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20 livres

créee il y a 5 mois · modifiée il y a 2 jours

Les Heures marseillaises
1.

Les Heures marseillaises (1878)

Sortie : 1878 (France). Récit

livre de Horace Bertin

Chaiev a mis 7/10.

Annotation :

Bien avant Albert Londres ou André Suares, Bertin tente une physiologie de Marseille façon mosaïque. C’est que le bouillonnement et les contrastes forts ne sont évidemment pas l’apanage des années 20 du XXe siècle : nous sommes en 1876 et déjà la cité phocéenne ne peut se raconter que par un kaleidoscope d’images, de sons, d’odeurs, des plus suaves aux plus fortes, des plus subtiles aux plus primaires. L’auteur ne manque pas de verve, et choisit de construire son petit voyage en 24 stations, une par heure, de façon à croiser tous les publics, dans tous les décors, à tour de rôle, afin de tracer un portrait amoureux et amusé de sa ville natale, tellement entière et toujours diffractée.

« L’amateur de melon est d’abord difficile, exigeant, ne se laisse pas prendre aux discours du paysan ou de la marchande. Ce n’est qu’après avoir passé en revue plusieurs melon, les avoir soupesés, tournés, retournés, qu’il se décide à faire son choix. Il s’en va radieux avec son melon sous le bras, content de son flair et en homme enfin pour lequel le melon n’a plus de secrets. Arrivé chez lui, il vante son acquisition, affirme que le melon sera bon, exquis, que sa chair est fine, sucrée, raconte que le marchand a eu un visage étonné et n’a pu s’empêcher de le prendre pour un connaisseur. Le melon ouvert, on constate qu’il tient de la courge. Notre amateur pâlit, crie, jure, essaye d’expliquer son erreur. Mais il recommence le lendemain... »

L'Homme qui s'est retrouvé
7.3
2.

L'Homme qui s'est retrouvé (1936)

Sortie : 1936 (France). Roman, Science-fiction

livre de Henri Duvernois

Chaiev a mis 7/10.

Annotation :

Du coup, sur ma lancée, je continue à citer les avis éclairés, et pour le coup j’emprunte ces quelques mots à Gide, qui circonscrit assez bien ce que j’ai ressenti à la lecture du roman : « Car ce qu’écrit Duvernois, et qui comporte parfois des moments d’une réussite unique, – je sais ce que je dis, – n’est pas fait pour le public auquel il s’adresse et qui le reçoit. Il est trop fin, trop délicat, trop subtil pour lui plaire. Alors, il ne satisfait pas ceux qui le lisent, et ceux qu’il devrait toucher ne le lisent pas… ». En passant, j’aime beaucoup cet énigmatique « je sais ce que je dis », d’une fracassante immodestie. Y’a que Dédé pour oser dire ça sans une once d’humour. Bref, Duvernois est moins snob que Gide, il ne croit pas que certains publics sont cantonnés à certains sujets, mais néanmoins, comment ne pas être frappé par les trésors de style déployés pour une sorte d’histoire qui normalement ne repose que sur ses ressorts dramatiques. On ne va pas se plaindre, ça n’en rend la lecture que plus agréable et c’est tout à l’honneur de ce brave Henri que de ne pas se montrer sectaire, dans un sens ou dans l’autre. Par contre, l’effet pervers c’est que mieux il écrit et plus on regrette que son idée de départ ne soit pas à l’arrivée plus fouillée, plus excentrique, plus vertigineuse. C’est peut-être pour ça que Jules Verne écrivait si plat ?

Demain s'annonce plus calme
3.

Demain s'annonce plus calme (2021)

Sortie : 20 mai 2021. Roman

livre de Eduardo Berti

Chaiev a mis 6/10.

Annotation :

