Oh David !

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Certes, certes, on ne saura jamais à quoi aurait ressemblé le Roi pâle si Wallace ne s’était pas suicidé le 12 septembre 2008, mais plutôt que de regretter l’hypothétique résultat d’impossible conjectures, autant se réjouir d’avoir ce dernier waterzooï à nous mettre sous la dent ! En passant d’ailleurs, grâces soient rendues à Michael Pietsche (l’éditeur d’Infinite Jest) qui a réussi à mettre sur pied un roman crédible à partir des valises de manuscrits et des disquettes d’ordinateur que l’auteur avait laissées derrière lui. De toute façon, l’aspect éclaté du texte n’a rien d’étranger à la méthode wallacienne, où c’est toujours plus l’intensité des séquences qui prime que leur agencement au sein d’une intrigue qui ferait sens. Et en l’occurrence, les chapitres qui se succèdent, avec une logique qu’on finit par découvrir peu à peu, forment un réjouissant feu d’artifice où se mêlent comme toujours innovation littéraire, émotions violentes, humour décalé, causticité sans pitié mais sans cynisme. Autre point de ressemblance avec les oeuvres précédente, et qui fait partie du bonheur de lire Wallace : une mosaïque de déglingués aux traumas variés (du plus drolatique au plus tragique) toujours déclinés avec la même prise de distance parfaitement dosée, mais avec cette fois ci un récit cadre particulièrement original, puisque tous ces personnages travaillent pour le fisc étasunien, dans un centre des impôts à la croisée d’Orwell et de Kafka. Ultime occasion pour le romancier de donner libre court à ses merveilleux délires descriptifs des pires machines conceptuelles humaines. Et là, il s’en donne à coeur joie, avec une férocité et une précision sans pareilles.

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Les huit nouvelles qui composent le recueil font partie des dernières écrites par Wallace, entre 2000 et 2004, en parallèle à son travail sur Le Roi pâle. Si on y retrouve pas mal des thèmes qui émaillent ses fictions précédentes - la société de consommation à tout crin, la solitude de l’homme moderne, le désespoir, les tiraillements d’un couple - l’auteur semble ici particulièrement attiré par les expérimentations formelles, multipliants les variations autour du monologue comme autant de mosaïques complexes jouant avec la temporalité et les effets disruptifs. Les trois textes les plus virtuoses à cet égard sont « Mister Squishy », « l’âme n’est pas une forge » et « the suffuring channel ». La première est une plongée hilarante dans la psyché d’un analyste marketing en train de réaliser une enquête consommateur pour une nouveau gâteau au chocolat, dans la seconde un narrateur revient sur un épisode traumatisant de son enfance, et la troisième retrace la virée dans l’Illinois d’un journaliste cherchant à écrire un article sur un artiste doué d’un don fécal hors du commun. Trois histoires aux frontières de l’absurde, mais qui sont comme tiraillées en contrebande par une inquiétude intrinsèque, que Wallace distille comme un poison imperceptible au creux de ses phrases interminables et faussement décontractées.

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Les trois recueils de Wallace s’entrelacent avec ses trois romans : "la fille aux cheveux étranges" correspond à "la fonction du balai" (années 80), "L'Oubli" au "Roi pâle" (années 2000) et ces "Brefs entretiens" se tiennent au milieu, en parallèle avec "Infinite Jest" (années 90). C’est sans conteste le recueil le plus expérimental, dans lequel l’auteur joue au maximum avec les règles et limites du « post-moderne », notion qu’il n’aura cessé d’interroger, de remettre en question, d’illustrer ou de critiquer de l’intérieur. Tout au long des 23 étapes (plutôt que 23 nouvelles, puisqu’en fait certaines sont dissociées, alors que d’autres se partagent le même titre sans pour autant faire suite), Wallace met en oeuvre un panel impressionnant de procédés littéraires où la distanciation et l’ironie se mêle à l’introspection psychologique, l’extrême préciosité au rendu le plus cru des dialogues, dans un mélange des genres toujours plus fou à mesure que progresse le recueil. C’est bluffant, mais sur le fil du rasoir, car comme toute gageure, celle-ci menace de tourner un peu au procédé. Un procédé que Wallace, c'est évident, maitrise comme personne, et qu’il met lui même en scène avec brio (par exemple dans le texte Octet). Et puis reste que prises une à une, les nouvelles sont des modèles du genre (la conclusion de la série Brefs entretiens est ainsi d’une force émotionnelle rare, même si le second degré reste patent).