SensCritique a changé. On vous dit tout ici.
Les magico BD 2025
59 BD
créée il y a 4 mois · modifiée il y a 1 jourFrom Hell (1991)
Sortie : 24 octobre 2000 (France).
Roman graphique de Alan Moore et Eddie Campbell
Annotation :
Comme le spécifie largement la postface, From Hell est une tentative de proposer une énième variation d’un thème éculé, ressassé et vidé jusqu’à la moelle : ici Jack l’éventreur. Comment crée du nouveau, ouvrir des brèches insoupçonnées à partir d’un sujet connu de tous ? Moore et Campbell tentent d’y répondre, en abordant la question de façon très Moore : ça part dans tout les sens en mélangeant crimes sociaux, apocalypse, mythologies antiques, enquête au jour le jour, amourettes désespérées… Le lecteur est fatalement noyé et est d’ailleurs très vite averti de sa mort à venir par le long chapitre de ballade à travers le Londres ésotérique.
Le résultat se veut une annonce, presque une répétition générale, des grandes tragédies du XXème siècle. La boursouflure un peu maladroite propre au style des auteurs leur permet quoi qu’il en soit d’assouvir leur recherche de démesure et de plus ou moins emporter le lecteur, bien que certains passages accusent de la longueur et des ralentissements.
Beastars, tome 12 (2019)
BEASTARS
Sortie : 3 septembre 2020 (France).
Manga de Paru Itagaki
Annotation :
Lu du tome 12 à 22.
Seconde partie de la saga, où on sort de l’école pour voir un peu comment c’est la vraie vie de la société vraie des adultes.
Même pour une série de mangas, Beastars se caractérise par sa quasi absence de structure. On court – ou plutôt on marche tranquillement en faisant des pauses régulières – vers un objectif vague, la confrontation entre Legoshi et Melon, et on part du fait qu’il peut se passer tout et n’importe quoi sur le trajet, vraiment n’importe quoi, ce qui vient puissamment infléchir la narration « tranche de vie » d’un jeune paumé qui aurait pu rapprocher Paru Itagaki d’Inio Asano. On dirait que l’autrice – et son éditeur aussi sans doute - s’est rendu compte qu’elle se faisait un peu chier à raconter la vie d’un jeune homme prit dans ses petits boulots et ses atermoiements sentimentaux. Aussi on amènera Legoshi à combattre le crime et à œuvrer pour le bien commun. Le résultat, c’est ce retour à un manga type shonen aventure des plus classiques, incarné par l’indispensable mais inattendu – au vu de la ligne éditoriale suivie ici – tournoi de bagarre, avec boss final à la clef, qui vient clôturer la saga.
Et puis c’est très furry sinon.
Ne m'oublie pas (2021)
Sortie : 15 janvier 2021 (France).
BD de Alix Garin
Annotation :
Ne m’oublie pas creuse un filon éditorial assez riche ces dernières années ; celui des BD sur les troubles et les handicaps. Elle emboîte ainsi le pas à Ce n’est pas toi que j’attendais sur la trisomie 21, à Les petites victoires ou La différence invisible sur l’autisme…
Afin d’évoquer Alzheimer, la voie qu’à cependant choisi Alix Garin est celle du récit d’aventure abreuvé d’un symbolisme sans nuance. La relation entre Clémence et sa grand-mère se nouera ainsi dans un road-trip en mode seules contre tous, chargé en rencontres et en événements intenses (dont, exemplairement, la disparition de la grand-mère, chutant avec la maison de la falaise, ou encore la mort accidentelle de la biche).
Pas sûr, perso, que ce soit le meilleur moyen de s’intéresser à des maladies qui frappent avant tout le quotidien.
La Route (2024)
Sortie : 29 mars 2024.
BD franco-belge de Manu Larcenet
Annotation :
Grâce à un scénario générique de survie post-apocalyptique (j’ai pas lu le roman donc mon interprétation de l’œuvre originale s’arrête là), Manu Larcenet parvient, en multipliant à souhait les dessins illustrant une même situation, à constituer une base de données imagée du genre, très riche et assez complète. On a forcément vu ailleurs les peintures de la grande désolation, ces villes saccagées jusqu’à la poussière, ces immenses plaines mortes, ces sociétés qui se lancent dans le cannibalisme et le massacre d’innocents. Tout est ici repris et réagencé afin de rendre chaque dessin iconique, une incarnation idéale d’un angle du post-apo’.
