Ecoutez, c'était mal parti. J'ai toujours eu du mal avec Zola - probablement n'ai-je pas été la seule à n'y voir que la lourdeur des descriptions qui s'envolent sur trois pages.
Et puis la fac, les cours de littérature du XIXe; et sur la bibliographie la sentence fatale: "Au Bonheur des Dames, Zola".
J'ai donc établi un plan très simple qui tenait en cinq étapes. Il ne me restait plus qu'à 1- prendre sur moi, 2- fouiller les étalages de Boulinier et acheter le livre, 3- me forcer à le lire, 4- survivre jusqu'à la fin du semestre et 5- le remiser au fond d'un placard lointain et renoncer à l'auteur pour toujours.
De plus, l'édition recommandée jouissait d'une couverture d'une laideur atroce ; toutes les conditions étaient réunies pour que je passe de mauvais moments sur ce bouquin.
Les premières pages. Sans doute les passagers du train que j'emprunte tous les matins pourront témoigner de mon manque de motivation / de mes lèvres pincées de rechignement / des pulsions suicidaires qui défilaient dans mes yeux quand j'ai ouvert le livre. Mais surprenamment, pas de mort subite. Je suis rentrée dans l'histoire à peu près aussi facilement que Denise dans le magasin de Mouret. Ni transcendée, ni nauséeuse, j'ai parcouru les premiers chapitres - non sans trébucher sur quelques unes des descriptions les plus arides.


Sans nulle volonté de spoiler, disons que ce roman permet d'observer trois intrigues principales : la vie de Denise et sa progression dans le magasin, l'expansion de l'empire de Mouret, et la relation entre les deux bougres. (Bon après ça, ça commence à spoiler).
On l'avait flairé dès le début du roman, quand Denise, disons-le, mate ce cher Octave Mouret avec une subtilité de collégienne : ces deux-là ne devaient pas rester dans une simple relation patron-employée. Et ce ne fut pas le cas. Mais Mouret collectionne les amantes, court les jupons comme personne; alors la petite normande, dévouée à ses frères et à son mode de vie ascétique, se refuse à lui. Encore, et encore.
Et lui il devient barge. Parce qu'il a un succès terrible, il est beau, il est riche à millions et il peut se taper n'importe qui dans Paris ; parce qu'habituellement ses employées se sentent flattées de finir dans son lit ; parce qu'elle, avec toujours un sourire tranquille, elle dit non. D'aucuns parleraient de la vengeance de la Femme.
Alors il perd la boule, il commence à la voir un peu partout, elle le hante toute la journée, elle, l'air tranquille toujours, qui se refuse à lui.
Et moi aussi, je perds la boule. Parce que des années durant, je me suis refusée à lire Zola, et là je me prends un poing dans la gueule. Parce que c'est beau. Le crescendo de la passion de Mouret, le crescendo de son empire, Denise qui fait son ascension dans le magasin, Denise elle aussi torturée par ses propres désirs et par les commérages ; le tout qui arrive à son apothéose au quatorzième et ultime chapitre, quand la journée se clôt sur un chiffre d'affaires d'un million, et sur Mouret qui éclate et demande Denise en mariage.
Bien sûr, on traite aussi du magasin qui s'étend jusqu'à occuper tout le bloc de maisons, et ce au détriment des petits commerçants du coin. Du génie de Mouret, du fonctionnement d'un grand magasin, de tous types de névroses, de jalousie, de kleptomanie, de commérages, de problèmes financiers... Mais vous l'aurez compris, c'est autre chose qui m'a captivée.


Je ne sais dès lors que vous conseiller de faire comme moi : allez à la librairie la plus proche, trouvez ce livre, et lisez-le. Et même si vous connaissez la fin, lisez-le, ne serait-ce que pour apprécier par vous-mêmes toutes ces montées en puissance entremêlées - qui ont même réussi à me faire changer d'avis sur Zola.
Quant à moi, je dis merci la fac. Et je pars lire Nana.

marqs
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Cet utilisateur l'a également mis dans ses coups de cœur et l'a ajouté à ses listes Les lectures forcées et finalement adorées et Je gère le stress en achetant des livres, voilà où ça m'a menée.

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le 25 août 2017

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marqs

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