Deux rois, un très bon roman et une nouvelle moyenne

Pour faire plaisir à un certain Alex qui se reconnaîtra, je vais commenter ma lecture de "Alexandre"... Et même si je ne connais personne portant ce prénom, je dirai aussi quelques mots sur "Ludwig", les deux textes ayant été réédités en un seul volume aux éditions Libretto. Le premier est un court roman d'un peu plus de 200 pages publié en 1929, le second une longue nouvelle d'une cinquantaine de pages datant de 1937. J'avoue que je ne savais pas grand-chose de Klaus Mann avant de lire ce livre. En jetant un œil à sa biographie, certains éléments ressortent particulièrement : en plus d'être un "fils de" (en l'occurrence de l'auteur de "La mort à Venise" et de "La Montagne magique", que je n'ai pas lus), il est connu pour son homosexualité revendiquée et son engagement contre le nazisme.


Les relations entre les hommes, amicales et surtout amoureuses, sont très présentes dans "Alexandre". On sent en outre chez l'auteur une obsession de la beauté et de la laideur masculines ; tout au long du récit, les visages, les corps, sont abondamment détaillés. Quant à la question politique, elle est inévitable quand on évoque la vie d'un bâtisseur d'empire, a fortiori dans une œuvre sous-titrée "Roman de l'utopie". Celle-ci est donc émaillée de réflexions sur le pouvoir, sur la tyrannie... Mais Klaus Mann ne fait pas du roi de Macédoine un Führer en puissance, et pour cause : le roman a été publié quelques années avant l'instauration du Troisième Reich. Hormis ces deux aspects saillants, pour ma part j'ai surtout apprécié le fait que Klaus Mann fasse d'Alexandre une sorte de héros romantique, marqué par le destin, à la personnalité torturée. J'ai retrouvé dans cette vision de nombreux points communs avec celle d'Oliver Stone, dans son film si injustement décrié à mon sens. J'ignore si le réalisateur américain a lu ce roman et s'il s'en est inspiré, mais je ne serais pas surpris que ce soit le cas.


Dans les descriptions, qu'il s'agisse de l'apparence des personnages, de leurs sentiments ou des lieux traversés, on perçoit une esthétique "fin de siècle" sans doute déjà passée de mode en 1929, mais qui n'est pas pour me déplaire. À l'inverse d'autres romanciers ayant écrit sur l'épopée d'Alexandre, qui s'en sont sagement tenus aux faits historiques, Klaus Mann n'hésite pas à mêler à son récit des éléments relevant du mythe. Un seul exemple qui illustre bien sa démarche : en reprenant à son compte les légendes sur la confrontation entre le roi de Macédoine et les Amazones, l'auteur fait de Roxane une reine guerrière... Un choix surprenant de prime abord, mais loin d'être absurde : car qui, d'une farouche souveraine régnant sur l'infini des steppes ou d'une simple fille de notable bactrien, est plus à même d'épouser le Conquérant ? Tous les grands moments de la conquête de l'Asie sont là, pourtant ce ne sont pas les exploits militaires qui intéressent l'auteur en premier lieu. Le formidable siège de Tyr, qui donna tant de fil à retordre aux Grecs durant des mois, est ainsi évacué en une ligne. Le Granique, Issos, Gaugamèles, sont un peu plus développés, sans non plus être prétextes à de longues pages de combats. En fait, le génie tactique d'Alexandre est à peine évoqué ; si l'armée macédonienne remporte chacune de ses batailles, c'est avant tout grâce au charisme quasi surnaturel de son chef.


Dans la multitude d'ouvrages de fiction consacrés à Alexandre, celui-ci est assurément dans le haut du panier, notamment grâce à sa qualité d'écriture et à la volonté de l'auteur de donner une version personnelle du personnage tout en restant fidèle à ce qu'il dut être historiquement. Bref, il s'agit d'une lecture tout à fait recommandable sur le sujet.


Je serai moins enthousiaste sur "Ludwig", la nouvelle qui complète le volume. Avec son unité de temps et de lieu, son faible nombre de personnages et ses longs monologues, celle-ci a des allures de pièce de théâtre. Comme "Alexandre", elle met en scène un roi aux tendances homosexuelles, et traite essentiellement du pouvoir et de la folie qui en découle... Mais par rapport à la précédente, cette lecture m'a paru plus anecdotique. Il faut dire que j'ai beaucoup plus d'affinités avec le roi de Macédoine qu'avec le roi de Bavière et moins d'intérêt pour l'Allemagne du 19ème siècle que pour la Grèce antique. J'ai acheté ce livre pour Alexandre, et celui-ci m'a totalement satisfait : bonne pioche, donc !

Oliboile
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le 6 sept. 2019

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