Cover Journal de bord Littérature - 2020

Journal de bord Littérature - 2020

L'année dernière, y'avait un cousinage des paupières entre William et Marcel. Cette année c'est la moustache, entre Walter et Friedrich. C'est cool nan?

2016-17 :
https://bit.ly/2Sua842
2018 :
https://bit.ly/2GOQYED
2019 :
https://bit.ly/34YdbXO
2020 ...

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123 livres

créee il y a plus de 4 ans · modifiée il y a plus de 2 ans

L'Écriture du désastre
7.8

L'Écriture du désastre

Sortie : 1980 (France). Essai

livre de Maurice Blanchot

Woozz a mis 8/10.

Annotation :

Janvier / Lu.

Désastre, calme limite sur laquelle marcher. Paradoxe presque insoutenable, ce qui n'a pas l'ultime pour limite, ce qui entraîne l'ultime dans le désastre. Discrètement, c'est le désastre de l'Histoire qui se révèle être le sujet de Blanchot : la Shoah, l'impensable qui est arrivé.

Tout est posé en négatif : le non-desir, le silence, le non-pouvoir, la passivité. Gout et obsession des extrémités et des contraires: Blanchot n'avance que dans l'absolument fini, l'immemoriel présent, l'insoutenable soutenable. C'est comme ça que se construit la pensée : quand ce qu'il faut écrire est impossible à écrire, c'est cela même qu'il faut écrire ; et pour écrire, il faut d'abord ne pas le vouloir. L'énergie propre a l'écriture dérive de l'absence de désir d'écrire, ce qui est dit est ce qu'il reste quand tout a été dit. Une manière de chercher et dépasser la limite, s'affranchir de l'infranchissable. A ce titre la mort joue un rôle prépondérant, elle se pose comme puissance et pouvoir, comme question et réponse, comme moteur, comme recherche. Dimension mystique de son écriture, étrange escapade philosophique tout autant incompréhensible que bouleversante.

L'écriture fragmentaire est un accomplissement, comme non finie et non commencée, correspondant à un fil de pensée qui ne cherche pas le système. Il y a une forme de peur de la pensée en système chez Blanchot, à la fois essentiel et impossible, crucial mais fragile et prête à s'effondrer. Le fragmentaire (qui n'est pas aphorisme) cherche à contourner la fragilité du système, à éviter les pièges étymologiques qui minent toute pensée : il faut échapper au système pour se frayer un passage.

"Le désastre prend soin de tout."

"Quand tout est dit, ce qui reste est le désastre, ruine de parole, défaillance par l’écriture, rumeur qui murmure : ce qui reste sans reste (le fragmentaire)."

"Solitude qui rayonne, vide du ciel, mort différée : désastre."

L'Ancêtre
7.9

L'Ancêtre (1983)

El entenado

Sortie : 11 janvier 2018 (France). Roman

livre de Juan José Saer

Woozz a mis 9/10 et l'a mis dans ses coups de cœur.

Annotation :

Janvier / Lu.

C'est d'abord le journal d'une vie bouleversée. Un jeune mousse du XVIeme siècle, abducté dans une tribu indienne à l'autre bout du monde. A nos yeux, le récit de la tribu et ses coutumes paraît terrifiant, sauvage, primitif : mangeurs de chair humaine, se livrant à des orgies destructrice, parlant un langage archaïque et confus...

Mais c'est là que le miracle de la philosophie (et avec lui, celui du style) intervient. Dans un renversement subversif inattendu, la narrateur fait jaillir de cette altérité terrifiante une métaphysique, une vision du monde nouvelle et vierge de nos conceptions ; leur monde intérieur, leurs compréhensions du réel, de la mort, de l'extérieur, de l'être ou de l'autre, lui le "def-ghi", l'être qui fût refabriqué par les Indiens, a dû le découvrir et nous le traduire. Poème ethnographique, L'ancêtre déploie sa force à partir du moment où le récit du voyage se termine, quand nos esprit ont déjà jugé les Indiens comme étant simplement étranges et primitifs. Là est toute la puissance du geste de Saer.

Une juste colère

Une juste colère (2019)

Interrompre la destruction du monde

Sortie : 2019. Essai, Philosophie

livre de Jérôme Baschet

Woozz a mis 7/10.

Annotation :

Janvier / Lu.