Bon après tout, puisque l’auteur lui même dans sa préface parvient à résumer parfaitement le principe de son exercice de style, autant lui laisser la parole : « Le livre présente une série de dix éditions différentes d’un même quotidien, dans lequel les nouvelles (au double sens du terme, journalistiques et littéraire) se déploient et se tissent de manière toujours chronologique, mais avec des ellipses, car les dix numéros ne sont pas consécutifs. Quelques nouvelles vont du premier au dernier journal, comme un feuilleton ; d’autres sont plus éphémères ou inconstantes, comme dans la vie ».
Ce qui n’est pas précisé là, c’est que tous ces mini-récits qui avancent lentement d’une édition à l’autre relèvent tous (sauf un, touchant au propre comme au figuré le monde de la peinture) de la chronique littéraire, mini tempêtes secouant le pays imaginaire qu’on ne connaitra pas par ailleurs, et où la météo, toujours troublée, s’annonce pourtant plus calme pour le lendemain. Des titres de livres vandalisés par des plaisantins très oulipiens (Berti lui-même émarge à l’Ouvroir), des lecteurs métamorphosés par leur lecture de Kafka, d’autres qui recréent dans leur ville les décors de leurs romans préférés, un auteur qui ne veut plus conclure ses romans policiers, les idées cultivées par l’Argentin sont autant de clins d’oeil à la Bibliothèque de Babel de son illustre concitoyen. La promenade est amusante, mais s’essouffle néanmoins, à force de se répéter et de tourner en rond.

Hors-Bord
7.5
4.

Hors-Bord (1976)

Speedboat

Sortie : 9 janvier 2014 (France). Roman

livre de Renata Adler

Chaiev a mis 8/10.

Annotation :

La grande force du bouquin est certainement son originalité, mais on pourrait tout aussi bien dire que la grande originalité de ce bouquin c’est sa force. En fait, l’expérience même de sa lecture est dévastatrice, tant les agissements de l’autrice, de l’autre coté du tube (ben ouais, allez), sont subversifs, et désopilants. Renata Adler piétine avec tellement de grâce, de fragilité, de naïveté même (qui pour être jouées n’en sont pas moins réelles, ou disons qu’à force d’être jouées elles n’en deviennent que plus réelle, faisant du texte une sorte de créature de Frankenstein échappant à son maitre), piétine donc les centaines de pistes lancées par la voix narrative comme autant de fusées trempées, que la profusion du vide finit par prendre une place folle. Et forcément la bulle créée ainsi rend très difficile le moindre commentaire hors sol, dans une sorte d’effet contaminant : comme si le livre refermé – sur lui-même - plus aucun discours ne pouvait tenir debout.

« Il me semble que l’ "autoapitoiement" n’est qu’un synonyme péjoratif de tristesse. Mais tous ces gens qui, d’après les journaux, "blaguent avec les infirmières" me fascinent. Dès qu’une personne a pris un coup, perdu certaines facultés ou un membre de sa famille, on dit très souvent qu’elle a  "blagué avec ses infirmières". La vie d’une infirmière doit être d’une drôlerie infinie. »

Bandits à Marseille
5.

Bandits à Marseille (1968)

Sortie : 1968 (France).

livre de Eugène Saccomano

Chaiev a mis 6/10.

Annotation :

Si la pègre marseillaise (et villes circonvoisines) fait le délice des romanciers de polars depuis l’entre-deux-guerres, le volet plus documentaire ou historique est nettement moins exploité lorsque Saccomano, alors jeune journaliste à la Provence, rayon yé-yé, décide à la fin des années 60 de lui consacrer un ouvrage. Son idée, comme il l’exprime dans la préface, était de « raconter les truands sans vouloir une seule seconde les expliquer ou les comprendre. Au lecteur de se faire une idée du problème. La mythologie du gangster plein d’humanité et de principes ne m’intéresse pas. Elle repose sur de fausses données. Le Milieu est bourré de contradictions si bien qu’un bandit peut être aussi un couard qu’un autre sera noble. Sa vie dangereuse conditionne ses réactions. Ainsi devant la difficulté, il choisira indifféremment la lâcheté ou le courage. ». Il n’y a donc rien à romancer pour lui, rien à idéaliser, et c’est vrai que le portrait qu’il fait du Milieu est assez loin de la mythologie habituelle. Le livre pèche par un manque (assumé) de construction ou de recul : il s’agit plus d’une série de récits qui reviennent sur quelques grandes figures et quelques coups plus ou moins connus, entre les années 20 et les années 60 (la partie sur Carbon et Spirito a d’ailleurs donné l’idée à Delon de monter un film pour Belmondo et lui, ça sera Borsalino et son énorme succès en 1974). Mais ce que Saccomano ne sait pas au moment où il publie le livre, c’est qu’il vient de témoigner d’un monde qui vit ses dernières heures : la mise à mort en juin 67 d’Antoine Guerini, racontée à l’ouverture du livre, est le début de la fin pour la fameuse French Connection qui aura alimenté la légende noire de Marseille depuis les années 20.

La Solitude Caravage
6.7
6.