Là-dessus, on peut facilement rapprocher La route des œuvres de Jens Harder, tous les Alpha… direction, Bêta… civilisations, tous se faisant les récepteurs dessinés d’un genre ou d’un thème.
Lebensborn (2024)
Sortie : 17 janvier 2024.
BD (divers) de Isabelle Maroger
Annotation :
Sans doute parce qu’il existe déjà un roman sur le même sujet, écrit d’ailleurs par la mère de l’autrice, Lebensborn va proposer une approche subjective de la découverte du passé, centré sur la narratrice-autrice exhumant ses racines trop bien enfouies. Ce récit, peut-être plus « intime » dans le sens où il s’ancre d’abord dans une réalité contemporaine avant de regarder vers les temps lointain, se retrouve plutôt bien accompagné par un dessin très « blogs BD », simple, arrondi et saisi sur de grandes pages blanches finalement plutôt efficace pour illustrer la vie privée.
Le choix de cette forme vient toutefois réduire l’aspect documentaire de la BD, et on en ressort seulement avec des bribes d’informations sur ses fameux lebensborn.
Nellie Bly : Dans l'antre de la folie (2021)
Sortie : 17 février 2021 (France).
BD franco-belge de Virginie Ollagnier-Jouvray et Carole Maurel
Annotation :
Une BD à plusieurs facettes, aussi bien sur la vie et l’œuvre de Nellie Bly que sur les conditions d’internement dans l’Angleterre victorienne. Ce double regard est plutôt bien équilibré grâce à des segments retraçant la jeunesse puis la carrière de la journaliste d’investigation s’intercalant à l’enquête en eaux psychiatriques troubles.
Pas mal étalée et détaillée à travers l’œuvre, les représentations de la misère sous tous ses oripeaux occupent une place de choix. L’approche est à la fois proche et différente de ce qu’ont pu faire Alan Moore et Eddie Campbell dans From Hell, bien plus cru et baroque mais habité du même souci de dépeindre les bas-fonds du XIXème siècle finissant.
Au nom du fils (2023)
Sortie : 30 août 2023.
BD (divers) de Pauline Djian, Jean-Blaise Mitildjian (Djian) et Sébastien Corbet
Annotation :
BD documentaire qui aurait pu être – et qui le reste un peu en fait – très classique dans sa facture, en entremêlant l’histoire de Stéphane et la réalité de la prison de San Pedro, si le dessin de Sébastien Corbet ne faisait pas aussi bien le taf. D’un côté, on a les rues dangereuses et pourtant assez paisibles de la prison, où se croisent détenus et touristes, où ont ouvert des bars et des commerces. De l’autre, un dessin assez caricatural qui se ménage quelques ouvertures, surtout pour les trognes : les airs de faux capitaine Haddock de Stéphane, tronche de baroudeur mais ancien cadre sup’, ou la dégaine de petit Méphistophélès du village de l’antagoniste, avec sa barbiche noire de Satan et ses lunettes de soleil opaques.
Mort aux cons (2022)
Sortie : 20 janvier 2022.
BD franco-belge de Éric Corbeyran, Carl Aderhold et Alexis Saint-Georges
Annotation :
Mort aux cons la BD – et le roman aussi sans doute – mise tout sur un absurde excessif. La théorie sur la connerie va ainsi loin, multipliant les expériences, quoiqu’une explicitation plus développée de son aspect spéculatif aurait sans doute était rire +. Surtout, la mise à mort des cons prend très vite une tournure génocidaire totalement impunie, enchaînant les 200 morts sans pause ni intervention spéciale de la police (elle est là, elle agit, mais très doucement).
Ce goût pour l’absurdité va peut-être jusqu’à la gloutonnerie. Les expressions smilesques répétées des personnages n’étaient peut-être pas nécessaires, alourdissant le dessin. Le gag en outre, bien que très sympa, montre des signes de déchirement à force d’être étiré, et on perd au fil des pages l’identité du con - comment le reconnaître, pourquoi l’éliminer – au profit d’un jeu de massacre estampillé « jouissif et régressif ». A mon sens, ça aurait pu être plus drôle en tirant plus fort sur la corde du traité teubé mais savant.
Automne 1152 - Légendes de la Garde, tome 1 (2008)
Mouse Guard: Fall 1152
Sortie : 24 janvier 2008.
Comics de David Petersen
Annotation :
Lu les trois premiers tomes.
