Pourquoi j'analyse les oeuvres par l'éducatif ?

Annotation :

Le Roi Lion est un beau film. Il est visuellement attrayant, accompagné de musiques élégantes, dont certaines chansons qui sont devenues cultes. Le scénario est bien construit, le rythme est agréable, les personnages sont bien écrits. En bref, c'est un film artistiquement bien réalisé. (Je n'entre pas ici dans les débats sur le plagiat, ce n'est pas mon sujet, j'ai juste pris le Roi Lion parce que c'est un film très populaire et largement considéré comme bon.)

Cela en fait-il un film épanouissant ? D'abord, non, parce que ce n'est pas dans ces préoccupations que se situe cette réflexion. La partie artistique peut soutenir la pédagogie d'une œuvre, c'est-à-dire sa capacité à transmettre son enseignement, mais elle ne dit rien du contenu de cet enseignement.

Or que dit le Roi Lion ?

Que chacun a sa place par nature et qu'on n'en change pas. Mufasa est roi parce qu'il est intrinsèquement légitime à l'être. Ce qui est censé se voir par son apparence : il est puissant, peint de couleurs positives et doté d'une voix claire. Scar, à l'inverse, est maigre, sombre et un peu féminin. Il est par nature illégitime à être roi.

Parce qu'il est illégitime à l'être, son pouvoir engendre des conséquences dramatiques. Les herbivores fuient, les plantes se meurent, l'eau ne coule plus et même le ciel est sombre. Tous ces changements sont sans fondement logique, ils sont symboliques. Les herbivores étaient déjà chassés par les lions et par les hyènes (elles devaient bien se nourrir avant) et ils ne semblaient d'ailleurs nullement dérangés à l'idée d'être dévorés par les lions lorsque Mufasa régnait. Les plantes n'ont pas de raison de disparaître puisque ni les lions ni les hyènes ne les consomment et qu'en plus il y a moins d'herbivores. L'état de l'eau et du ciel ne peut évidemment pas être imputé à la présence des hyènes.

Non, ces catastrophes ne sont pas des conséquences logiques. Mais c'est que le monde tout entier est corrompu par l'essence mauvaise de Scar. Ainsi, les méchants sont méchants par leur nature même et inversement les gentils ont quelque chose à eux qui fait que les choses qui dépendent d'eux se passent bien.

Simba est par ailleurs destiné à être roi. Le pire qui puisse lui arriver de ce point de vue est de devenir un "pauvre petit roi de pacotille", comme dit Zazou. On notera d'ailleurs qu'il ne lui pas qu'il pourrait devenir un roi malfaisant. Ce qu'il risque, c'est l'incompétence, pas le changement de sa nature profonde, qui est bonne.

(1/2)

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On pourrait être tenté de me dire : "mais c'est la royauté qui est ainsi, l'enfant succède au parent". Certes mais rien n'a obligé Disney à utiliser ce système, qui est même à l'opposé de celui des lions.

Simba a hérité de la légitimité naturelle de Mufasa à régner. Ainsi, peu importe qu'on ne le voit pas s'entraîner et que factuellement il n'ait jamais chassé de grand animal de sa vie, il sera capable de vaincre Scar à partir du moment où il en aura pris la décision. Son corps est devenu naturellement apte à cette tâche sans qu'il ait eu à s'en préoccuper. De la même façon, le fait que l'on nous montre que Nala est meilleure combattante que Simba n'a aucune conséquence sur l'ordre établi. La forcé des lionnes n'a d'ailleurs aucun poids dans le renversement de Scar avant qu'elle ne soit mise au service du destin de Simba.

Qu'on aime ou non le Roi Lion, ce qui n'est pas mon sujet, à mon avis le message profond qui le sous-tend n'est pas propice à l'épanouissement humain et même a de bonnes chances de lui nuire. Car le déterminisme que j'ai décrit ici porte un nom en psychologie : l'état d'esprit fixe (fixed mindset). Il s'agit d'une tendance à penser les choses, notamment les choses psychologiques (l'intelligence, la personnalité, les qualités humaines...) comme des éléments innés, dont on est doté ou non et qui changent peu dans la vie. On sait que favoriser cet état d'esprit est mauvais, parce qu'il rend fragile face à l'échec, moins capable de faire face aux difficultés et aux changements et qu'il concentre l'attention sur la performance, le prestige et la validation sociale. Ce qui rend toute forme d'apprentissage moins efficace, moins profonde et tend à rendre plus hostile dans la perception des autres.