La Solitude Caravage (2019)

Sortie : 20 février 2019. Biographie, Peinture & sculpture, Récit

livre de Yannick Haenel

Chaiev a mis 7/10.

Annotation :

Ben solitude je ne sais pas, vu le nombre de livres écrit sur le gars, et les torrents d’encre qu’il a pu provoquer, après trois cents ans de disparition totale des radars. Alors du coup Haenel tente une biographie décalée, le moins biographique possible même, en en faisant un outil d’autobiographie, une sorte de portrait de lui en creux, en ombre chinoise (ou lombarde, en l’occurrence). Pour autant, le peintre assassin n’est pas un faire-valoir, car le lien que ressent l’écrivain envers lui est à la fois puissant, intime et sincère. Cela lui permet de très belles envolées sur les tableaux en particulier et la peinture en général, voire carrément le fait artistique dans tous ses détours qui mènent inlassablement au même point ses officiants. Petit bémol pour ma part, néanmoins : je trouve l’exercice brillant, mais quelque peu répétitif. On friserait presque la complaisance parfois (le "presque" étant une nuance importante) sur un sujet qui pourtant devrait inspirer la concision, Caravage ayant tout de même comme caractéristique première d’être un peintre à l’os, qui va toujours droit au but. S’il est vraiment assassin, c’est de l’anecdotique et du superflu, avec lui tout ce qui compte est là (même l'invisible et l’ineffable), et tout ce qui est là compte.

Lettre à mes tueurs
7.4
7.

Lettre à mes tueurs (2004)

Sortie : 2004 (France). Roman

livre de René Frégni

Chaiev a mis 6/10.

Annotation :

Autodidacte et franc-tireur, Frégni a vécu plusieurs vies, passant par les prisons, les hopitaux, les salles de rédaction, et en a tiré toutes sortes de romans, sans forcément choisir un genre de prédilection. Ici, on est dans sa veine polar : un peu anar, et à la sauce marseillaise, où les flics peuvent se montrer volontiers pourris, et les marlous serviables. C’est sympatoche et bien mené, mais un peu court en bouche comparé à un Fajardie ou un Manchette.

Qui a fait le tour de quoi ?
7
8.

Qui a fait le tour de quoi ? (2020)

L'affaire Magellan

Sortie : mars 2020. Essai

livre de Romain Bertrand

Chaiev a mis 7/10.

Annotation :

La 4e de couverture laisse espérer beaucoup, surtout à l’aune de la lecture du livre que Bertrand avait dirigé l’année précédente, L’Exploration du monde. Le livre en tant que tel m’a un peu déçu comparé au programme annoncé. Néanmoins, les principes iconoclastes et décentrés mis en œuvre sont de toute pertinence et salutaires : il y a une véritable jubilation à déconstruire les mythes élaborés depuis des siècles par un Occident aussi mégalomane qu’arrogant et agressif, et l’historien le fait avec un humour corrosif et une plume alerte. Mais peut-être à cause de l’origine du texte (tiré d’une série de causeries en plein air), ou alors parce que la volonté de départ – autant changer de point focal que donner la parole aux prétendus vaincus – se heurte à un manque de source, le projet n’aboutit pas complètement : il y a des trous dans la tapisserie, un vide acoustique, un appel d’air. Frustration d’un côté, mais en même temps, pourrait-on rétorquer, preuve par l’exemple de l’éradication, physique et mémorielle, qu’a provoquée la fièvre insensée des explorateurs/colonisateurs européens.

Paul Carpita, cinéaste franc-tireur
9.

Paul Carpita, cinéaste franc-tireur (2009)

Sortie : 15 avril 2009. Entretien, Cinéma & télévision

livre de Paul Carpita et Pascal Tessaud

Chaiev a mis 7/10.

Annotation :

L’ouvrage est une longue interview du réalisateur du Rendez-vous des quais, œuvre à la fois remarquable par sa forme hors norme (une sorte de nouvelle vague avant l’heure, détachée de toutes règles établies, instinctive, buissonnière et non-conformiste) et par son histoire dramatique : le film relatant à chaud la grève des dockers de Marseille en 1949/1950, fut censuré avant sortie et resta invisible jusqu’à sa redécouverte fortuite en 1989. Si le dialogue avec Pascal Tessaud revient évidemment très largement sur cette aventure princeps, qui a vu tout en même temps une voix originale croître et disparaître, il est aussi l’occasion de se promener avec un artiste et un pédagogue simple et facétieux à travers plus de 50 ans de lutte, d’utopie, d’engagement, qu’il soit politique ou social, en tout cas d’un humanisme chevillé au corps. A l’image de son film, Carpita est un mélange assez irrésistible de naïveté, de sincérité et de bonne volonté, qui permet de voir d’un point de vue très éloigné de celui des nantis cinéastes de la Capitale.

