nuit et sa mélancolie n’auront jamais été aussi bien filmées que par Fellini.

La dolce vita
7.7

La dolce vita (1960)

2 h 54 min. Sortie : 11 mai 1960 (France). Comédie dramatique

Film de Federico Fellini

Émile Frève a mis 9/10.

Annotation :

Film aux allures carnavalesques tant il est vif et dynamique, La Dolce Vita est construit en trois chapitres distincts : la douceur de vivre, la crise existentielle, et le laisser-aller absolu. Là où La Strada était doté d’un ratio 4:3, symbole de l’encagement des personnages, le ratio de La Dolce Vita s’allonge et s'étire afin de créer de véritables fresques vivantes. Hymne à la beauté et à la joie de vivre, la première partie a un aspect très paradisiaque, tout y semble merveilleux : la vie d’acteur comme celle de journaliste et de paparazzo sont légères et sans embûches. Les problèmes ne sont toutefois pas invisibles à l’œil du spectateur. Si l’on n’en parle point, c’est parce qu’ils sont ignorés (volontairement) des protagonistes. Puis, arrivent les peurs chez Marcello, le personnage principal. Des peurs quant à sa vie d’artiste, quant à ses amours et quant à la vieillesse qui le terrifie. Marcello qui a toujours vécu de vitesse et de vacarme s’est construit une existence de mensonges et de faux-semblants pour dissimuler son appréhension d’une vie stable, emplie de silences. S’ajoute à cela une incapacité à communiquer avec les autres (représentée à l’écran par de multiples scènes où les bruits empêchent les personnages de s’entendre). Survient une ellipse qui marque un passage chez Marcello, là où avant il était toujours bien mis et en contrôle de soi, on le retrouve maintenant complètement désœuvré, ayant perdu la bataille face à ses angoisses. Réflexion sur l’amour qui se vit à différents temps (au présent et au futur) et critique virulente de la religion à une époque de déchristianisation, La Dolce Vita est une immense œuvre pour Fellini qui, par introspection, élabore un protagoniste d’une très grande profondeur.

Huit et demi
7.8

Huit et demi (1963)

Otto e mezzo

2 h 18 min. Sortie : 29 mai 1963 (France). Drame

Film de Federico Fellini

Émile Frève a mis 9/10.

Annotation :

Un homme, Guido Anselmi, suffoque dans sa voiture, incapable d’ouvrir ses fenêtres. Ce qui l’intoxique n’est toutefois pas un gaz quelconque, mais bien le poids de sa création qui pèse sur son frêle corps. Gigantesque mise en abyme, Huit et demi est à la hauteur du film que Guido, le protagoniste, tente de créer : ce sont tous les deux des ovnis vertigineux, des œuvres trop grandes pour être réelles. Condensant tous les thèmes très chers de Fellini, cette œuvre vient faire le portrait de son cinéaste à un moment où tout n’est que doute et remise en question. Louvoyant entre souvenirs d’enfance et fantasmes déraisonnables, Fellini poursuit l’introspection entamée lors de La Dolce Vita, mais la rend bien plus complète en y consacrant l’entièreté de son être. Guido tente de faire un film simple à comprendre et qui finalement est bien trop opaque pour le spectateur : n’est-ce pas le cauchemar de tout réalisateur? Mais la complexité de son récit cache un plus grand drame, un constat qu’il n’ose se faire, et ce même si tous le lui répètent : il ne sait comment aimer. Toujours aux prises avec son projet démesuré, Guido décide d’y mettre fin avant même que le tournage ne commence (représenté par son suicide lors d’une séquence onirique). Il faut détruire pour mieux créer. Aussitôt fait, le réalisateur renaît et voit enfin sa vie avec amour. Ainsi s’achève un film grandiose de Fellini où le carnavalesque atteint son apothéose dans une scène de fin éblouissante par sa poésie (surmontée d’une extravagante, mais grandiose bande originale signée Nino Rota).

Amarcord
7.7

Amarcord (1973)

2 h 03 min. Sortie : 10 mai 1974 (France). Comédie dramatique

Film de Federico Fellini

Émile Frève a mis 9/10.