Bien des gens sont capables de faire un excellent travail d'analyse artistique, voire politique, d'une œuvre comme le Roi Lion. Ce qui m'intéresse, moi, c'est ce que ça influence dans notre façon de penser le monde, les autres et nous-mêmes. Cela n’empêche pas d'apprécier le film pour d'autres raisons. Mais on ne peut pas prendre de recul sur quelque chose qu'on ne connaît ou ne comprend pas. Si on n'a pas en tête les rouages psychologiques d'une œuvre, alors on les subit. Au contraire, en apprenant à les voir et à s'y intéresser, on peut diriger son attention sur des œuvres qui vont nous aider à grandir.

(2/2)

Annotation :

Voici mon second exemple sur le sujet. Un autre film bien connu et très apprécié lui aussi. Mais dont la valeur psychologique est toute autre.

De quoi parle Princesse Mononoke ? Nous commençons avec un garçon frappé d'un mal qui pourrait bien être incurable et qui devra affronter de redoutables épreuves pour tenter de guérir. Le résultat est incertain et la tâche est immense, mais Ashitaka décide d'essayer de toutes ses forces. Ce qu'il découvre, c'est que le monde est compliqué et que chacun peut trouver des raisons de causer des problèmes à d'autres. Il n'y a pas forcément de gentil ou de méchant, mais des personnes qui font des choix plus ou moins bons et plus ou moins contraints. Dans ce vaste chaos, chercher à "porter sur le monde un regard sans haine" paraît terriblement difficile. Comment ne pas haïr tel ou tel camp, qui a fait du mal à tel autre ?
Dans ce monde, on peut être une redoutable cheffe même si on est née femme dans une condition mauvaise. On peut être une louve même si on n'en est physiquement pas une. On peut faire le mal par cupidité, par vengeance, par sentiment de nécessité pour sa survie et ce même mal peut rendre borné, cruel, idiot (les orangs-outans) ou même malade (les sangliers). Finalement, le mal peut même détruire le monde tout entier (le dieu cerf).

Tout le long du film, la quête d'Ashitaka semble terriblement difficile à mener et on est bien tenté·e de prendre parti pour les uns ou pour les autres. Il est avec tout le monde et avec personne car son ennemi c'est le mal lui-même. La paix du début du film est relative (il y avait déjà des conflits) et celle de la fin également (tout n'est pas résolu, on a seulement empêché la catastrophe). Car Princesse Mononoke n'est pas un film à propos de ce qui est ou n'est pas, c'est une question de progression, de choix et d'influences multiples. Ashitaka ne devient pas une autorité, il ne gagne ni argent ni célébration particulière. Ce n'est pas ce qui est important. Il a avancé et contribué à ce que les autres avancent aussi. On ignore ce qu'il adviendra du monde ensuite, mais on sait que se battre pour ce qui est juste a du sens. Cela ne veut pas dire que tout le monde peut absolument tout accomplir et qu'il suffit de le vouloir pour que ça fonctionne. Mais que qui que vous soyez, vous pouvez faire quelque chose pour que le monde soit plus harmonieux.

(1/2)

Annotation :

Tout cela porte un nom en psychologie : l'état d'esprit de développement (ou de croissance) (growth mindset). Au contraire de l'état d'esprit fixe, il s'agit d'une tendance à penser les choses comme étant en perpétuel mouvement et ayant toujours la possibilité d'évoluer. Il ne s'agit pas de nier les dispositions naturelles ou la situation mais de toujours chercher comment faire progresser ce qui est. Parce qu'il oriente sur le processus d'apprentissage (au sens large) plutôt que sur le résultat, l'état d'esprit de développement rend plus curieux·se, plus à même d'apprendre et de réfléchir d'une façon efficace. Il tend également à rendre plus résilient·e et plus persévérant·e. Car lorsqu'on pense une situation ou une compétence comme pouvant toujours être améliorée, alors devant la difficulté, on redouble d'efforts plutôt que d'abandonner.

Ainsi, quoi que vous pensiez de la valeur artistique de ce film, il est bon pour votre vie. Il vous expose à un message qui va vous influencer dans le bon sens. Le fait qu'il soit artistiquement réussi amplifie la portée de ce message. Comme le film est beau et intéressant, la nourriture psychologique qu'il vous apporte est plus accessible. Même si vous n'avez pas réfléchi à ces soubassements, vous en avez profité. Si vous y réfléchissez, c'est encore mieux.

(2/2)

En conclusion, il y a bien des choses à prendre en compte et je vais essayer dans le futur de détailler ce que j'étudie (via d'autres listes). Mais au moins, vous avez une idée de comment je réfléchis mes analyses. J'essaie d'aller au-delà du goût (j'aime / j'aime pas) et d'explorer l'impact profond des œuvres sur nous. Car tant qu'on ne comprend pas comment les choses nous influencent, on ne peut pas choisir librement ce que l'on en fait.