Petit tour d'horizon de l'état du monde economicisé, de sa chute en avant, des colères qui en résulte, et des potentiels solutions d'avenir. A travers le prisme des zapatistes du Chiapas, et des gilets jaunes de France, Baschet expose le principe d'espaces libérés, hors du monde de l'économie toute-puissante, et qui se multiplieront jusqu'à faire plier le système, peut-être.

Voir les ravages du capitalisme comme une dépossession généralisée (du temps, de la subjectivité, du pouvoir d'agir) plutôt que comme uniquement une lutte de classe, permet de l'appréhender dans toute sa puissance horrifique. Le combat devra être mené sur tous les fronts.

« Il faut s'adapter »
7.6

« Il faut s'adapter » (2019)

Sur un nouvel impératif politique

Sortie : 24 janvier 2019. Essai, Philosophie

livre de Barbara Stiegler

Woozz a mis 7/10 et l'a mis dans ses coups de cœur.

Annotation :

Janvier - février / Lu.

Stiegler fait un travail remarquable sur les origines du néo-liberalisme, mais a finalement du mal à se dégager de cette perspective généalogique pour pousser au-delà le raisonnement. Le nez dans guidon (et c'est louable), on a affaire à une synthèse (complète, précise) des origines d'une nouvelle école libérale née dans les années 30 ; les deux doctrines étudiées, celles de Lippmann et Dewey, partent toutes deux du darwinisme pour insuffler à la théorie politique le concept d'évolution, et "biologiser" la vision de l'homme dans le capitalisme mondialisé. Augmenté du concept d'hétérochromie (les différences de rythme de développement, le fameux "retard" à l'origine de l'impératif d'adaptation) forgé par Stiegler, on comprends les enjeux du débat Lippmann/Dewey : quel vision de l'homme et son futur cela présage, doit-il (et comment) s'adapter à la nouvelle "Grande Société" qui le dépasse etc. Deux visions s'affrontent, et l'essentiel du travail porte sur la teneur de ses différences : d'où viennent-elles, quel conséquences sur la société ont-elles.

Une grande interrogation demeure : quel a été l'impact réel de la philosophie lippmanienne sur ses contemporains? A quel point le néo-liberalisme actuel est un descendant de ce système? Stiegler nous répondra peut-être plus tard.

Taipei
6.5

Taipei

Sortie : 2013 (France). Roman

livre de Tao Lin

Woozz a mis 8/10.

Annotation :

Janvier / Lu.

Image d’épinal 2.0 : probablement ce qui se rapproche le plus d'une certaine essence de notre contemporain. Tous le monde est plus ou moins bohème, artiste, drogué. Le désœuvrement généralisé, les relations affectives étiolés, la communication vide et superficielle malgré Gtalk, Facebook et les mails ; les drogues médicamenteuses sont le seul médiateur de sincérité dans les interactions sociales. C'est à coup de "je nsais pas", "j'en sais rien", "je crois pas" que l'attachement vague et distant se construit.

Il n'y a quasiment aucune interaction avec le monde en dehors du cercle des personnages : il y a des restaurants mais pas de serveurs, il y a des magasins mais pas de vendeurs. Les interactions sociales sont circonscrites à la consommations de drogues. Les escapades à Taipei donnent lieu aux seuls moments de douceur et de complicité entre Erin et Paul. Et on sent que le constat dressé par Tao Lin vient de l'intérieur : il sait, il l'a vécu.

La Muraille de Chine
7.4

La Muraille de Chine

Sortie : mars 1975 (France). Recueil de nouvelles

livre de Franz Kafka

Woozz a mis 8/10.

Annotation :

Janvier / Lu.

Où l'on réalise que Kafka était en proie à la versatilité. Des dizaines de tentatives avortés jonchent les pages du recueil. Et il suffit souvent de quelques phrases pour saisir le potentiel kafkaïen du fragment en cours : une spirale ratiocinante s'amorce, et on sait qu'on pourrait tourner en rond pour toujours, comme dans Le Procès ou Le Chateau. L'autre versant du recueil, se sont des nouvelles fixés, narrativement closes et thématiquement fermés, courtes et souvent efficaces. C'est l'autre pendant du mage tchèque. Dans leur analyse de cette œuvre, Deleuze et Guattari avaient bien identifiés ce Janus littéraire, où l'on comprend immédiatement que le projet sera terminable ou infini, servant deux buts distincts.

