L'oignon en musique : fonctions figuratives, métaphoriques et abstraites

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Aussi délicieux qu'une croziflette, ce court instrumental à base d'orgue saupoudré de guitare électrique est le premier enregistrement identifié sur la thématique de l'oignon. En l'occurrence, il est question d'oignon vert, aussi appelé ciboule, dont la saveur se situe à la croisée de celle de la ciboulette.

C'est à partir d'une improvisation que Booker T. and the M.G.'s a concocté en 1962 ce morceau rond et groovy, dans un mélange de soul et de rhythm and blues. Le trio est le groupe le plus emblématique du label Stax, qui a eu le courage de soutenir un groupe mixte (un musicien noir et deux blancs) en pleine période de ségrégation aux Etats-Unis d'Amérique.

Le morceau a été maintes fois repris, à commencer par John Lee Hooker qui ajoute des paroles l'année suivante. Il a également inspiré "La Grange" de ZZ Top en 1973, ce qui n'est guère étonnant étant donné que ce groupe vient du Texas dont le légume officiel est... l'oignon doux.

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Probablement le morceau à base d'oignons le plus connu chez les fans de rock, "Glass Onion" est une réponse de John Lennon à ceux qui tentent de décrypter ses paroles, à une époque où on raconte pas mal de salades persillées. On y trouve un certain nombre de références à d'autres chansons des Beatles.

C'est le troisième titre du double album des Beatles, blanc comme un oignon pelé, dont plusieurs chansons parlent de nourriture ("Honey Pie", "Savoy Truffle"...). Mais "Glass Onion" est un faux ami : le titre de la chanson fait en réalité référence à la "bouteille oignon" possédant une base à grand rayon, qui servait dans les navires pour éviter qu'elle ne tombe lorsque la mer est agitée.

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Après le figuratif, place à la métaphore ! "The world is just a great big onion", clame avec conviction le duo de soul composé de Marvin Gaye et Tammi Terrell dès l'ouverture de ce morceau paru en 1969. Mais pourquoi le monde serait-il un oignon ? Parce que "la haine et la peur sont les épices qui vous font pleurer". Il faut donc "planter les graines de l'amour" pour s'en débarrasser.

On voit ici se manifester ce qui peut être une raison essentielle de la surreprésentation de l'oignon en musique : c'est un légume qui doit être pelé au prix d'un certain effort. Tammi Terrell n'entendra malheureusement jamais à la radio le fruit de sa collaboration : elle mourra d'un cancer du cerveau avant sa parution, à l'âge de 24 ans, ce qui fera pleurer Marvin Gaye plus fort que 1 000 oignons et aura une influence sur son chef d'oeuvre What's Going On.

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Après avoir été plutôt silencieux, l'oignon fait un retour discret en musique. Et pas n'importe où : on le trouve sur le premier album de Tortoise, groupe pionnier du post-rock, seulement deux ans après Spiderland de Slint que l'on a l'habitude de présenter comme la pierre fondatrice du genre. Tortoise a la particularité d'avoir un éclectisme d'influences étendu incluant le jazz et le dub.

Et l'oignon dans tout ça ? Difficile à dire car le post-rock est un style plutôt expérimental et sans paroles... Cela dit, vu comme le morceau fait peur, et de la part d'un groupe qui donne à ses albums des noms comme TNT ou The Catastrophist, on peut tenter l'explication suivante : le titre sonnerait le glas d'une société capitaliste si extractiviste que l'on en arrive à vendre sous du caoutchouc un légume qui est pourtant connu pour avoir sa propre peau.

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L'oignon continue tranquillement d'essaimer dans l'univers éblouissant du post-rock. Cette fois-ci, on ne nous dit pas s'il est vert ou jaune, emballé ou en en vrac, mais on peut supposer qu'il a toujours les mêmes orientations politiques étant donné qu'il est produit sur Constellation Records, label canadien notoirement anticapitaliste, pour le premier album de Do Make Say Think.

C'est probablement sur ce chef d'oeuvre que l'essence de l'oignon a été la mieux captée. Parce qu'il ne s'agit pas seulement d'une chanson, mais d'un leitmotiv que l'on retrouve sur tout l'album et qui se matérialise par une combinaison d'effets de synthétiseurs. Ces allers-retours incessants et lancinants peuvent illustrer le malaise provoqué par un oignon, mais donnent aussi la voie à une interprétation plus abstraite : ces sons font écho aux tracés elliptiques d'un oignon et aux multiples couches de sa structure, plus complexe qu'au premier abord.