Les Pierres sauvages
7.2
10.

Les Pierres sauvages (1964)

Sortie : 1964 (France). Roman

livre de Fernand Pouillon

Chaiev a mis 8/10.

Annotation :

L’architecte Fernand Pouillon, disciple d’Auguste Perret et principal coordinateur de la reconstruction du quartier St Jean (rive droite du Vieux Port de Marseille, dynamité par les Allemands en 43) se retrouve entre 61 et 64 en prison préventive, accusé de malversation et de non respect des règles de séparation censées rendre incompatibles le métier d’architecte de celui de promoteur. La situation a beau être d’une injustice assez criante (la cour d’appel finira par réduire sa peine de quatre à trois années d’emprisonnement, ce qui au moment de la sentence correspond exactement au temps qu’il a déjà passé en prison, d’où sa libération quasi immédiate), le roman qui nait pendant ce temps de réclusion n’a rien d’un brûlot rempli de rage et de fougue. Il est très intéressant d’ailleurs, en marge de ce que raconte le journal du frère Guillaume ­– moine bâtisseur du XIIe siècle en charge de l’édification d’abbayes dont l’architecture doit répondre aux nouveaux canons imposés par la révolution cistercienne ­– de suivre les liens subtils que tisse l’auteur entre ce passé si reculé et sa situation présente si bouleversée. L’incroyable talent littéraire dont fait preuve cet architecte-ingénieur n’est pas la moindre des surprises que ce texte un peu hors norme réserve au lecteur assez patient pour suivre jusqu’au bout ces neuf mois mouvementés pendant lesquels une abbaye, le Thoronet, passe du statut de projet à celui de bâtiment sacré. Dans les faits, l’abbaye en question a pris plus de quinze ans pour être achevée, mais le roman de Pouillon est clairement plus du côté de l’allégorie que de l’enquête historique, même si l’auteur traite tous les détails techniques avec une attention et une précision chirurgicales. C’est un peu ce mélange des genres, entre philosophie, sagesse, spiritualité, et chronique d’une construction avec tout ce que le sujet comporte de problèmes concrets et spécifiques, qui fonde la force de l’écriture de Pouillon, et n’est pas sans échos avec la façon qu'avait Yourcenar de mêler l'intime à l'extime.

« Ainsi, en égard à mes intentions profondes, à mes sentiments sur l'architecture future, j'ai déterminé simultanément les limites du possible et du beau dans chacun des éléments constructifs. L'analyse de la matière a institué la règle du jeu futur : laquelle, à son tour, a défini rigoureusement l'aspect lui convenant. Je n'ai pas dit "Je veux" sans voir. J'ai regardé, soupesé les difficultés de chaque chose, la considération m'a fait dire :

Marseille Confidential
5.2
11.

Marseille Confidential (2018)

Sortie : 8 mars 2018. Roman, Policier

livre de François Thomazeau

Chaiev a mis 6/10.

Annotation :

Le cri d’enthousiasme prétendument poussé par Ellroy en couverture semble, disons le d’entrée, un peu exagéré. Ou sorti de son contexte. Ou apocryphe. En tout cas c’est une lame à double tranchant, car c’est donner au futur lecteur des attentes qui semblent bien loin du roman qu’il a dans la main. Non pas d’ailleurs que le roman en question soit mauvais, mais bon on est loin à la fois du génie et de la manière d’Ellroy. Si d’un point de vue purement polar le bouquin laisse donc un peu à désirer (l’enquête est sinueuse mais un peu poussive), et que l’écriture de Thomazeau est d’une neutralité qui finit par lasser, il y a par contre un chouette travail de documentation sur le Marseille des années 30, entre Front populaire et Incendie des Nouvelles Galeries. Tout ce pan là du livre est très bien vu et forme une toile de fond plus convaincante que l’intrigue en tant que telle : acointance entre le Milieu et les hommes politiques, avec comme règle du jeu générale l’ocpportunisme et le retournement de veste... Carbone et Spirito, Sabiani, les frères Guérini se partagent la ville et les sources de profits interlopes dans une ambiance « fin de règne » où toutes les frontières s’estompent, sous les yeux impuissants ou complices des flics, des magistrats et des journalistes.