Morceaux choisis : La taupe géante, De nouvelles lampes, Poséidon, Le buisson ardent, Le terrier.

Macau
6.9

Macau (2009)

Sortie : 22 octobre 2009. Récit

livre de Antoine Volodine

Woozz a mis 7/10.

Annotation :

Janvier / Lu.

Littérature de l'enfermement, de la volonté empêchée. On puise alors dans sa tête et ses souvenirs ; on croise des gens enfermés dans leurs tête. La prison (barreaux, folie, baillon, institut) est partout.

La préface de Chevillard est charmante, comme tout ce qu'écrit Eric.

La Connaissance du soir
7.5

La Connaissance du soir

Sortie : 3 février 1981 (France). Poésie

livre de Joë Bousquet

Woozz a mis 8/10.

Annotation :

Janvier / Lu.

Souvent Joë écrit d'une traite, comme les phrase lui viennent : l'immédiateté de la plupart des poèmes crée le rythme-flux singulier, automatisme reflétant la surface des mots, seul endroit dont la poésie doit se soucier : la parole précède la connaissance. D'autres poèmes, plus réfléchies, capturent la demi-vie d'un estropié, habité par des amours déçues.

---

LES DEUX FOSSOYEURS

Mon nom n’est pas sur ma porte
mais chacun sait mon métier
je prends du sable aux mers mortes
et des clous à vos souliers

— Prête-moi tes gants de laine
pour ferrer mon cheval noir
je suis l’époux d’une reine
qui m’a fait roi sans me voir

— Dans un chantier sous la terre
j’ai mes outils d’emballeur
et vends à l’homme des pierres
qu’il me paye avec des fleurs

— Dis-moi tes noms que je donne
la nuit aux ombres qu’ils sont
et que Dieu leur taille un trône
dans le poids de ta maison

— Mon parrain passait du sable
« Quel est-il » on l’appelait
il ajustait ses emblables
à de grands trous qu’il taillait

Et les voyant dans leur cendre
entrer sur les pas d’autrui
il leur donnait à comprendre
ce que je chante aujourd’hui

— J’écris mon nom sur ta bière
où repose on ne sait qui
un homme n’est que son frère
puisque son frère c’est lui

---

ENVOI

Puisse en l'attente qu'il endure
Mon cœur las de vivre à demi
Mourir d'entendre le murmure
Qu'il tient ce qu'il aime endormi

Bruit de fond
7.5

Bruit de fond (1985)

White Noise

Sortie : 1986 (France). Roman

livre de Don DeLillo

Woozz a mis 8/10 et l'a mis dans ses coups de cœur.

Annotation :

Janvier - février / Lu.

Malaise flottant, en volute, en bruit de fond. Émanation d'un monde nauséeux, où la télévision est toujours en arrière-plan sonore et mental. Ici la menace (indéfinie, vague, immanente) plane au-dessus des têtes sous la forme de nuage toxique, elle plane dans les esprits effrayés par la mort.

A la croisée de Pynchon et K. Dick peut-être, ce qui me marque en tout cas c'est ce style de pierre, froid et coupant, mais pourtant empreint d'une certaine douceur ; Babette et Wilder sont un baume de réconfort et d'apaisement dans ce monde de métal glacé.

À distance
7.7

À distance (1997)

suivi de Annonciation

Sortie : 15 septembre 2014 (France). Poésie

livre de Henri Michaux

Woozz a mis 8/10.

Annotation :

Février / Lu.

Ravissant, multiple. Comme il s'agit de fragments, c'est un peu plus faible parfois ; mais les fulgurances sont là. Le poème qui donne son titre à l'ouvrage, A Distance, est bouleversant. C'est l'aveu du rapport que Michaux avait avec l'autrui, celui qui n'est pas moi, et finalement, avec sa solitude.

