Livres 2023

Annotation :

"Il approchait, lent, avec un son sourd, bien martelé, répercuté par les planchers anciens. Il entra, au bout d'un temps qui nous parut interminable, dans le chemin éclairé. Il était presque blanc, gigantesque : le plus grand nocturne que j'aie vu, un grand-duc plus haut qu'un chien de chasse. Il marchait emphatiquement, en soulevant ses pieds noyés de plume, ses pieds durs d'oiseau qui rendaient le son d'un pas humain."

Annotation :

"Aucun organisme vivant ne peut supporter longtemps un contact prolongé avec la réalité; même les alouettes et les sauterelles rêvent, de l'avis de certains. Hill House avait banni le rêve et se dressait, solitaire et maléfique, sur son promontoire; elle était là depuis quatre-vingts ans et serait probablement là encore dans quatre-vingts ans. Les murs étaient droits, les briques bien assises, les planchers solides et les portes convenablement fermées. Le silence régnait dans la demeure et l'être qui y marchait y marchait seul."

Annotation :

"Elle ressemblait, en dormant, un peu au Dante, un peu à un hidalgo fin, un peu au saint Jean-Baptiste vu par Léonard de Vinci. Coupé le foin précieux de la chevelure, et cachés le sein, la main, le ventre, que reste-t-il de nos dehors femelles ? Le sommeil remporte un nombre incalculable de femmes vers la forme qu'elles auraient sous doute choisie, si l'état de veille ne les entretenait pas dans l'ignorance d'elles-mêmes."

Annotation :

"C'en est fini de notre amitié comme de notre enfance. Ses derniers lambeaux se détachent de moi comme une peau brûlée par le soleil qui se desquame, et sous elle se montrent les prémices d'un âge laborieux, impossible. Je relis mon cahier de poésie, tandis que la nuit s'écoule derrière les vitres et, à mon insu, mon enfance tombe en silence au fond de ma mémoire, cette mémoire du coeur où je puiserai sagesse et connaissance le reste de ma vie."
.
C'est la Tove fever
https://www.nytimes.com/2023/01/07/obituaries/tove-ditlevsen-overlooked.html

Annotation :

"Quand on rencontrait des gens qu'on n'avait pas vus depuis plusieurs années, leur visage était altéré, inconnu, vieilli, sans que personne eût essayé de s'y opposer. On ne l'avait pas surveillé et il avait échappé aux mains protectrices qui auraient dû le soutenir hors de l'eau pour l'empêcher de se noyer. On s'était laissé distraire par autre chose, on n'avait pas pris soin de ce visage et, au dernier moment, on l'avait remplacé par un autre, volé à un mort ou à quelqu'un qui dormait et qui, du coup, n'avait plus qu'à se débrouiller comme il pouvait. Il était ou trop grand ou trop petit et portait les traces d'une vie qui n'était pas celle du nouveau propriétaire."

Annotation :

"Non, non, elle ne pourrait appartenir à un homme, et accepter l'intimité de corps et d'âme qui résulterait de leur vie commune, pour s'apercevoir peut-être, un jour, qu'elle n'avait jamais connu cet homme et lui était restée inconnue, aucun d'eux n'ayant rien compris aux paroles de l'autre.
Non, non. Elle vivrait parce qu'elle attendait non un amant mais un maître."

Annotation :

"Il avait eu du chagrin, mais il n'avait pas pleuré; il n'avait même pas été au bord des larmes. Sa mère avait pleuré mais, trois jours après, elle n'y pensait plus alors que Mark, lui, y penserait toujours. Voilà ce que c'était de ne pas pleurer."