Débutant comme un roman de fantasy sur un monde désertique et oriental où s'affrontent magiciens, trolls et religieux aux pouvoirs démesurés, Avaleur de mondes change soudain d'esthétique pour s'habiller de celle d'une science-fiction futuriste teintée de cyberpunk et de space opera qui met en scène Aristide, un homme qui a changé le devenir de l'humanité en participant à la création de gigantesques intelligences artificielles capables de créer des mondes, de sauvegarder les caractéristiques humaines et de conduire ainsi l'Homme vers l'immortalité. Si la mort a été vaincue, certains hommes ne se sont pourtant pas assis sur cette victoire, cherchant dans l'Univers un autre défi.
Pour Aristide, c'est l'étude des "espaces implicites" (le titre original de ce roman, d'ailleurs), ces espaces qui apparaissent d'eux-mêmes dans les mondes créés par les I.A. pour venir combler les manques. Cela le conduit à voyager de monde en monde afin de comprendre comment des êtres naissent et meurent sans réellement appartenir à l'humanité originale, comment ils se comportent et évoluent, comment ils occupent ces espaces générés de manière spontanée. Si cette problématique semble vaine, il n'en est rien, car elle pose les bases de la réalité de notre existence, de notre réalité, de notre création. C'est d'ailleurs l'étude de l'un de ces espaces implicites et de la genèse de l'univers connu qui préside aussi à la déclaration de la première guerre depuis plus de mille cinq cents ans. Si cela n'est révélé qu'au cours de l'intrigue, une relecture du roman s'impose pour en comprendre les différents tenants et aboutissants, et surtout saisir de quelle manière a pu apparaître cet étonnant opposant capable de s'allier à l'une des I.A. D'une apparente simplicité, l'intrigue se complique et laisse entrevoir de nombreuses strates qui l'enrichissent. Ainsi, le recours à la poésie (qui, contrairement au reste du roman, est malheureusement très mal traduite par Jean-Daniel Brèque qui sait rendre la prose mais ne possède aucun sensibilité poétique ce qui nuit un peu à la cohérence de l'atmosphère… à moins que la poésie soit vraiment mauvaise en anglais aussi, ce qui pourrait être le cas) apporte une dimension lyrique à l'intrigue, épaississant le personnage qui échappe parfois à nos considérations de mortels.
Ne soignant pas que la caractérisation, l'auteur a aussi voulu dépeindre un univers complexe, dense et nuancé, anticipant sur la complexification de notre futur, comme le montre l'Histoire. On saisit ainsi un devenir touffu, aux nombreuses ramifications. De même, les nombreuse références intertextuelles aux lois d'Asimov sur la robotique, à Roger Zelazny, à Lewis Carroll, aux mythes scandinaves ou à Robert E. Howard ne font qu'enrichir cette œuvre atypique construite comme une mise en abyme à la fois littéraire et philosophique, où l'on retrouve les interrogations de l'auteur sur la réalité, la virtualité et la science. Cela nous donne un beau texte finalement voisin de la métafiction puisque écrit par un auteur érudit qui sait faire partager son amour de la littérature.