---

Une fois de plus, venez
venez, mots misérables
pour exprimer plus misérable encore
pour exprimer le tombé, le dévasté, le méconnaissable
le trois fois plus redoutable qui dans l'ombre se prépare

Pour exprimer les monts de honte subitement surgis
barrant les horizons
la cage partout, pour exprimer Judas,
pour exprimer Judas multiplié, Judas tient compagnie
les deniers n'ont pas longtemps à courir après les judas

Pour exprimer les feuilles tombent
les fronts craquent
les gares s'éteignent,
les chemins tarissent
l'hiver à coups de lanière frappe le grand troupeau

Pour exprimer bras, estomacs, jugements dans l'étau
et millions par millions d'hommes entiers dans l'étau
et millions et millions rongés dans la plaie
de la plaie, de la plaie de la chute
ou cloués, silencieux, contemplant les reins cassés de leur avenir

Contemplant surtout la Statue haute, qui, à la défaite des siens
sur son socle s'est effondrée
ses débris font mal. Ses débris torturent. On est poursuivi de ses débris.
La nuit vient. Les échos s'éloignent. Le froid grandit.
Un grand corps à griffes, de tout son pesant, sur soi est
étendu.

---

DANS L'ULTIME MOMENT

Le froid est en moi, vous qui criez près de moi
Je quitte la maison aux mille gammes
Dans mes nerfs sans graisse
le chariot de vos bruits fonce méchamment

Défaite, défaite, étrange affaire
En pleine journée, je m'étends, arbre abattu
Le tigre ne vit pas plus vieux que le cerf
mais le tigre arrive toujours à temps pour tuer le cerf

Par erreur le couteau d'un irrité
est entré dans la poitrine mienne
mais c'est toujours une ombre
qui chasse une ombre, pour rejoindre les ombres

Ne t'agite pas, mon être, ne te lamente pas, ne me brise pas
Souvenons-nous de nous retenir
Dans l'amitié du silence
enfonçons seuls dans la nuit immense.

Peau noire, masques blancs
7.8

Peau noire, masques blancs (1952)

Sortie : 1952 (France). Essai, Culture & société

livre de Frantz Fanon

Woozz a mis 8/10.

Annotation :

Février / Lu.

Ce qui fait à la fois la force et l'originalité de Fanon, c'est d'engager son sujet avec son arme, la psychologie et la psychanalyse. Ici, pas de grands traits d'Histoire ; psychisme, psychopathologie, imaginaire. C'est l'autopsie des syndromes, complexes, névroses qui gangrènent les esprits des rapports Noirs-Blancs.

Et puis bien sur, la poésie qui jalonne la parole de Fanon. La sienne d'abord, brut, chaude, cosmique. Et puis celle se Césaire, celle de Senghor. Quelques digressions parfois difficiles à suivre (la psychanalyse d'il y a 70 ans...) mais on est surtout emporté par la fougue et la puissance de vie du texte.

Œuvres I
7.7

Œuvres I

Sortie : novembre 2000 (France). Essai

livre de Walter Benjamin

Woozz a mis 7/10.

Annotation :

Février / Lu.

Ardu, je crois bien que c'est le mot juste. La pensée de Benjamin, qu'elle concerne le langage, l'art, le mysticisme, le théologique ou le politique, me met régulièrement en échec. Parfois c'est trop et je saute ; parfois c'est obscur mais ça gigote longtemps dans ma tête ; parfois c'est lumineux, puissant, important. Le thème du religieux et du mystique constelle la métaphysique à l'œuvre derrière toute chose, et je dirai que pour l'instant c'est le seul trait commun que j'ai aperçu chez lui : la diversité thématique (violence, traduction, Holderlin, peinture, vie étudiante, destin...) rend les textes complexes et inaccessibles, sentiment renforcé par le style volontairement obscur et discontinu.

Je n'ai pas tout lu (L'Idiot de Dostoievski et Les affinités électives de Gœthe m'étant pour l'instant inconnu), mais il me paraît évident que c'est une œuvre où l'on pioche, au gré du parcours et des autres rencontres.

Tais toi je t'en prie
7.6

Tais toi je t'en prie (1976)

Will You Please Be Quiet, Please?

Sortie : juin 1991 (France). Roman, Recueil de nouvelles

livre de Raymond Carver

Woozz a mis 8/10.

Annotation :

Février / Lu.

Parfois, quand je plonge chez un nouvel américain, j'ai l'impression qu'une longue tradition d'écriture semble s'agrandir d'un nouveau maillon: Fante, Dos Passos, O'Connor, Faulkner, et maintenant Carver... Les flux narratifs et les flux de sensations avant la psychologie ; pas nécessairement un "stream of consiousness", plutôt une accumulation de signes qui fait que les personnages se construisent dans leurs rapports aux autres et à l'environnement : on les comprends de l'extérieur.