Planète sans visa
7.5
12.

Planète sans visa (1947)

Sortie : 1947 (France). Roman

livre de Jean Malaquais

Chaiev a mis 7/10.

Annotation :

En zone libre jusqu’à la fin 42, et fort de son statut de port cosmopolite ouvert sur le Grand Ailleurs, Marseille sera, on le sait, un espoir et un tourment pour tous ceux qui choisissent l’exil une fois les hostilités commencées. Car pas de promesse sans inquiétude, pas de sauvetage sans menace : puisque c’est par ici qu’on peut partir, c’est aussi là que s’exerce la surveillance la plus tatillonne. Cette ambivalence de la fuite a donné lieu à beaucoup de romans qui posent leurs bagages dans la cité phocéenne – dont le fameux Transit de Seghers, au titre aussi simple que programmatique. Malaquais lui-même s’y est réfugié juste après la capitulation française mais son roman, touffu et rhizomique, prend un peu le contre-pied de toutes les œuvres écrites sur le sujet, puisqu’il préfère tenter non un tableau dynamique mais plutôt une synchronie quasi statique. Il ne s’agit pas tant de raconter le mouvement, de ceux qui viennent pour partir, mais plutôt de creuser le point au creux duquel planter le regard panoptique, qui tourne comme une caméra en panoramique (et non en traveling). Le point de vue englobe tout le monde, des plus pauvres aux plus riches, des plus fascistes aux plus internationalistes, des plus cyniques aux plus idéalistes, mais ne saute en aucun cas d’une aventure à l’autre : il ne se met pas à la place de, il se pose et observe les pantins, les victimes, les bourreaux, les audacieux. Il en résulte une grande neutralité bienveillante, comme un pas de côté salutaire pour ne pas immédiatement sauter à des conclusions par trop simplificatrices. Mais aussi, puisque souvent tout ce qu’on gagne d’une main il faut le perdre de l'autre, une sorte d'engourdissement parfois pesant où la volonté de l’historien de ne pas trancher finit par rendre la lame du romancier un peu émoussée.

Corniche Kennedy
6.5
13.

Corniche Kennedy (2008)

Sortie : 25 août 2008. Roman

livre de Maylis de Kérangal

Chaiev a mis 4/10.

Annotation :

Les minots qui sautent depuis les rochers je sais pas, mais moi je suis content de mon exploit : je suis allé au bout d’un Kerangal ! Généralement j’ai du mal à finir ses 4eme de couv, mais pour Naissance d’un pont (oh la la rien que le titre j’ai envie de me flinguer) j’avais passé la page 3 ! Yeaah. Mais pas la 4 (deux fois de suite à un an d’écart). Alors qu’on se mette bien d’accord, je ne pense pas que ce soit grâce aux qualités intrinsèques du livre que j’ai pu atteindre la dernière page, hein. Non vraiment des qualités je n’en vois aucune (si ce n’est que ça ne fait pas 800 pages, mais bon en « température ressentie » ça m’a fait le même effet qu’un bottin albanais en trois tomes : de A à Ll, de M à Rr et de S à Zh (oui l’albanais a des lettres bizarres, du coup 36 au lieu de nos 26 à nous, et ouais) faut que je referme la première parenthèse, hop). Donc euh, je disais quoi ? Ah ben que je déteste positivement cette écriture faussement pas chichiteuse alors qu’elle l’est terriblement. Chichiteuse. Avec ces points. Partout au milieu. Des phrases… Brrr j’arrête là, ça me rappelle toutes ces paragraphes totalement inutiles à répéter en boucle la même chose (parce que même si ça fait pas 800 pages, le tout pourrait tenir en 8 ou 10 pages en fait – qu’on a déjà lu ailleurs mille fois). Voilà, moi en ce qui me concerne je n’y retournerai plus, basta. Comment ? Pourquoi celui-là je l’ai lu jusqu’au bout ? Ah ben à cause de Marseille, c’est bête hein. Parce que franchement ça se passerait à Amiens ça serait pareil (non plus court en fait, les gamins sauteraient de la cathédrale à la page 2, et fin de l’histoire). Coquin de sort.

Le jour où mon père s'est tu
6.6
14.