Annotation :

Si l’on traduit le titre Amarcord, issu du dialecte romagnol, on obtient « je me souviens », expression qui nous annonce immédiatement le caractère subjectif et autobiographique du film. En effet, on remonte ici à l’époque de l’Italie fasciste dans un petit village où a grandi Fellini. À l’image d’une parenthèse lors de cette période bien sinistre, le village semble ne pas exister sur le plan temporel tant la situation n’affecte en rien ses habitants. Pourtant, le fascisme est bien présent (quelques scènes le prouvent de manière assez éloquente) et est bien loin d’être inoffensif. Ainsi, c’est un peu comme si, pour pallier l’horreur des circonstances, les résidents avaient adopté un mode de vie euphorique où tout n’est que légèreté. Une sorte de défense en dernier recours contre l’obscurantisme. Souvenirs, fantasmes et rêveries parsèment un récit doté de personnages colorés qui vivent leur vie telle une danse. Victime de sa subjectivité, Fellini revisite son passé et le sublime à l’aide d’une photographie étincelante et d’une musique parfois enjouée, parfois nostalgique. Une grande poésie émane d’Amarcord qui, malgré sa joie contagieuse, s’achève plus tristement sur deux deuils très importants aux yeux de Fellini : le deuil d’un être cher (la mort de Miranda) et le deuil d’une famille ou au sens plus large d’un groupe auquel on appartient (Gradisca qui quitte le village avec son mari). Moins en proie aux remises en question très présentes dans La Dolce Vita et 8 ½, Fellini a atteint une sérénité belle à voir dans sa réalisation qui délaisse toute angoisse face à l’avenir (la preuve est qu’il se tourne vers le passé pour son histoire). Sublime.

La Voix de la Lune
5.7

La Voix de la Lune (1990)

La voce della luna

2 h 02 min. Sortie : 18 mai 1990 (France). Comédie, Drame

Film de Federico Fellini

Émile Frève a mis 7/10.

Annotation :

On ne peut s’empêcher, dans La voix de la lune, de sentir toute l’acrimonie blasée du regard fellinien à l’égard de la modernité; elle s’étale avec lourdeur, devenue fardeau sociétal, maladie gangrénant les cœurs des lunatiques. Si l’esthétique développée convoque, aux premiers abords, surréalisme pictural (dû à l’envoûtant traitement de l’espace, à la fois géométrisé et déformé) et éclairage somptueux (où, de la facticité des jeux de lumière éminemment théâtraux, naît la poésie baroque de l’imaginaire fellinien), la caméra s’égare au fur et à mesure dans l’affreux dédale de la surabondance visuelle et de la pollution sonore. Les couleurs, sursaturées, envahissent l’image; la foule se morcelle et s’individualise; les interférences visuelles s’accumulent à une vitesse effarante; les dérives capitalistes peuplent un paysage surchargé : pour que finalement prenne vie le cauchemar urbain, phénomène castrateur qui brime la marginalité. En réponse à la violence moderne, Fellini oppose des instants d’éphémère poésie, échafaudant des visions discrètement lyriques du temps révolu, symboles intemporels d’un bonheur insaisissable. À travers le souvenir, il retrouve la beauté. Et le metteur en scène y nage avec une adresse hallucinante, incorporant à la trame narrative principale des apartés replongeant au cœur de la mémoire des personnages, le récit se fragmentant en de multiples et élégants va-et-vient scénaristiques. Visite onirique explorant les tréfonds psychologiques de Salvini, rêveur hypnotisé par la circularité de la lune et d’un puits – tous deux évocations des illusions du personnage –, La voix de la lune transporte le spectateur au sein d’un univers fabulé, dont le montage, qui rompt gracieusement avec la continuité spatiale, rappelle la liberté d’avant, désormais amputée par les fléaux modernes (gloutonnerie, matérialisme, hypersexualisation corporelle, culte de la superficialité, aliénation télévisuelle). Dans cet élan désenchanté que compose Fellini (où la musique s’est travestie en une cacophonie auditive), la capture finale de la lune, métaphore de l’anéantissement des rêves par la société, clôt la valse qui exprime pour une ultime fois la vision nostalgique du maestro où se dessine la chagrinante mélancolie crépusculaire de son chant du cygne. Seul un élément subsiste en bout de ligne; la certitude de l’oubli sociétal, la fatalité de chaque être humain, contraint à s’éteindre progressivement dans l'informe masse du temps, impitoyable bourreau.

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