Je viens d'achever la lecture de Belle du Seigneur, et après tant de mots, il m'est difficile d'en trouver, moi, pour partager mon ressenti quant à ce chef-d'oeuvre.


Que dire ? Qu'il faut lire ce livre, absolument. Ne pas avoir peur du nombre de pages. Les longs chapitres-monologues se dévorent en un rien de temps, les variations de style de la narration font qu'on ne s'ennuie jamais, ou presque.


Pourquoi le lire absolument ? Parce qu'il est beau. D'une beauté sublime, de ce sublime qui subjugue, terrifie, captive. Il y a des passages extraordinaires, que j'ai relus des dizaines et des dizaines de fois, tout bas, à voix haute parfois, naïves déclamations pour m'enivrer de ces mots qui disent l'amour en ses débuts, cette merveilleuse monotonie, cette sainte stupide litanie.
Parce qu'il est drôle, également. Et magnifiquement lucide, en cruel révélateur des mécanismes et autres manigances du social. La peinture sociale y est cinglante, d'une ironie délicieusement mordante.


Belle du Seigneur est une ode à la jeunesse, à une jeunesse certes décadente, sans cesse rappelée à sa destinée glaciale et funeste, mais surtout à une jeunesse vivante et qui se vit, dont le langage et les codes sont ceux de la passion amoureuse, de l'ardeur des premiers émois, de la beauté des corps, honorée et célébrée, insolemment proclamée.


Belle du Seigneur est le roman de la passion, celle qui surpasse tout, qui érige l'amour en religion. Celle qui est vouée à une lente déperdition, à la perversion, à la violence. S'il n'y a pas d'amour heureux, comme l'écrit Aragon, il n'y a certainement pas de passion heureuse. Cette expression paraît presque oxymorique, tant le bonheur des premières semaines à Genève relève plus du plaisir consommé sans limites tous les soirs dès neuf heures, plaisir -et joie qui en résulte- illusoires, aveuglants, d'une puissance inouïe et sublime, d'une beauté à couper le souffle. Une fois à Agay, Solal et Ariane ne connaissent pas le bonheur, ne le laissent pas s'installer, obsédés qu'ils sont à vouloir préserver coûte que coûte la ferveur des débuts, s'entêtant à vouloir demeurer les acteurs en costumes du dimanche d'une passion sacrifiée sur l'autel de l'habitude et du temps assassin.


De cette lecture, je sors grandie, émue, bouleversée, triste et heureuse. Avide d'aimer, également, car si Cohen met à jour, dans son oeuvre, les froids mécanismes de la séduction et de l'amour, il n'en donne pas moins un tableau à la beauté tenace et envoûtante, au tragique sublime et grandiose. Les mots de la passion emportent, subjuguent. Ils donnent l'envie d'aimer.

ariag97
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le 5 août 2017

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