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On quitte un peu les hautes sphères de l'abstraction pour entrer dans quelque chose de plus bourrin. Les Melvins sont un groupe actif depuis les début des années 1980 que l'on rattache en général au doom metal, un genre influencé par Black Sabbath. On peut en effet entendre, au début du morceau, que les riffs sont assez agressifs et que la joie n'est pas au rendez-vous.

La raison du titre est assez mystérieuse puisqu'il n'est fait aucune mention des oignons dans les paroles. On peut toutefois avancer que c'est encore une fois la dureté de l'oignon qui donnent à celui-ci un bon profil pour s'intégrer dans une musique teintée de désespoir. Je ne sais pas s'ils ont vraiment essayé de l'associer à du lait, mais après tout, ce n'est pas mes oignons.

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Ceci est une pépite aussi délicieuse que des petits morceaux d'oignon rouge dans une salade grecque. Shannon and the Clams est ce que je m'obstine à appeler un groupe néo-sixties, avec ses influences de garage psychédélique, de surf rock et de doo-wop. Le morceau a donné son nom à l'album dont il est l'un des plus frais et les plus croustillants, comme nourri par le soleil de la Californie.

Tandis que Marvin affirmait gayement que "le monde est oignon", Shannon clame : "je suis un oignon". On retrouve alors le même argumentaire à base de soucis à peler. Il ne manque plus qu'il vienne à l'idée d'un groupe de brailler que "Dieu est un oignon", et on aurait une jolie trilogie cartésienne aux oignons : j'existe en tant qu'oignon, donc Dieu est un oignon et le monde est un oignon.

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C'est d'un groupe bordelais, cette fois-ci, que nous vient ce délice de rock psychédélique. Et une fois encore, l'oignon s'est taillé une place de choix : c'est ce morceau que TH da Freak a choisi pour introduire son album Freakenstein. Sa lourdeur saturée en fait un des morceaux emblématiques de la tendance garage rock du groupe, par contraste avec l'esprit plus pop psychédélique d'un morceau comme "Mars Attacks!!" que l'on trouve aussi sur cet album.

Les paroles poursuivent la fonction métaphorique de l'oignon comme objet de tourments. Avec le clip promotionnel, le groupe réussit un petit tour de force. En effet, il réussit à tisser le lien entre les trois fonctions de l'oignon que l'on a déjà identifié dans des morceaux précédents : figurative, métaphorique et abstraite. Notez au passage cet interlude ô combien planant où les différents membres du groupe s'apprêtent à croquer l'oignon comme le fruit défendu.

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All Them Witches est un groupe de rock aussi gras qu'une quiche aux oignons sortie du marché de Nashville. A l'instar de Shannon and the Clams et dans une moindre mesure TH Da Freak, bien que dans un style encore différent, il s'inscrit dans la tradition groovy de l'oignon introduite par Booker T. & The MG’s. On trouve même sur ce morceau un orgue rappelant celui de "Green Onions".

Les paroles ne sont pas évidentes à interpréter. Que signifie "Fishbelly 86" ? Comme il est question de traîner la nuit dans les endroits sombres de la ville et de prendre du bon temps, "no onions" pourrait indiquer une faim assouvie dans un établissement de restauration rapide de type kebab, où les oignons sont fréquemment proposés dans les sandwichs alors que tout le monde n'en veut pas.

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Dans les années 2010, Foals a apporté une fraîcheur teintée de mélancolie au rock alternatif avec les très bons albums Holy Fire et What Went Down. Mais qu'ont-ils apporté aux oignons ? Ce morceau, paru sur la première partie du diptyque Everything Not Saved Will Be Lost en 2019. C'est un rock bien énervé qui peut rappeler un classique du groupe comme "My Number".

Criant "I see a lair", le groupe joue sur la quasi-homonymie entre "lair" (héritier) et "layer" (couche) pour mettre en abîme les multiples couches d'instruments qui constituent la trame de ce morceau, superposition de couches que l'on trouve également dans... les oignons ! Voilà peut-être pourquoi les morceaux aux oignons sont parfois un peu plus denses que la moyenne.