Bon, bien entendu, la Crevette se met à couiner qu'elle a été traumatisée enfant, qu'elle ne peut pas supporter Zola (ou de manière générale la littérature du XIXème siècle, ce qu'on s'accordera à trouver extrêmement choquant en la personne d'une digne professeure de lettres). Mais moi, j'adore Zola. Et particulièrement Au Bonheur des dames qui est probablement l'un de mes romans préférés. Hier soir, je l'ai pris d'une main nonchalante dans la bibliothèque, agacée de toujours lire de la littérature moderne souvent fort mal écrite. Après quelques pages, je suis retombée dans cette langue extraordinaire, dans ces phrases au rythme bien meilleur que ce que font nos feuilletonistes modernes. Quel plaisir! Un roman littéralement impossible à lâcher, les deux cents dernières pages ont d'ailleurs été lues dans une baignoire qui refroidissait impitoyablement sans que je réussisse à le quitter des yeux suffisamment longtemps pour sortir de l'eau, ou tout du moins en faire couler de la chaude.

Je suis prête à entendre des tirades courroucées sur les longues descriptions de Zola. Pour ma part, je les adore. Elles ont été la cause de ma passion pour les virgules. D'ailleurs, mon chat s'appelle Virgule, c'est dire. Quand je lis les pages sur le magasin, je l'ai dans les yeux. Je m'y promène, j'en détaille les moindres recoins. Et pourtant, Zola a beau décrire, il ne déflore pas. Contrairement à beaucoup, il travaille par touches de couleurs, tel un impressionniste, et ne cherche pas à frustrer l'imagination du lecteur en l'empêchant de voir seul certains détails. Du magasin je connais les couleurs, l'abondance, mais le reste est dans ma tête et c'est pour cela que ce roman continue de me toucher malgré plusieurs lectures et une quinzaine d'années de vie commune.

Peut-être est-ce aussi parce qu'il renferme une histoire d'amour profondément romantique dont on ne parle pas assez? Quand on parle de Zola, des Rougon-Macquart, on évoque toujours une étude anthropologique, une vision de la société... mais on ne parle jamais d'un élément majeur de la majorité de ses romans : des histoires d'amour qui feraient battre le cœur de la plus blasée des lectrices. Denise me semble être une héroïne idéale, et l'objet de son amour (non, je ne gâcherai pas le suspense, souvenez-vous de Jane Eyre) est absolument parfait dans son rôle.

Tout à l'heure, quand j'ai refermé le Bonheur des dames, une fois de plus, j'ai pleuré. Cette histoire improbable et pourtant finalement classique, cette cousette, la mort des petits commerces face au grand magasin et surtout, on ne se refait pas, cet amour refoulé puis enfin admis... Je n'y résiste toujours pas. Et c'est pour moi une marque de qualité lorsqu'un roman lu et relu continue à m'émouvoir comme la première fois.
Ninaintherain
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le 10 juil. 2012

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