Légendes de la garde s’en tient à développer une fantasy assez d4rk mais somme toute classique – avec héros élu et arme mythique – en partant d’une société « réaliste » de souris civilisées, astucieuses et nombreuses mais constamment menacées par la faim, le froid et surtout leur qualité de proies quasi universelles. L’expérience se montre plutôt marrante, et prend forme dans des quêtes concrètes : délivrer un message à une cité, ce qui prend du temps quand on a des kilomètres à parcourir et qu’on est tout pitit, affronter les furets ou les hiboux affamés… La nature devient ainsi une pourvoyeuse de mort dont il faut se prémunir par tout un système de défense et d’artifices.
Mais ne doutons pas ! Le plus grand des dangers vient de l’intérieur ! Aussi la série multiplie à l’envie les complots et trahisons relevant de l’intrigue politique retorse qu’on retrouve pour le coup régulièrement en fantasy.
Toutes les morts de Laila Starr (2022)
The Many Deaths of Laila Starr
Sortie : 6 mai 2022 (France).
Comics de Ram V et Felipe Andrade
Annotation :
La bureaucratie kafkaïenne chez les dieux fonctionnent plein tube dans la panthéon hindou. Elle passe toutefois bien vite dans un lointain arrière-plan au profit d’une BD mystico-policière à humour noir : accompagner la déesse de la mort dans sa traque de celui qui inventera la potion de l’immortalité.
Marrant, inventif (le temple taoïste qui parle !), se cherchant peut-être des rebondissements et une fin trop poseurs, trop philousofe, on reste quoi qu’il en soit tenu par le rythme de l’enquête toute métaphysique soit-elle, comme dans un bon noir en fait.
Ulysse & Cyrano (2024)
Sortie : 5 juin 2024 (France).
Roman graphique de Antoine Cristau, Xavier Dorison et Stéphane Servain (Servain)
Annotation :
Ulysse et Cyrano tient son intérêt dans un récit simple et pourtant extrêmement touffu. Derrière l’éternelle histoire de l’émancipation – histoire exagérée en outre par les dimensions qu’elle prend, Ulysse étant ni plus ni moins appelé à régner sur une des plus grosses entreprises du pays – se déploie une multitude de facettes sur l’univers de la cuisine, ce qu’il contient de plaisirs et de difficultés. On relèvera également une utilisation malin + du contexte (les soubresauts de l’épuration) et d’un symbolisme ludique (Cyrano, grand, ventru, barbu, renvoie inévitablement à un ogre), le tout allié à un dessin dynamique et très lumineux.
Aquaman: Andromeda (2022)
Sortie : 7 juillet 2023 (France).
Comics de Ram V et Christian Ward
Annotation :
On a pas cherché ces dernières années à donner un nouveau ton – plus moderne ? Plus sérieux , plus sombre ? - au Batman. Sans que ce soit évident à définir, on a cherché à le rendre plus quelque chose, peut-être plus ouvert aux analyses critiques de profondeur. Il était logique, dans l’économie du super-héros, qu’on s’étende à d’autres mythes du comics. Aquaman devait donc avoir son tour.
On reste sur un livre à destination des profanes. Malgré quelques signaux bien éclairant du lore, n’importe qui devine qui est le gentil, le méchant et où va aboutir la découverte du truc chelou.
La BD s’appuie sur quelques mécaniques de l’horreur pour assurer ses effets, sans aller trop loin. Le récit rappelle pas mal les histoires à la Jeff Lemire, qui lui-même renvoie à la narration trouble et aux retournements du turfu à la Christopher Nolan.
Fourmies la Rouge (2021)
Sortie : 5 mai 2021.
BD (divers) de Alex W. Inker
Annotation :
A travers sa narration, la BD opte pour une approche très documentaire des répressions du 1er mai 1891. On suit des personnages dont on a pour la majorité d’entre eux eu une existence réelle et documentée. Le démarrage in medias res, sans contextualisation trop importante,, participe à cette immersion axée sur une recherche des faits. Aussi le dessin et les dialogues sont-ils déployés à faire ressortir au plus vite les caractéristiques des personnages : patois et mines usées des ouvriers, haut-de-formes et mépris affichés des bourgeois.
Alex W. Inker, plus que dans Colorado Train, développe sinon un style qui sent l’héritage de Tardi, avec ces faces rondes et son univers très machiniste. Ça fonctionne bien, notamment avec les camaïeus de rouge qui peps les pages tout en leur donnant une dimension tragique.
