A la recherche du paradis impossible

On aurait tendance à croire que ce livre génial serait construit sur un verset de la Genèse. Un verset où le dénouement est si énigmatique qu'il flirterait avec le génie divin.

Je vous la refais courte. Adam et Eve eurent deux enfants: Caïn d'abord, et puis Abel. Le premier fut laboureur et le deuxième berger. Lorsqu'il vint le temps de faire une offrande à Dieu, le premier donna des produits de la terre de nature et de consistance commune et le second donna ses meilleurs agneaux en sacrifice. Dieu préférant le sacrifice d’Abel, Caïn irrité tua son frère par jalousie. Dieu chassa alors Caïn, celui-ci s'éloigna "de la face de l'Eternel et habita dans le terre de Nod, à l'Est de l'Eden".

L'œuvre de Steinbeck n'est cependant pas simplement la retranscription dans l'Amérique de 1900 du verset extrait de la Genèse, comme James Joyce a retranscrit l’Odyssée dans son Ulysse irlandais. Le film réalisé dans les années 50, par ailleurs excellent, se concentre cependant sur une partie de l’histoire, la plus aisée à retranscrire : James Dean, jouant Cal (Caïn) chercher obtenir les faveurs d’Adam, son père.

Le livre dépasse pourtant la psychologie familiale. C’est d’abord une fresque religieuse, qui se lit comme on verrait la Genèse de Michel-Ange dans la Chapelle Sixtine. Il n'a d’ailleurs qu'un thème: la recherche du paradis impossible.

Dans son ensemble, le livre raconte l'histoire d'Adam. Un homme commun, sans extravagance, recherchant simplement le bonheur. Mais comme toutes les recherches, celles-ci sont entravées. Malgré les grands discours sur la liberté, sur l'occupation efficiente du temps qui nous reste et sur les bienfaits de la fuite prodigués par l'auteur, Adam, le bien, est toujours contrarié par des personnages maléfiques, qu’il doit côtoyer par obligation, et qui sont, somme toute, plutôt psychopathes. à commencer par son frère Charles et bien sur sa femme Cathy. Abel et Caïn, ou plutôt Aron et Cal, les fils d'Adam et Cathy ne sont que les représentations de la tête torturée d'Adam.

Alors Adam fuit. Il part en guerre, il voyage pour échapper à son frère. Il change d'horizon pour s'installer en Californie. Là il rencontre Samuel, l'homme bon et sage, vivant dans le bonheur par les choses simples et stables.

Il faut donc voir le titre comme exprimant une fuite vers un rêve impossible. Comme l'Occident fantasmait sur l'Orient au XIXe siècle. Les écrivains et les peintres, comme des émissaires poétiques y rapportaient en effet des tableaux les plus fantasmagoriques, alors que la réalité orientale était nettement moins belle. D'ailleurs, la traduction latine du verset dont est issu le livre parle plus d'Orient que d'Est (orientum).

A l'Orient impossible donc, ce paradis perdu.

"Elle attendait son départ pour le paradis, jardin sans lessive, cuisine ou vaisselle. Tout à fait entre nous, il y avait quelques petites choses qu'elle désapprouvait au paradis: on y chantait trop et elle ne voyait pas comment les élus eux-mêmes pouvaient survivre longtemps à la paresse céleste. Elle trouverait bien quelque chose à faire pour occuper le temps: des nuages à rapiécer, des ailes fatiguées à masser avec du liniment, des cols de tuniques à retourner et des araignées à pourchasser à coup de tête-de-loup"