Culs-serrés, sorcières et reproductions historiques.

"16 Lunes" est un livre assez sympathique, dans le genre. Il ne jouit pas d'une notoriété aussi éclatante que les sagas classiquement adulées par le public "young adult/bit-lit", même s'il semble qu'il soit reconnu ici et là comme une tétralogie originale (les titres, eux, en plus de ne pas avoir beaucoup de sens, ne sont pas originaux: 16, 17, 18 puis... 19, oui oui, Lunes). Il faut le dire, cette lecture n'avait pas le goût habituel de la régurgitation trouvé dans ce genre de récits, et même plus: sur de nombreux points, "16 Lunes" m'a plu et a rempli son contrat. Je ne m'attendais effectivement pas à lire quelque chose de particulièrement développé, sur le style et l'intrigue s'entend. En fait, je m'attendais à lire un livre jeunesse, dans la mouvance zombificatrice qu'est la bit-lit. Bit-lit, terme que je me permets de galvauder, puisqu'il n'est ici pas question de morsures ou de suçage de sang (un unique personnage, très peu important, relève de cette catégorie), mais bien de sorcières, de dévoreurs de rêves et de mages appelés d'une manière pas vraiment révolutionnaire: Enchanteur. Il s'avère que petit à petit, on découvrira que ce qui est bon dans ce livre, dépasse les frontières explosées du fantastique pour résider dans la peinture d'une ville ultra-conservatrice, perpétuellement écartelée entre deux époques: la ville de Gaitlin.
Gaitlin, c'est une ville réussie à sa manière. On y découvre le quotidien d'une ville perpétuellement tournée vers son passé historique (que l'on jugera à souhait glorieux ou non), puisque là-bas, tout le monde est fan de la Guerre de Sécession qui n'a pas épargné la communauté de Gaitlin à l'époque. Et se mariant très bien avec ce paysage un peu poussiéreux, on peut rajouter le cercle hype de la ville, les FRA, sorte de vielles mégères stéréotypées qui se chargent de dicter une ligne de conduite générale, expliquant par exemple la décoration qu'il faut avoir dans sa maison, ou encore retirant des ouvrages de Vonnegut ou Bukowski à la bibliothèque municipale. Les filles de ces enthousiasmantes pétasses anti-Buk sont, comme on l'imagine, le centre d'intérêt des gogoles du lycée de Gaitlin, étant majorettes, et ayant une plastique que l'on nous décrit comme savoureuse. On les pardonne à moitié.
Et donc, cette petite ville va devenir le théâtre d'une romance paranormale, puisqu'on ne nous a pas menti sur la marchandise. Le narrateur, Ethan, est un jeune garçon bien sympathique que l'on peut qualifier d'orphelin, puisque sa mère est décédée et son père semble s'épanouir à scribouiller dans le bureau de sa défunte épouse, n'en sortant que la nuit pour se bouffer des Cookies Crisp (je fabule sur la marque de céréales). Et, il faut le dire, "16 Lunes" est un livre où le mâle n'est pas mis à l'honneur, puisque la figure paternelle est absente, toujours absente. Le pouvoir appartient à la femme, femme qui revêt parfois le manteau de terrible sorcière, de voyante ou encore la femme aimée, objet de l'envie et du désir. Ethan va tomber amoureux de la nouvelle-venue à Gaitlin, Lena, la nièce de ce vieux fou de Ravenwood, nana qui est jolie, intrigante, et pleine de secrets, puisque l'on apprendra très vite qu'elle est une enchanteresse, promise à un destin cataclysmique: à son seizième anniversaire, elle sera appelée à devenir Lumière, ou Ténèbre.
On regrettera cette vision ultra-extra-terriblement-manichéenne du bouquin, car avouons-le, c'est complètement con de nous dire que l'on ne peut rien changer à son destin, à l'image de Ridley qui était un peu la soeur jumelle de Lena à une époque, et qui a été appelé dans les Ténèbres à son seizième anniversaire. Naze.
Si l'on passe ce détail chagrinant, on assiste à une idylle un peu timide entre Ethan et Lena, ayant le mérite d'être touchante et d'être cohérente. On dépasse de très loin la niaiserie de la plupart des bouquins du genre, et c'est bien agréable. Même si le côté fleur bleue est inévitablement au rendez-vous, car on ne peut pas véritablement l'ignorer, on sera réjoui par les scènes intimes liant les deux amoureux. Vous l'aurez compris, ce livre par plutôt bien: des personnages principaux agréables, dans une ville originale. Cool, mais brossons ce qui ne va pas.
Tout d'abord, certains points non-négligeables que j'ai déjà abordés: la dose un peu forte de stéréotypes (pom-pom girls pétasses ou encore le personnage de Ridley) et la vision manichéenne de la vie que proposent les deux auteurs. D'autres boulets apparaissent: déjà, c'est très lent. Et ce n'est pas la faute du style, car c'est quand même assez bon. Et ceci est un détail, croyez-moi, surprenant. La plupart de ces livres n'ont pas un style caractéristique et sont même propriétaires d'une écriture tristement neutre. Ce n'est pas le cas ici, puisqu'on lit quelque chose d'appliqué, de soigné. Non, la lenteur du bouquin vient plutôt de l'intrigue, qui traine, traine, traine... Et ça devient chiant. Surtout lorsque l'on prend du recul et qu'on s'intéresse à la fin du livre, loupée. Ca tombe un peu comme un cheveu sur la soupe, le dénouement sort de nulle part, c'est peinant. En fait, on a l'impression d'avoir fait du surplace pendant tout le livre (pas sur le plan de la relation, mais de l'intrigue) pour au final sortir tout du chapeau à la fin. Ce n'est pas imprévisible, c'est improbable.
On peut aussi rajouter le fait que le bestiaires de enchanteurs est un peu trop fouillé, et s'il est agréable d'entendre parler des dons de chacun, c'est un peu trop détaillé, un peu trop encyclopédique par moments. Rien de grave non plus.


Il reste que "16 Lunes" est un roman bien au-dessus du niveau habituel de ce genre littéraire. Doué d'une écriture intelligente et fluide, le bouquin peinera malgré tout à atteindre la fin, la faute à une intrigue qui piétine. Néanmoins, ce qui importe le plus ici, c'est-à-dire la relation entre Ethan et Lena, est très réussi et s'épanouit avec douceur dans cette ville de Gaitlin, étrange et intemporelle. C'est pourquoi, quitte à vouloir lire de la bit-lit ou du "young adult", autant lire une saga d'une qualité honnête, et "16 Lunes" remplit ce critère. On verra ce que donne la suite prochainement.

Wazlib
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le 9 août 2015

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Wazlib

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