Hideout (2011)
Sortie : 27 octobre 2011 (France).
Manga de Masasumi Kakizaki
Annotation :
Sans doute massivement inspiré de La colline à des yeux (que j’ai pas vu makabou, mais qui me hype maintenant après lecture) qui parvient à tirer son originalité de cette étrange et inexpliquée esthétique gros yeux, fièrement exposée dès la couverture, et dont on fera moult pleines pages. Pour le reste, on demeure en terrain conquis, avec mines sombres et obscures et scénario désespéré sur des trucs qui choquent (généalogie foireuse, isolement triste et insensé, vieux mec moche aux tendances vraisemblablement psychotiques). Les persos sont en outre tous d’horribles enculés, sauf les innocents dont l’intrigue nie toute profondeur.
Stacy (2024)
Sortie : 21 août 2024 (France).
BD (divers) de Gianni Alfonso (Gipi)
Annotation :
Variation sur le thème du psychopathe, avec narration éclatée et intrigues imbriquées.
Gipi est rugueux dans le dessin, moins dans les idées (ou en tout cas moins que dans La terre des fils) quoi que le rire jaune suscité par le protagoniste falot en prise avec son démon intérieur et un monde éditorial malhonnête vire assez vite au malaise.
Gaza 1956 : En marge de l'Histoire (2010)
Footnotes in Gaza
Sortie : 14 janvier 2010 (France).
BD (divers) de Joe Sacco
Annotation :
Kolossale BD, dans tous les sens de l’adjectif, sur l’histoire et son articulation avec l’actualité. Comment en effet offrir un compte rendu des massacres survenus à Khan Younès et Rafah en 1956 quand les sources écrites sont rares, quand la majorité des témoins ont soit disparu soit sont âgés, dotés parfois d’une mémoire sacrément sélective et inventive, quand surtout on mène l’enquête en plein Gaza assiégé, où la guerre et la pauvreté menacent en permanence, et où le passé n’a pas l’air de peser bien lourd face à l’urgence du présent ? Se développe ainsi toute une réflexion sur la pertinence de l’histoire et de son intérêt, sur l’impossible méthodologie déterminant ce qui doit être retenu et ce qui peut être oublié.
Comme on pouvait s’y attendre au vu de sa taille, Gaza 1956 s’impose également comme une très solide BD documentaire, saisissant un espace de conflits au début des années 2000. La BD a suffisamment d’humilité pour interroger – comme elle le fait avec l’histoire – le bien fondé du témoignage artistique et/ou journalistique, sur sa capacité à embrasser et questionner le réel.
Et le dessin, en fausses rondeurs, laissant la part belle aux visages perdus dans des paysages ravagés ou menacés, suffit presque à lui-même pour porter ces interrogations.
Avant - Cadres noirs, tome 1 (2022)
Sortie : 16 février 2022.
BD franco-belge de Pascal Bertho, Pierre Lemaitre, Giuseppe Liotti et Gaétan Georges
Annotation :
Lu la trilogie.
Adaptation d’un roman de Pierre Lemaître, paru en 2011 (pas lu).
Le titre, ainsi que la première partie dédiée aux splendeurs et misères d’Alain Delambre, petit cadre cinquantenaire pris dans les lames des plans sociaux et des restructurations d’entreprise, pouvaient présager d’une œuvre axée nettement vers le social. Si celui-ci demeure bien présent, on se tournera vite vers le thriller décapant bourré de rebondissements peu plausibles, de personnages tellement marginaux qu’ils échappent à la réalité (le « gang » de Delambre) et de méchants à la James Bond, correctement représentés par un Blofeld PDG tout de blanc vêtu et un chef de sécurité à la tête de nazi. Pourquoi pas en vrai, même si l’aspect thriller me paraît trop rocambolesque pour qu’on y croit totalement, mais le contrecoup s’impose quand la trilogie balance en gros format ses prétentions documentaires (typiquement, la première de couverture du tome 3) qui ne suivent pas le rythme du récit.
Tumulte (2019)
Tumult
Sortie : 24 mai 2019 (France).
Comics de John Harris Dunning et Michael Kennedy
Annotation :
Tumulte exploite une esthétique très en vogue à la fin des années 2010, celle d’un méta rétro, versant vers une temporalité large allant des années 50 aux années 70 servi avec un scénario croisant genres et références : espionnage, science-fiction, drame et fantastique.