Le jour où mon père s'est tu (2008)

Sortie : mars 2008. Récit

livre de Virginie Linhart

Chaiev a mis 7/10.

Annotation :

Le mutisme de Robert Linhart, l’auteur de l’Établi, m’a toujours intrigué. Non pas le pourquoi, ça encore c’est assez transparent au vu de ce qu’il a vécu pendant ses années de lutte et l’échec généralisé qui s’ensuivit, mais plutôt le comment. La seule chose qui était dite dans les rares articles sur lui c’était qu’à partir de 1981 il s’était enfermé dans le silence. C’était tellement expéditif qu’au début j’avais cru qu’il s’agissait d’une métaphore de la part des commentateurs, alors qu’en fait le silence de Linhart est tout ce qu’il y a de plus concret et si métaphore il y a, elle serait plus de l’ordre du vécu, coté Robert. Virginie sa fille, elle, a vécu de plein fouet ce comment, et c’est d’abord plus vers le pourquoi qu’elle dirige son livre-témoignage. Mais l’intéressant c'est que très vite, et sous nos yeux, il change diamétralement de direction : lorsqu’elle comprend que personne parmi tous les ex compagnons de route de son père ne pourra faire autre chose que répéter la même litanie - quel malheur tout de même lui qui était si brillant, et que cette litanie là n'explique rien. Alors de fil(lle) en aiguille, elle en vient à accepter cette aporie, et retourne le miroir vers elle, et vers tous les enfants des militants parisiens de mai 68, pour essayer de voir si quelque chose les relie entre eux, et si la fracture qu’elle sent irrémédiablement installée en elle à cause de tout ces silences amassés se retrouve d’une façon ou d’une autre chez eux. C’est une quête, une enquête, beaucoup plus qu’une analyse construite et argumentée. Pas un procès à charge d’une époque, d’une mentalité, mais un témoignage assez poignant depuis l’intérieur du tambour de la machine à laver, programme essorage intense. Récit foutraque d’une adulte à jamais froissée par son enfance hors norme, qui multiplie les questions en nous laissant le soin d’y trouver quelques réponses, ou non.

Comme à Gravelotte
15.

Comme à Gravelotte (1968)

Sortie : septembre 1968. Roman, Policier

livre de Louis Salinas / Édouard Rimbaud

Chaiev a mis 6/10.

Annotation :

C’est sûr que quand on s’appelle Rimbaud, tout doit vous pousser à la littérature, ou bien vous inhiber tellement qu’il faut beaucoup pour vous y décider. Avant d’y venir sur le tard, et affublé d’un pseudo, Édouard aura multiplié les identités : policier pendant la guerre, résistant, libraire et puis, suivant la pente de la facilité lui l’enfant de Marseille, membre à part entière de la Pègre à l’heure triomphale de la French Connection. C’est de l’avoir entendu raconter ses riches heures dans le milieu qui m’a donné envie de lire ses romans noirs, et j’ai commencé par le premier, écrit juste avant qu’il ne se fasse pincer aux Etats Unis (apprenant que ses « amis » l’ont trahi, il passera aux aveux pour réduire sa peine de 30 ans de prison). Petite déception par rapport à la faconde de Doudou (son nom de guerre, et le titre de son autobiographie publiée en 2000) : son polar est un poil trop sage et trop classique. Certes, les caïds y parlent leur langue fleurie, mais il n’est encore ici question ni de drogue ni de trafic, juste une affaire de casse de coffre-fort. C’est bien raconté, et Doudou ne se gêne pas pour renvoyer dos à dos les truands et les flics quant à la discutabilité des méthodes employées, mais ça reste un peu court en bouche, tant on a l’impression de n’avoir là qu’un tout petit glaçon comparé à l’énorme iceberg qui se cache au fond du pastis.

Madame Phaéton
16.

Madame Phaéton (1885)

Sortie : 1885 (France). Roman

livre de Clovis Hugues

Chaiev a mis 8/10.

