Malgré les difficultés de l'édition de SFFF francophone, la parution d'anthologies ne faiblit pas, alors que ça se vend en général plutôt mal.

Une particularité cette année 2009 : la parution concomittante de deux recueils, dus à deux petites maisons d'édition, sur le même sujet : le cul. Comme je n'ai pas encore lu celle de Griffe d'encre (Chasseurs de fantasmes), je ne parlerai que de celle d'actusf, intitulée 69.

En ouverture, dommage, un texte de Beauverger hors sujet, mélangeant mal une figure de femme battue avec une rêverie vaguement érotique, c'est la débandade assurée. Heureusement que Maïa Mazaurette rattrape le coup avec ses très jeunes mariés déchirés entre archaïsme et post-modernité sur la consommation de leur union. Un tabou secoué et de l'humour noir, cool.
Puis comme si les anthologistes voulaient jouer du chaud et du froid avec leur lecteur : une nouvelle de Daylon. Bonne nouvelle : c'est lisible, voire très lisible, il y a une recette, une patte qui émerge et qui pourrait emmener l'auteur très haut quand (mauvais nouvelle) il aura enfin maîtrisé l'art de l'ellipse et trouvé les ressources intellectuelles pour raconter une histoire intéressante. Parce que franchement, sa putain androïde qui tance ses méchants concepteurs sans coeur et sans morale, elle est ridicule.
Miroir de porcelaine de Mélanie Fazi m'ayant laissé de marbre, je n'en dirai donc rien.
LXIX de Berthelot est par contre un bijou, le texte qui dépasse les autres de la tête, des épaules et, bien sûr, je ne la raterai pas, du chibre. Hommage érudit au sous texte gay des péplum, LXIX est hilarant, décadent, festif. Et alors que la plupart des nouvelles de cette anthologie n'ont finalement pas pour sujet le sexe mais le désir, LXIX s'achève par la matérialisation gonzo d'un phantasme qui provoque, outre une surprise bienvenue, une vraie sensation de réalisation.
Ce qui contraste totalement avec la nouvelle suivante, celle de Sylvie Lainé, très réussie elle aussi, s'achevant ainsi : " Mais j'ai beau savoir tout cela, et le comment et le pourquoi, le monde est toujours vide d'Anitra - Anitra qui m'a fait jouir, que j'ai serrée dans mes bras et dont j'ai toujours faim, Anitra mon inconnue qui était l'autre moitié de moi-même, perdue à jamais, qui ne m'a laissé sur les lèvres que mon désir, inassouvi pour l'éternité. "
La Louise ionisée m'a donné l'impression de lire une réinterprétation du principe du Déclic de Manara. L'écriture de Merjagnan est toujours aussi tordue, serpentine, brillante. Comme Daylon il manie l'ellipse et la chausse-trappe syntaxique, mais en maître.
On passera rapidement les textes de Gudule et de Charlotte Bousquet, le premier n'étant pas à la hauteur de la réputation de l'auteur et l'autre souffrant de la terrible et incurable maladie de la Boursuflure Gothique.
A partir du Vertige de l'amour de Bashung, Jean-Marc Ligny réinvente avec succès le mythe de la succube dans un texte impeccablement fantastique.
Descente de Virginie Betruger m'a laissé insatisfait ; je n'ai pas trouvé le dialogue entre les personnages crédible et le dispositif pour les mettre en scène bien poussif, trop compliqué voire en contradiction avec ces échanges autour d'expériences sexuelles. Une périlleuse pénétration atmosphérique ne donne pas forcément envie de parler de cul.
Camélions de Joëlle Wintrebert conclue le recueil et se classe parmi les textes évoquant des relations sexuelles inter-espèces tels que Les Amants étrangers (Farmer) ou La Planète Fleur (Boyd). Moite, collant, troublant, intrusif, bandant, Camélions accorde pour finir les sensations que la plupart des textes précédents ont refusé au lecteur. Il sait aussi parler de la femme oppressée par l'homme avec la conviction et la force dont le premier texte de cette anthologie est si désespérément privé.

69 ne sera pas l'anthologie de l'année, si tant est qu'un tel titre ait une quelconque valeur. Mais l'ensemble est de bonne tenue et le quintet Berthelot - Lainé - Merjagnan - Ligny - Wintrebert mérite l'investissement de 10 euros, ainsi que la très élégante couverture pop de Diego Tripodi.
louiscanard
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le 18 janv. 2011

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louiscanard

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Charybde2
7

Daylon, Fazi, Wintrebert et Berthelot méritent ici votre détour !

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