Morgane, le « personnage-sujet » on va dire, souffre ainsi d’une forme de schizophrénie ludique, avec des doubles personnalités bien tranchées, archétypales – un sultan, un fossoyeur – dont une s’associe à une figure du Mal à ne pas réveiller. Le plaisir de la BD tient là-dedans et ne prétend pas vraiment apporter quelque chose de plus.
Le Dernier Festin de Rubin (2024)
Rare Flavours
Sortie : 30 août 2024 (France).
Comics de Ram V et Filipe Andrade
Annotation :
On saluera Le dernier festin de Rubin pour sa capacité à choisir un angle original pour aborder ses thématique. La figure de l’ogre est ainsi reconduite, certes, mais saisie dans la mythologie hindoue (ce qui n’est pas banal dans une BD occidentale) et éclairée sous un jour épicurien, humaniste même, dépassant l’imaginaire inquiétant qui l’enrobe d’habitude. On parle de bouffe, mais sous forme de documentaire, en s’interrogeant en quoi celle-ci rassemble. Le dessin de Filipe Andrade lui aussi vient jouer sur les contraste, se plaisant à tailler des lignes et des personnages filiformes là où le protagoniste s’incarne comme massif et arrondi. Le jeu très cru des couleurs vient compléter le tableau.
Ambivalent, jouant sur un personnage dangereux et pourtant très humain, sur un aller-retour des légendes à la contemporanéité, voilà un coumics qu’il est bon.
Le Dieu-Fauve (2024)
Sortie : 5 avril 2024.
BD franco-belge de Fabien Vehlmann et Roger Ibañez Ugena (Roger)
Annotation :
Le dieu-fauve joue la carte de la grosse fantasy bagarreuse en l’abattant dans un jeu polyphonique. On passe ainsi du documentaire animalier à la peinture d’une civilisation belliqueuse pour aboutir à un récit de cataclysme et à un survival en plein air. Sans grande surprise, le tout fait tenir une illustration de la violence, primordiale, sociale, viscérale, éternelle.
Le drame est sombre d’autant plus qu’il prend bien soin de déjouer toute tentation au manichéisme. Le dieu-fauve renvoie aux monstres chasseurs et « anti humain », cousin mammalien d’un alien ou d’un predator, mais on a passé tout le premier chapitre avec lui, limitant son altérité inquiétante. Les nobles et seigneur de l’empire esclavagiste savent se draper dans une interprétation politique du monde pour justifier leurs pouvoirs et leurs actes. C’est pas très fun, et même la possible entente qui aurait pu s’établir entre la bête et l’esclave finit lettre morte.
Au passage, on a le droit à un worldbuilding vraiment propre, dessinant ses pays, ses entités politiques et ses légendes à la lumière de l’apocalypse qui a eu lieu. Ça fonctionne et l’univers se présente comme convaincant.
Les Celtiques - Corto Maltese, tome 6 (1972)
Le Celtiche
Sortie : avril 1980 (France).
BD (divers) de Hugo Pratt
Annotation :
Les grosses aventures de Corto Maltese, plus que jamais sous le signe de la Première Guerre Mondiale, que ce soit dans un récit d’espionnage (« L’ange à la fenêtre d’Orient »), une relecture de légendes arthuriennes (« Songe d’un matin d’hiver ») ou une chasse au trésor pleine d’explosions et de rebondissements (« Sous le drapeau de l’argent »). On notera également un goût prononcé pour les masques, les intrigues embrouillées et la manière dont ils sont préparés dans les borgeries, en particulier dans le très sympa et très irlandais « Concert en O mineur pour harpe et nitroglycérine » qui rejoue le thème du traître et du héros.
On privilégie fatalement la liberté individuelle et les mondanités de fortune sur les grands orgues de la politique, l’Histoire (avec gros H) aspirant les individualités dans un marasme dégueulant. « Burlesque entre Zuydcoote et Bray-Dunes » en offre sans doute l’exemple le plus complet.
Le dragon ne dort jamais (2020)
Sortie : 18 mars 2020 (France).
