Un livre magnifique, également très intelligent. Au lieu d'une critique linéaire, les quelques moments qui m'ont beaucoup marqué :

- La description de la Vallée : Une entrée au paradis. Le livre démarre fort.

- La lettre de Charles à Adam : Charles qui confit tout ses tracas à son frère, qui essaye de comprendre pourquoi son père ne l'aime pas. J'ai trouvé ça si beau qu'un personnage qu'on a dépeint en tant que brute épaisse devienne d'un seul coup (avec la distance) une personne qui se mette à réfléchir et livre toute sa beauté dans des lettres, notamment celle-ci qu'il comptait déchirer et qu'inconsciemment il oublia, tout un symbolisme.
Charles est un personnage superbe, mon préféré. Ce moment ou il pleure dans les bras d'une prostitué le départ de son frère et Cathy...

- La fuite de Cathy : On savait que Cathy ne plaisantait pas quand elle disait qu'elle comptait quitter Adam. Mais même en connaissant sa monstruosité, ce départ est d'une violence effroyable, un choc pour le lecteur qui sera traumatique pour Adam. Toute sa non-vie ensuite est vraiment très triste. J'ai été terriblement ému quand il éclate en sanglots en apprenant le suicide de Cathy. Malgré tout ce qu'elle avait fait, toute sa malice mis à jour, il ne pouvait s'empêcher de l'aimer. Merde, ce que c'est beau.

- Timshel : Toute l'essence du bouquin se retrouve dans cette distinction : "Tu PEUX vaincre le péché" et non "Tu DOIS.". Comprenez donc toute sa beauté, cette prise en compte de la faiblesse humaine, cette définition même de la vie. Comprendre là ou la religion a échouée en croyant que le péché est quelque chose d'inavouable à refouler alors qu'elle fait partie intégrante de l'homme, et que ne fait pas un être foncièrement mauvais celui qui y succombe car il était trop faible. Dire que cette citation incroyable vient de la Bible, ça me donne encore plus envie de la lire.
En comprenant cette phrase, les très vieux sages de Lee reprennent goût à la vie et refusent de mourir. Comme eux, cette phrase guide à présent ma vie.

- Tom et Dessie : Deux pauvres âmes qui derrière toute leur gentillesse vivent malheureux. Sérieux, ce moment ou ils rient et s'aiment le jour pour souffrir seul la nuit dans leur lit m'a vraiment fait pleurer... C'est si triste, si triste de les voir établir des projets d'avenir tout en sachant qu'ils n'aboutiront jamais, si triste de voir deux belles âmes souffrir de la sorte dans un monde qui ne veut pas d'eux. La mort de Dessie puis le suicide de Tom sont de vrais crève-cœurs, ces lettres que Tom envoie à sa mère et à son frère, mon dieu...

- Kate : Le personnage le plus intéressant je dirais. La question qu'on se demande c'est comment faire de ce monstre une humaine ? Il faut du temps et pour cela, les conversations avec Adam puis celle avec Cal sont vraiment fortes. A chaque fois elle est défaite et en pleure, j'ai toujours trouvé ça beau en soit. Mais cette prise en compte finale avec Cal et Aron "qu'elle ne possède pas quelque chose que les autres ont" (et pas "quelque chose qu'elle possède et pas les autres", magnifique distinction) est superbe. Kate éprouve pour la première fois des remords, et comprenant qui elle est, se suicide. Belle fin non ?
- Joe : J'ai été surpris de voir ce personnage secondaire prendre un rôle important sur les dernières pages. Pourtant il se trouve qu'on s'en attache et qu'on prenne plaisir à le voir jouer maladroitement un jeu dangereux avec sa maîtresse.

- Cadeau brisé : Cal est un personnage splendide qui s'il semble vivre dans le péché le regrette et le rejette sans cesse. Il n'est pas mauvais, juste pragmatique. En fait je le vois comme un enfant devenu adulte trop tôt, du coup il ne comprend pas forcément et les autres non plus. Cette scène du cadeau d'argent est vraiment très, très douloureuse... et cela grâce à la plume de Steinbeck dans la description des personnages et leurs réactions, et dans ces dialogues bordés par l'émotion.
- L'idéalisme d'Aron et Abra : Aron que tout le monde aime est le contraire de son frère : Un enfant qui ne veut pas grandir. Au départ ça me gavait, j'avais l'impression que l'auteur faisait de son personnage un petit saint. Mais pas du tout, par exemple quand il entre à l'université et qu'il ne peut pas agir mal comme les autres pour réussir, c'est simplement un refus de passer à l'âge adulte en fait. Aron veut continuer à vivre dans son rêve sans comprendre que ça blesse les autres et lui-même, il est égoïste. C'est pour ça qu'Abra le quitte finalement, quand elle dit dans cette naïveté enfantine "qu'elle n'est pas pure", c'est pour dire qu'elle n'est plus une enfant. La voir à la fin dans les bras de Cal est un acte aussi beau qu'inattendu, et ce personnage que je n'aimais pas tellement devenait d'un seul coup l'un des plus grands... et la discussion qui suit avec Lee m'a fait verser une larme !

A l'est d'Eden est un livre sur lequel tout le monde pourra se retrouver. Une vraie prise de conscience, mais avant tout un livre humble et purement humain, une oeuvre qui sent la vie dans toute ces facettes.
stevenn33
9
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le 12 avr. 2014

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stevenn33

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