Là où Carver trouve sa singularité, c'est dans la teneur de ses histoire, sur sa manière de les conduire. La tristesse et la souffrance qui s'installe entre les lignes (elle est déjà installé d'ailleurs), jamais tout a fait mentionnée mais toujours présente. Et puis cette manière abrupte de rentrer et sortir du fil narratif : in et ex medias res. Les faits qui précèdent se découvrent, les suivants se devinent. Odeur de cigarette froide, couples dans la grisaille sentimentale.

Le Grand Nulle Part
8.1

Le Grand Nulle Part (1988)

The Big Nowhere

Sortie : 1989 (France). Roman

livre de James Ellroy

Woozz a mis 9/10.

Annotation :

Février / Lu.

Ellroy la tenaille, la pince-monseigneur... Le roman noir dans toute son ampleur macabre : tous les topos sont là, augmentés d'un bouillon du zeitgeist étatsunnien années 50 : Maccarthysme et Peur violette en pilotis de l'intrigue. Le Grand Nulle Part a une volonté totalisante de brasser tous les thèmes qui forment la base du roman noir, des affaires de flicaille des rues aux machinations politico-bureaucratique, en passant par la perversion sexuello-criminel.

La conduite des arcs narratifs à coup de grandes boucles qui s'éloignent puis se rapprochent et se croisent procure un souffle impressionnant et haletant au texte, renforcé par ce style hargneux de glouton : sans ménagement d'aucune sorte, parfois quasi-télégraphique, l'écriture même traduit la violence de l'intrigue et des bas-fonds humains. Efficacité implacable aussi dans la construction du nœud criminel (net malgré son enchevêtrement et ses ramifications), nous engluants dans l'enfer urbanisé avec à chaque chapitre plus de force.

Mal, Buzz, et surtout Danny vont forcément jouer un rôle, quelque part dans ma tête.

Le roman noir définitif.

Fragments d'un discours amoureux
8.2

Fragments d'un discours amoureux (1977)

Sortie : 1977 (France). Essai

livre de Roland Barthes

Woozz a mis 8/10 et l'a mis dans ses coups de cœur.

Annotation :

Février / Lu.

Non pas une philosophie de l'amour, plutôt un recueil de micro-sensations, frustrations, ou sublimations du sentiment amoureux. A travers la myriade des témoignages textuels ou personnels, Barthes déplie le spectre du sensible de celui qui aime ; on remarque à ce titre que "celui qui est aimé" n'est quasiment jamais évoqué comme objet lui aussi sensible, mais surtout comme objet du désir. Il est évident qu'il y a une forcément une dimension projective ("ce que je ressent, l'autre en fait de même pour moi"), mais ça n'importe presque pas, puisqu'il s'agit de décrire "mes états d'âme".

Mouvement ravissants et émouvant, où Barthes, derrière une certaine neutralité (jamais personne n'est nommé, il se replie derrière des X), apparaît dans toute sa sensibilité et son égoïsme d'amoureux.

Les Soldats de Salamine
7.7

Les Soldats de Salamine (2001)

Soldados de Salamina

Sortie : février 2004 (France). Roman

livre de Javier Cercas

Woozz a mis 9/10 et l'a mis dans ses coups de cœur.

Annotation :

Février / Lu.

Ça démarre doucement. Une enquête, une guerre, et une phrase obsédante : "la civilisation sera toujours sauvée par un peloton de soldats". Cercas s'engage dans une quête un peu désespérée, à la recherche d'un bref moment décisif de l'histoire, et de sa raison d'écrivain.

C'est le moment où ce bon dieu de Bolaño surgit de nulle part que le tournant théorique semble s'opérer. Il va falloir inventer, fictionner l'histoire de Sánches Mazas. En créant le point de vue du milicien, l'histoire en un point précis devient littérature, et c'est là qu'on atteint, peut-être, l'Histoire.

Sauf qu'il n'en est finalement rien : le milicien est trouvé. Revirement sur revirement, le scope passe d'un thème à l'autre : histoire et littérature chavirent sur l'héroïsme et la mémoire , et fiction redevient réalité... ou peut-être pas, qui sait, le doute est jeté.