BD (divers) de Vojtech Masek, Dzian Baban et Jiří Grus
Annotation :
Inspirée librement, avec un bon assaisonnement de désespoir et de malaise existentiel, d’une chronique bohêmienne de Xième siècle, revenant sur la fondation mythique d’une cité (je sais plus laquelle jpp) permise par la mise à mort d’un dragon. Tout le jeu de la BD va tenir dans la représentation dudit dragon, bien en chair et en flammes de l’enfer, mais responsable aussi d’émanations diaboliques excitant fourberie, méchanceté et bassesse parmi les hommes.
On retrouve finalement un Moyen Âge hanté, où la nature entière, incarnée par la forêt sombre et mystérieuse, complote l’extermination du genre humain.
L'Aventurier (2024)
Sortie : 4 septembre 2024 (France).
BD franco-belge de Alessandro Tota et Andrea Settimo
Annotation :
Grosse ambiance fantasy renaissante dans L’aventurier, avec des signaux historiques – la ville de Ravenne, la peste, les costumes – qui demeurent dans un flou total – quelle est donc la ville dont Anselmo devient roi ? Et qui sont donc ces barbares à repousser ? On touche ici le point le plus saillant de la BD, peut-être sa principale force et sa grande faiblesse. On navigue de pages en pages entre le roman (graphique) d’initiation, le conte philosophique, la fantasy SF sauce rétro 70’, l’aventure picaresque… A force de chasser 36 lièvres en même temps, les auteurs se retrouvent un peu en peine à nous raconter quelque chose de solide, mais ce sautillement d’une condition à l’autre, d’un genre à l’autre, n’est-ce pas ça, l’aventure ?
Quand à la grosse réflexion développée ici – on vit plus pleinement, plus héroïquement quand la mort pose déjà sa main sur son épaule – elle est traitée correctement sans être révolutionnaire, car déjà bien raclée ailleurs. Encore une fois, la versatilité de la BD se refuse à une analyse du truc trop profond, ce qui est pas plus mal finalement au vu de l’histoire et de son rythme.
Impénétrable (2024)
Sortie : 13 septembre 2024.
BD franco-belge de Alix Garin
Annotation :
Une BD d’auto-fiction sur les tourments et malaises d’aujourd’hui, sujet s’il en est exploité jusqu’au tarissement des ressources. Cela dit, Impénétrable propose de traiter de la sexualité sous un angle assez inusité, celui de la douleur de l’amour physique, pouvant être porté à un niveau médical et psychologique, étalé sur plusieurs années et charriant son lot de doutes et d’inquiétudes. Alix Garin fait en outre le choix de refuser la crudité tout en s’efforçant de livrer un témoignage vraisemblablement honnête de cet épisode. Suivant cette combinaison, la conclusion se tient : on a plus affaire à un récit d’amour, auscultant les relations charnelles et émotionnelles entre individus, qu’à un témoignage-documentaire sur la sexualité et ses difficultés.
The Nice House on the Lake (2021)
Sortie : 3 février 2023 (France).
Comics de James Tynion IV et Álvaro Martínez Bueno
Annotation :
Même si j’ai pas la culture pour ça, j’ai vraiment l’impression que la BD ici présente se place sous influence directe de la forme sérielle. Ca dénote dans le chapitrage, réservant une partie à chacun de personnage, qu’on pourrait décalquer sans problème en épisodes. Globalement, ça fait preuve d’efficacité, et on découvre sans précipitation les règles et les limites de la-prison-dorée-mais-la-prison-quand-même.
L'Attaque des Titans, tome 13 (2015)
Shingeki no Kyojin
Sortie : 6 mai 2015 (France).
Manga de Hajime Isayama
Annotation :
Lu du tome 13 à 17.
C’est sans doute un passage obligé de la forme sérielle – ou du moins de sa mouture années 2010 – l’arc, assez long au demeurant, ou le sujet central de l’œuvre – ici les titans – est rejeté au second plan au profit d’une intrigue jusqu’alors annexe, voire inexistante. L’invasion des monstres anthropophages est donc mise en stand by afin de laisser Eren et ses potes enquêter sur les sombres soubassements de la monarchie à travers une intrigue de thriller politique. Le rythme est soutenu et ça offre un appel d’air à la saga qui accusait certaines lourdeurs dans les tomes précédents. D’un autre côté on sort pas mal du sujet.
Impression fugace ou cruelle réalité, je trouve que le dessin se fait moins précis, parfois seulement ébauché ici ou là. Des soucis de proportions des corps – alors justement que les titans sont out – apparaissent de temps en temps, grosse tête mais petites mains. La rançon, peut-être, d’un graphisme très longiligne.