Annotation :

Comme quoi le gars a eu bien raison de participer à la Commune de Marseille (qui n’a même pas duré dix jours), puis de se faire élire député des Bouches du Rhône (le premier député à venir d’un parti ouvrier, avant même que n’existe le parti socialiste), et de lutter pour l’avènement de la Sociale, car voilà qu’avec tout ça il a eu le droit à une rue à Marseille, dans le quartier de la Belle de mai, me permettant par la même occasion de le découvrir. Ce qu’il faut de hasards pour exhumer certains diamants enfouis ! Car Clovis a beau être passé du coté des illustres inconnus son roman (le deuxième de trois, c’est qu’entre sa vie de journaliste et sa vie d’activiste, il n’avait pas beaucoup de temps) n’en reste pas moins un vrai petit bijou d’insolence acérée, d’humour cruel et d’observation sociologique qui n’aurait pas à rougir de se retrouver à côté d’un Maupassant ou d’un Huysmans. C’est que le talent de l’auteur est non seulement de mener sans temps mort le récit des turpitudes d’un couple hors norme (le cocher et la nymphomane, pourrait on résumer un peu lapidairement) dans un milieu hypocrite et pourrissant, mais de le mener avec une dextérité dans la forme et le style qui pour le coup laisse assez loin derrière lui pas mal de grands noms qui l’auront coiffé au poteau de la postérité (oui Emile, je pense surtout à toi, mais t’inquiète, tu peux te rendormir tranquille, le brave Hugues et sa prose filetée ne peuvent rien contre l'unanimité que récoltent tes trompettes assourdissantes).

« Déjà il pressait la main de la baronne qui lui pressait la main et très rapidement elle était venue la minute ensorceleuse où la danse, ébauchée en vertige, vous met un éblouissement d'étoiles dans les yeux. 
Quel était celui des deux qui avait eu l'idée ? Comment cela les avait-il pris? L'un avant l'autre ou ensemble ? Est-ce qu'ils savaient? Est-ce qu'on sait jamais ?
Vous allez, vous tournez dans de la lumière et dans du bruit, vous adorant, vous désirant avec passion, depuis des mois, peut-être depuis des années, sans avoir osé vous le dire et tout à coup, le rapprochement se change en étreinte. Pourquoi ? parce que. Et il n'y a pas d’autres raisons. »

De visu
17.

De visu (2007)

The Pesthouse

Sortie : février 2009 (France). Roman

livre de Jim Crace

Chaiev a mis 7/10.

Annotation :

Le roman de Crace fait partie d’une sorte de renouveau du post-apo, au même titre que La Route parue deux ans avant, et de toute une moisson qui suivra dans les années 2010 et jusqu’à aujourd’hui où le sous-genre fait florès, tant il vibre à l’unisson de nos angoisses de plus en plus réalistes, de moins en moins fantasmées. Un des points saillants de ce nouvel avatar est une certaine distance prise envers la catastrophe elle-même, et la présence d’une façon ou d’une autre de la maladie, preuve s’il en fallait que la littérature est bonne sismographe. Ici donc, on n’en saura jamais vraiment beaucoup sur ce qui a fait péricliter le monde tel qu’il était, pas plus qu’on n’aura le droit d’avoir une vision très claire de ce qu’il est devenu, si ce n’est comme souvent une sorte de Moyen Age recommencé. A tel point d’ailleurs que le livre pourrait effectivement se dérouler au XIVe siècle sans avoir grand-chose à modifier (les personnages eux-mêmes n’ayant pas l’air d’avoir la moindre idée d’à quoi ressemblait la civilisation pré-apo. Un point partout). En fait, c’est un peu comme si cette donnée était plus mise en branle pour ébranler le lecteur que pour mobiliser les personnages : on passe son temps à chercher des indices alors qu’eux s’en fichent totalement. Humour britannique peut-être, pied de nez désenchanté venant nous prévenir que non seulement nous périrons dans nos chairs, mais que même le souvenir qu’on aurait pu laisser disparaitra sans ambage. Pour le reste (le roman moyenâgeux, donc), disons que ça se lit agréablement, sans jamais atteindre malheureusement la fulgurance que l’écriture des tout premiers chapitres laissait espérer. L’entrée en matière est mystérieuse, chargée, puissante, poétique, méandreuse, mais le romancier se laisse peu à peu gagner par une certaine facilité, voire une superficialité qui étonne. Heureusement que ses deux personnages principaux sont attachants, car on en viendrait presque à regretter que les aventures qu’ils traversent ne soient pas, bien que cahotiques, plus fulgurantes et rêches que ça.

« Margaret et lui n’avaient pas exactement échafaudé de plan, mais peu importait. Un plan n’aurait sans doute aucune valeur dans un monde où tout était déjà cabossé et tordu. Il leur suffirait d’agir d’instinct, comme des enfants qui essaient de marcher sur une corde raide. On ne peut faire de choix sur une corde raide, on ne peut que tenter le seul et unique pas en avant, et ensuite le suivant. »

Le Pain des jules
18.