C'est cette troisième partie qui créer tout la force boulversante du roman : au moment où l'impasse se profile, Cercas fais une percée puis boucle le roman sur lui-même. La rencontre à Dijon c'est un sommet.

Le Monstre des Hawkline
7.7

Le Monstre des Hawkline (1974)

The Hawkline Monster : A Gothic Western

Sortie : 1977 (France). Roman

livre de Richard Brautigan

Woozz a mis 8/10.

Annotation :

Février / Lu.

Un sacré boute-en-train Richard quand même. Je me demande si Lynch ne s'est pas un peu inspiré de certains côtés fantastico-gothique de ce roman pour Twin Peaks, certains éléments m'y font en tout cas penser.

L'Ordre du discours
7.9

L'Ordre du discours (1971)

Sortie : décembre 1989 (France). Essai, Philosophie

livre de Michel Foucault

Woozz a mis 7/10.

Annotation :

Février / Lu.

Foucault en bon archéologue philosophe, s'interroge sur les conditions de production du discours. Assujettissement du discours, tabou du discours, contrôle du discours. En bref, comment se manipule la production discursive à travers les textes et leurs commentaires ultérieurs, et comment se met en place une tentative d'élimination des aléatoires.

Émouvant cet hommage à Jean Hyppolite à la fin.

Le Gai Savoir
8.2

Le Gai Savoir (1882)

(traduction Henri Albert)

Die fröhliche Wissenschaft

Sortie : 1882 (Allemagne). Essai, Philosophie

livre de Friedrich Nietzsche

Woozz a mis 8/10.

Annotation :

Février - mars / Lu.

Vers le haut, toujours, encore. Tonner contre le monde, et puis rire et danser.

Derrière sa petite ironie bien sentie, Nietzsche est sincère : gesticulations en surface pour éloigner les corbeaux, puis vous murmurer à l'oreille des douceurs.

Peut-être un peu découragé quant à l'accessibilité de façade dont il fait preuve ; c'est une digestion longue et fatiguante en vue, mais qui apporta vigueur et santé.

§179. Les pensées sont les ombres de nos sentiments - toujours obscures, plus vides, plus simples que ceux-ci.

§275. Quel est le sceau de la liberté acquise? - Ne plus avoir honte de soi-même.

§344.

§371.

§378. - §383.

Notre-Dame-des-Fleurs
7.9

Notre-Dame-des-Fleurs (1944)

Sortie : 1944 (France). Roman

livre de Jean Genet

Woozz a mis 8/10.

Annotation :

Février / Lu.

Poésie carcérale, poésie des rues, des putes mâles, des tantes et des macs. C'est obscène, c'est scandaleux oui. C'est aussi l'une des plus belles plume de notre littérature. C'est aussi la plume des oubliés, des délaissés, des condamnés. Genet prend à bras le corps la sanie du trottoir ; pas de place à l'apitoiement, l'amour naît de misère et de crasse.

Moins impactant que le Journal du voleur, mais les portraits de Divine la fleur des rues, de Notre-Dame l'assassin de vieillard, ou Mignon macs aux petits pieds vous dévore le cœur.

Œuvres II
7.9

Œuvres II (2000)

Sortie : 29 novembre 2000. Essai

livre de Walter Benjamin

Woozz a mis 8/10.

Annotation :

Février - mars / Lu.

J'écrivais, dans mon précédent commentaire sur les Œuvres tome 1, qu'il m'était difficile de déceler des traits communs dans la pensée de Benjamin, au-delà de la théologie. Je découvre à présent que lui-même en dit la même chose : "Ma pensée se rapporte à la théologie comme le buvard à l'encre : elle en est totalement imbibée. Mais s'il ne tenait qu'au buvard, il ne resterait rien de ce que j'écris".

Moins difficile d'accès que le premier tome, tant par le style que par les sujets, il laisse une impression de légèreté, là où le premier nous plombait l'intellect de sa prose urgente et totalisante.

Ce qui est frappant dans ses textes sociaux ou politiques, c'est la lucidité avec laquelle il dissèque son époque et anticipe, tel une pythie visitant ses contemporains pour les avertir (sur l'état du monde, de l'histoire, de l'art).

