Mais dites moi, je suis déjà passée dans cette ville, non? Mais oui, bien sûr! C’est Castle Rock! Certains événements dramatiques se sont déroulés depuis mon passage ici, mais ce qui attise ma curiosité aujourd’hui, c’est cette nouvelle boutique avec sa devanture au charme d’antan qui annonce son ouverture prochaine, Le bazar des rêves. Que peut-elle bien contenir? Je suis loin d’être la seule à m’interroger… Déjà rumeurs et commérages courent dans la petite ville…


C’est ainsi que Stephen King décide d’introduire Bazaar, roman publié en 1991. Le ton est donné: à la manière d’un ami, il désire nous faire rentrer dans le cercle restreint des habitants qui peuplent cette petite ville fictive du Maine, Castle Rock. Les aficionados du Maître se souviendront de Cujo ou de La part des ténèbres qui se situent également dans cette ville. Dans Bazaar, le lecteur retrouve toutes les facettes de l’auteur, tous les éléments qui lui ont permis d’asseoir sa popularité depuis son premier roman Carrie. Suspense, montée de la tension, angoisse et terreur, le fantastique qui s’immisce dans le réel, des personnages à la psychologie fouillée, une analyse de l’âme humaine.


Bazaar est, jusqu’à maintenant, le roman le plus complexe de King en terme de structure narrative que j’ai pu lire. A la manière d’une immense toile d’araignée, il relient au fil des pages, les personnages de cette impressionnante galerie. Il les fait se rencontrer, se haïr, jusqu’à l’explosion. Une manipulation diabolique… Cette complexité pourrait rebuter ceux se frottant pour la première fois au King… mieux serait de choisir une œuvre plus classique dans sa structure.


Stephen King dénonce de manière très subtile et originale les ravages du capitalisme dans notre société de consommation. Là réside la force du roman, ce qui a le plus d’intérêt à mes yeux. Dans Bazaar, l’auteur ne propose pas uniquement une histoire angoissante mais s’exerce à l’analyse minutieuse de l’humain face à ses désirs les plus profonds. L’observation est extrêmement juste et chaque lecteur peut se reconnaître dans les personnages. Parce qu’après tout, on a tous des désirs qui peuvent virer à l’obsession… Stephen King disait à propos du roman que « rien n’est gratuit, surtout pas dans une société capitaliste » et que le prix à payer pour obtenir ce que l’on désire n’est pas uniquement financier. Jusqu’où sommes nous capables d’aller pour posséder ce que l’on veut? Le jeu en vaut-il la chandelle?


Et justement, c’est un jeu pour Leland Gaunt, le gérant de la boutique, qui comme par magie « vend » à chaque habitant de Castle Rock ce qu’il désire au plus profond de lui même. Mais en retour…vous ne seriez pas contre faire une petite farce à votre voisin, non? Ah voilà! Je m’en doutais! Vous avez gardé votre âme d’enfant! Et entre nous, vous n’avez pas trop le choix, sinon tel un prestidigitateur, je fais disparaître l’objet de toutes vos convoitises! Leland Gaunt hypnose ses clients, les manipule, les hante dans leurs « rêves ». C’est le maître du jeu…


L’auteur aborde également d’autres thèmes très courants dans son œuvre, la morale et la religion. Ici, magnifiquement incarnées par les catholiques menés par le Père Grisham et les baptistes menés par le Révérend Rose. Les deux communautés se livrent une guerre sans merci, où chacune tente de démontrer que l’autre adopte des comportements indignes d’un fidèle de Dieu. Ça tourne au fanatisme.


Sans m’étendre, le roman aborde les questions du deuil et de la mort, des souvenirs, des remords et regrets mais aussi de la maladie.


Avant que je n’oublie d’en parler, ATTENTION! Bazaar spoile d’autres œuvres du Maître notamment Cujo et La part des ténèbres…


Malgré de nombreux points positifs, je trouve néanmoins que ce roman a un certain nombre de faiblesses. Tout d’abord, beaucoup trop de longueurs…Certes elles sont pour la plupart nécessaires pour la mise en place de l’intrigue et pour l’élaboration des personnages, mais il faut une certaine concentration pour rester accrocher aux pages. A ces longueurs s’ajoutent une quantité folle de personnages, difficile parfois de se rappeler les liens entre chacun. Enfin la fin du roman qui est selon moi bien en deçà de ce que nous a proposé l’auteur tout au long du récit. Un dénouement sans surprise, banal, on reste malheureusement sur sa fin.


Bazaar est un roman riche et très complexe dans sa structure narrative qui pourra en rebuter plus d’un si vous n’êtes pas habitué au style de l’auteur. C’est pourquoi je ne recommanderais pas ce roman pour débuter l’aventure… Mais c’est aussi dans cette complexité que le lecteur voit tout le talent de l’auteur pour mettre en place un micmac de liens diaboliques entre les habitants de Castle Rock. Bazaar interpelle le lecteur sur notre société capitaliste et l’incite à avoir un autre regard sur sa façon de consumer. Stephen King nous démontre encore une fois son aptitude pour décrypter avec minutieuse et d’une façon très juste les tréfonds de l’âme humaine. Les longueurs et la fin en demie teinte font malheureusement perdent de sa force à ce roman…

JessicaDubreucq
8
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le 23 juil. 2019

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