A part ça, le titre de la couverture la plus immonde est décerné au tome 15 et à la grosse tête de surpris d’Eren, saisie sur un terrible fond blanc en surbrillance.
Les Vierges de Thessalie - Daemon, tome 1 (2025)
Sortie : 31 janvier 2025.
BD franco-belge de Vincent Brugeas et Ronan Toulhoat
Annotation :
Une première aventure qui apparaît beaucoup comme un teaser. Les enjeux sont pas bien lourds pour les héros et on se contente de les suivre dans leurs supers aventures du moment.
Le style Brugeas – Toulhoat épouse plutôt bien la fantasy mythologique et les amateurs devraient y trouver leur compte. Les indémodables sourires de la trahison tendant les zygomatiques jusqu’aux oreilles sont bien entendu abondamment exploités. La BD boitille tout de même assez méchamment, par manque de contexte peut-être, mais surtout par l’absence de certaines scènes. La conception de Daemon, belliqueux fils d’Arès contraint d’obtenir de la gratitude des falots et pusillanimes mortels sous peine de se changer en marbre, tient quelque chose de vraiment sympa par le contraste qu’elle induit. Malheureusement, on ne verra jamais Daemon se comporter comme le demi-divin connard qu’il est censé être, et on le découvrira relativement coolos pour un tueur sanguinaire. Dommage parce qu’il n’en manque pas beaucoup à la BD pour insuffler du véritable epic.
Les Éthiopiques - Corto Maltese, tome 5 (1972)
Le Etopiche
Sortie : janvier 1978 (France).
BD (divers) de Hugo Pratt
Annotation :
On continue les grosses aventures de Corto, cette fois-ci sous le soleil impitoyable de l’Afrique du nord et de la colonisation, en compagnie du moyennement cool Cush. Beaucoup de magie et de sorciers à moitié fous seront conviés, faisant sporadiquement basculer la BD dans l’onirisme qu’affectionne tant Hugo Pratt, qui demeure cela dit plus soft que dans d’autres de ses tomes.
Beaucoup de sang et de flingues. Plus que jamais, l’aventure se fait l’arme au poing, pas pour conquérir de nouveaux horizons mais plus pour survivre à une mort qui guette en cette fin de guerre mondiale.
La Galère noire - Thorgal, tome 4 (1982)
Sortie : mai 1982 (France).
BD franco-belge de Jean Van Hamme et Grzegorz Rosinski
Annotation :
Lu du tome 4 à 6.
L’incrêyâble cycle de Brek Zarith qui marque une nouvelle envolée dans l’epic pour la série. Le tome 6, avec sa forteresse bourrée de pièges et hantée par une sombre magie décadente, impose un respect digne des temple maudit et autre exploration de l’obscur qu’on pourrait trouver dans un Indiana Jones ou chez les émules de Lovecraft.
Van Hamme et Rosinski ont sinon le souci de la variété (peut-être un peu trop) et on alterne à travers ces trois tomes de la Rome décadente aux voyages oniriques par-delà la mort et les abysse. Chaque tome possède sa tonalité et son registre, lui donnant un souffle bien particulier.
Bref ça défonce tout, et même si le dessin se fait parfois trop mobiuséen, si Van Hamme se réapproprie beaucoup des recettes qui ont fait leurs preuves ailleurs, le tout fonctionne du tonnerre, avec pile ce qu’il faut comme références pour être efficace.
Souffler sur le feu (2024)
The once and future riot
Sortie : 6 septembre 2024 (France).
Roman graphique de Joe Sacco
Annotation :
On retrouve en Inde, dans l’État de l’Uttar Pradesh, ce qui avait fait la force de Gaza 1956. Un enchaînement de témoignages, d’enquêtes menant partout et nulle part pour tenter de comprendre, ou du moins d’approcher, un contexte qui paraît totalement hors contrôle, dont la violence est suscitée aussi bien par des idéologies, des rumeurs, du remous social que par de petits tracas et disputes du quotidien. Joe Sacco se fait ce coup-ci plus caustique envers les figures politiques qui cherchent à maintenir dans leur sens le grand bordel ambiant, en mentant, en traficant et finalement en avouant leur impuissance.
On se retrouve aussi avec une description pointue de la foule comme puissance sociale et politique dans l’Inde contemporaine, pouvant lancer des lynchages ou des bouleversements à l’échelle nationale.