Morceaux choisis : toutes les critiques littéraires (Proust, Walser, Kafka par deux fois, Döblin, Kraus...), Le Surréalisme, Sur la photographie, Experience et pauvreté, La position sociale actuelle de l'écrivain français.

La Sagesse dans le sang
7.1

La Sagesse dans le sang

Wise Blood

Sortie : 1952 (France). Roman

livre de Flannery O'Connor

Woozz a mis 8/10.

Annotation :

Mars / Lu.

Vastes paysages décharnés du Midwest : bourgades décrépites, vide, en carton pourri ; population moisissante, païenne et stupide. Tel est le terrain de jeu d'O'Connor dans La Sagesse du Sang. Et dans ce paysage exsangue, un prédicateur blasphémant qui prêche l'église du Chirst Sans Christ ne pouvait pas sortir d'ailleurs que de sa plume. Le châtiment est impitoyable, et Flannery, les lèvres pincés d'intransigeance, envoie tout le monde à la damnation.

Encore une fois on retrouve ce motif singulier : la psychologie est entièrement absente du roman. Aucune motivation, aucune explication. Il se passe simplement des choses, et on assiste, impuissant, au monde qui sombre dans un abysse poussiéreux, vide de sens et de lumière.

Pan
7.5

Pan (1894)

Sortie : 1894 (Norvège). Roman

livre de Knut Hamsun

Woozz a mis 7/10.

Annotation :

Mars / Lu.

Métronome sentimental. Plus Glahn s'approche, plus Edvarda s'éloigne. Esclavagisé, saisi de honte et d'orgueil, il en devient négligent et idiot. Alors c'est l'exil, mais poursuivi jusqu'au bout du monde par son désir, il ne resque plus qu'à tenter la mort.

Journal humide et froid au goût de lichen, on a souvent l'impression qu'on va basculer dans le mythologique et qu'une nymphe ou Pan lui-même va surgir du bois.

Le Gaucho insupportable
7.4

Le Gaucho insupportable (2003)

El gaucho insufrible

Sortie : 2004 (France). Recueil de nouvelles

livre de Roberto Bolaño

Woozz a mis 8/10.

Annotation :

Mars / Lu.

Contrairement à Appels Téléphoniques, j'ai été immédiatement happé par la désillusion, les nids-de-poule narratifs, et l'humour acide du Gaucho. Le ton se fixe dès la première nouvelle et ne quitte plus le recueil, même quand on pense qu'on s'en éloigne.

Tour à tour des semi-pastiches kafakïens (Le policier des rats), borgésiens (Le voyage d'Alvaro Rousselot), ou bien des conférences caustiques sur la littérature et la maladie, Bolaño navigue entre les fausses pistes de ses histoires, le désintérêt des conclusions, et sa mort prochaine.

La Dynamique de la révolte
7.1

La Dynamique de la révolte

Sur des insurrections passées et d'autres à venir

Sortie : 20 mars 2015 (France). Essai, Histoire

livre de Eric Hazan

Woozz a mis 8/10.

Annotation :

Mars / Lu.

Leçon de clarté, mise au point salutaire. En se libérant d'une certaine rigueur historique (la mise en parallèle de différentes insurrections ne manquera probablement pas de faire hurler quelques historiens), Hazan examine les étincelles qui mettent le feu aux poudres des peuples. La révolution d'octobre et son bordel innommable, la tragique révolte spartakiste... Le rôle des parties dans les révoltes est trouble, souvent contre-productif et c'est ce que l'on retiendra. Il y a comme un souffle dans le texte, qui muscle le déroulement du livre : l'histoire prend des allures de fiction sous la plume d'Hazan.

On pourrait filer la fin avec La Haine de la Démocratie, tant les dernières pages résonnent avec celles de Rancière.

Et puis forcément, on pense aux Gilets Jaune, ce soulèvement parti d'une base inattendue : il résonne comme un autre chapitre qu'Hazan aurait aimé commenter à l'aune des précédents.

"L'organisation n'est pas détachée de la vie quotidienne, c'est la vie quotidienne qui se déploie dans l'action insurrectionnelle."

Ecuador
7.5

Ecuador (1929)

Sortie : 1929 (France). Récit

livre de Henri Michaux

Woozz a mis 7/10.

Annotation :

Mars / Lu.