Le Pain des jules (1960)

Sortie : 1960 (France). Roman, Policier

livre de Ange Bastiani / Maurice Raphaël

Chaiev a mis 6/10.

Annotation :

Parfois comparé à Céline, autant pour son verbe truculent que pour ses amitiés antisémites pendant la guerre, Lepage change de pseudo et de crémerie dans les années 50 : de Maurice Raphaël, il devient (entre autres) Ange Bastiani, spécialisé dans le polar tendance sudiste. Une sorte de Simonin avec l’accent corse en somme, ou marseillais, ou toulonais selon l’endroit où se déroule l’action. Concernant le Pain des Jules, ladite action n’est pas d’une originalité transcendante (je crois qu’on peut aller jusqu’à parler d’une patente paresse méridienne), et les personnages masculins sont réduits à n’être que des pantins bavards – par contre oui c’est vrai que Bastiani a le sens de la formule, ses dialogues sont gouleyants. Vite lu vite oublié, il reste cependant un frémissement d’originalité : la place occupée par les femmes dans le récit, dont elles sont, tout feu tout flamme, le véritable pivot, malgré ce qu’ont l’air de penser leurs macs machos et bas de la casquette.

La Réalité
19.

La Réalité (2009)

Realidad

Sortie : 13 février 2014 (France). Roman

livre de Sergio Bizzio

Chaiev a mis 6/10.

Annotation :

Il y a un petit coté Cesar Aira dans ce court roman : unité de lieu / unité de temps, récit en prise directe avec l’actualité, une certaine ironie à la fois mordante et engagée : ça va vite et ça frappe fort. J’ai trouvé Borgenstein plus abouti, mais celui ci prend aussi plus de risque, en lorgnant du coté de la satire sociale et politique, avec cette prise d’otage foutraque organisée par un commando islamiste au sein d’un jeu de téléréalité complètement coupé, comme il se doit, de la réalité. L’ensemble reste - volontairement ? - flottant et laconique, mais dans le détail il y a des scènes et des situations assez savoureuses qui épinglent sans lourdeur tout l’absurde de nos sociétés de divertissement, que ce dernier soit du type pascalien ou du type TF1.

L'Œuvre au noir
7.7
20.

L'Œuvre au noir (1968)

Sortie : 1968 (France). Roman

livre de Marguerite Yourcenar

Chaiev a mis 7/10.

Annotation :

J’ai été plutôt surpris par le ton assez bariolé avec lequel Margo commence son histoire. Je m’attendais à quelque chose de plus plombant, de plus froid et intériorisé. Du Holbein plutôt que du Bosch. Cette façon très libre d’entrecroiser les fils tient toute la première partie, qui voit les histoires se chevaucher (celle de Zenon, le prêtre alchimiste, celle de son cousin soldat sur les guerres qui opposent en ce XVIe siècle bouillonnant Charles Quint et François Ier, et celle de sa mère partie avec son mari tenter l’aventure anabaptiste à Münster.) Et puis les années passent, et d’itinérant le roman se fait sédentaire, se recentrant autour de la seule figure de Zenon. Moi à partir de là j’ai un peu décroché, je trouve ça nettement moins convaincant, ou en tout cas très répétitif et trop distancié. Cette bascule joue d’ailleurs aussi sur le plan stylistique : de bout en bout, l’écriture de Yourcenar est somptueuse, à la fois d’une souplesse et d’une richesse époustouflante. Mais autant cette précision mêlée d’ironie colle parfaitement à la première partie, autant elle finit par enfermer dans la deuxième le personnage dans ses rets, comme si elle devenait une cage un peu trop bien ciselée qui le contraint, l'enserre, ne le laissant plus aussi bien bouger et respirer.

« Vous autres poètes avez fait de l’amour une immense imposture ; ce qui nous échoit semble toujours moins beau que ces rimes accolées comme deux bouches l’une sur l’autre. Et pourtant, quel autre nom donner à cette flamme ressuscitant comme le Phénix de sa propre brûlure, à ce besoin de retrouver le soir le visage et le corps qu’on a quittés le matin ? Car certains corps, frère Henri, sont rafraîchissant comme l’eau, et il serait bon de se demander pourquoi les plus ardents sont ceux qui rafraichissent le plus. »

Chaiev

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