"Un homme qui ne sait ni voyager ni tenir un journal a composé ce journal de voyage. Mais, au moment de signer, tout à coup pris de peur, il se jeta la première pierre. Voilà."

Ainsi s'ouvre le voyage de Michaux en Equateur.

Souvent, au milieu de ses retraites intérieurs pour l'examen poétique, le corps surgit : il tombe malade, à plusieurs reprises. Objet gênant, encombrant, suant, déconcentrant.

Le récit du retour est très drôle : semé d'embûches ("quand il a plu à six heure du matin, l'Indien ne part pas, ça porte malheur. Or il pleut dix-huit heures par jour"), au bord de la catastrophe plus d'une fois. Disons que la difficulté du voyage a quelque peu ramolli Michaux, il s'en rend bien compte ; on est assez loin de l'espièglerie d'Un Barbare en Asie.

La Femme et le Pantin
7.8

La Femme et le Pantin (1898)

Sortie : 1898 (France). Roman

livre de Pierre Louÿs

Woozz a mis 8/10.

Annotation :

Mars / Lu.

Bien sûr, le texte ne parle que de sexe frustré, de jouissance empêchée, sans que ces mots soient véritablement prononcés. Assez fascinant de voir que la simplicité du style fait passer des émotions d'une rare violence si aisément, d'abord la fièvre du désir puis la rage aveuglée de la frustration et de la duperie. Spirale affolante de perversion qui fini sur une note fatale et évidente.

Frankie Addams
7.2

Frankie Addams (1946)

The Member of the Wedding

Sortie : 1949 (France). Roman

livre de Carson McCullers

Woozz a mis 6/10.

Annotation :

Mars / Lu.

Je m'attendais à trouver un grand maillon à ajouter à ma belle chaine des écrivains du Sud americain, mais cette première incursion chez McCullers est décevante. Je suis resté complètement à côté du texte, il m'a semblé que la tentative de matérialiser l'isolement de franckie Adams tombait à plat, et malgré un dispositif fait pour me plaire (le trio Berenice John Henry et Franckie), rien ne gonfle jamais, le soufflet s'aplatit.

Le Nègre du Narcisse
8

Le Nègre du Narcisse (1897)

The Nigger of the 'Narcissus'

Sortie : 1897 (France). Roman

livre de Joseph Conrad

Woozz a mis 8/10.

Annotation :

Mars / Lu.

Premier récit maritime de Conrad, c'est à vous couper la chique tant tout est maîtrisé. La quintessence du roman d'aventure en mer, synthétisant tous les topos attendus d'un tel genre. La séquence de la tempête et le sauvetage de Jimmy, rarement lu quelque chose d'aussi haletant. Tout vole en éclat : le bateau, les marins, la narration. Poséidon déchaîné, équipage halluciné, et Conrad fait tout éclater.

Et ce point de vue glissant, d'un extérieur vers un "nous" vers un "je", brouillant la carte des identités : les marins, microcosme tout à la fois solidaire et égoïste, individualités hétéroclite obligés de former groupe par l'adversité, pour affronter l'adversité.

La Société ingouvernable
8.5

La Société ingouvernable (2018)

Une généalogie du libéralisme autoritaire

Sortie : 19 octobre 2018 (France). Politique & économie, Culture & société, Essai

livre de Grégoire Chamayou

Woozz a mis 8/10 et l'a mis dans ses coups de cœur.

Annotation :

Mars - avril / Lu.

S'il y a bien un mot qui correspond au travail titanesque de ce livre c'est : édifiant. On imagine bien Chamayou, le nez dans les archives poussiéreuses du néoliberalisme, fourbu et bossu, dégottant une citation à peine croyable de Friedman ou Hayek.

Travail de sappe des fondements théoriques de la "libre entreprise" et de la "liberté économique" du capitalisme , Chamayou fait tomber une à une les quilles théoriques (déjà peu solides sur leurs appuis, il est vrai).

Manoeuvres, petite combines théoriques, glissements, et autres manipulations politique auprès des plus grands dictateurs du XXème siècle (oui oui), cette généalogie du libéralisme autoritaire fait tout simplement froid dans le dos, de par la roublardise et le manque de rigueur dont font preuve ses principales théoriciens, trop occupés et obnubilés par leurs présupposés égoïstes.

Woozz

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