" Je connais tes œuvres : tu n'es ni froid ni chaud. Plût à Dieu que tu fusses froid ou chaud ! Aussi, parce que tu es tiède et que tu n'es ni chaud ni froid, je vais te vomir de ma bouche. "
Apocalypse, III 15-17 (traduction de la Bible selon l'Abbé Augustin Crampon)


Ainsi parle "l'Amen, le Témoin fidèle et véritable, le Principe de la création de Dieu" dans l'Apocalypse de Saint Jean, livre dont les échos résonnent de plus en plus dans notre époque.


Cette assertion ô combien énigmatique pourrait être le fil conducteur de ce merveilleux roman.
Ce roman, c'est le Combat Eternel du Christ contre Lucifer, ou plutôt de Lucifer contre le Christ.


Le titre est une référence aux étendards du Christ et de Lucifer dont parle Saint Ignace de Loyola (fondateur de la Compagnie de Jésus dont les membres sont appelés les Jésuites) dans son guide les "Exercices Spirituels".


Ce roman dépeint un triangle amoureux des jeunes gens trimballés dans un voyage métaphysico-mystico-philosophique (oui ça fait peur sur le papier, mais il n'en est rien).


Présentation des personnages :


Régis, soldat du Christ et mélomane convaincu, veut se faire Jésuite et restaurer sa grandeur à l'Église Catholique sclérosée et chancelante face au monde moderne de plus en plus privé du monde surnaturel et invisible de Dieu.
Michel, sorte de petit poète romantique, comme les gens le perçoivent tout au long du roman, est un amoureux des Arts et surtout de Wagner, il éprouve une aversion quasiment maladive pour les bondieuseries depuis ses années de collège, nietzschéen convaincu voulant s'émanciper de toutes formes d'embrigadements humains, il veut se faire écrivain.
Anne-Marie, jeune fille de la bonne bourgeoisie lyonnaise, pétillante, pleine de vie et de légèreté, servira de jouet à nos deux apprentis sorciers de l'esprit humain.
Ce livre, donc, nous conte l'histoire de Michel Croz, fils de la petite bourgeoisie lyonnaise, qui monte à Paris, lui l'amoureux des Arts s'en fait une grande joie, mais il déchantera vite, entre son boulot ennuyeux de garde morveux et la nouvelle de son ami Régis, qui vient de rencontrer une fille merveilleuse, unique et sublime et de leur amour puissant et supérieur au monde même.


La rencontre d'Anne-Marie sera pour Michel un coup de foudre, il quittera tout et retournera dans le terne et maussade Lyon (est-ce que Lyon est féminin ou masculin ?).
Il se morfondra dans cet amour secret et inavouable, tombera dans des tortures psychologiques, délirera sur des supputations.


Dis, comme ça, on a l'impression qu'il ne se passe pas grand chose, détrompez-vous ! Le livre nous entraine dans cette aventure de la jeunesse, car c'est avant tout un roman de la jeunesse, croquant férocement toutes les vieilleries, qu'elles soient humaines, religieuses, artistiques ou philosophiques. Cette jeunesse pleine de fougue, qui les poussera à des décisions égoïstes se moquant des conséquences et de la bonne conscience bourgeoise.


C'est, évidemment, un roman d'amour, qui par moments prend des accents de vaudevilles. Un amoureux transi côtoyant ce couple mystique qui ne vit que d'amour pur et absolu, combattant inlassablement l'appel de la chair, une copine d'Anne-Marie surgissant dans ce triangle, voulant le transformer en carré, tombant amoureuse du pauvre Michel avant de foutre un peu la merde.
C'est aussi, et surtout, un roman anti-Chrétien, Michel combattant le Christ et sa soldatesque, succombant aux appels de Lucifer et sa volonté d'émanciper l'Homme de l'Autorité de Dieu, mais surtout de l'Église Catholique Apostolique et Romaine, après avoir essayé d'attraper, en vain, la foi qui anime les deux amoureux.


C'est également un roman de l'orgueil. Orgueil qui contamine nos deux amis, Régis et Michel, s'estimant au-dessus de la masse de leurs contemporains, leur orgueil qui brisera Anne-Marie, et leur fera tout perdre, jusqu'à leur amitié. Régis voulait glorifier l'âme de la jeune fille, Michel voulait lui libérer l'esprit. Ils étaient animés d'individualisme ? Ils finiront désespérément seuls et fatigués. Surtout, Michel, qui se retrouvera seul pour avoir sacrifier son orgueil nietzschéen au confort bourgeois, ce qui donnera une fin cruellement ironique.


Bref, c'est un roman total, nous parlant aussi bien de théologie, de mysticisme que de musique, de peinture, de littérature de manière admirable, surtout pour la musique. Dépeignant sans aucune concession, le société de la bourgeoisie lyonnaise de manière magnifique, ayant plus de tendresse mais de tendresse plutôt cruelle pour le petit peuple. Dans un style absolument grandiose, génial et parfait, oscillant entre plusieurs tons, les dialogues y sont d'une vivacité et d'un naturel qui frisent la perfection, c'est souvent très drôle, des fois grossier, presque toujours d'une immense profondeur, nous faisant descendre dans les abysses de l'âme humaine dans ce qu'elle a de meilleur et de pire.


Ce roman fait 1312 pages, dans mon édition Gallimard (et c'est écrit tout petit !), ce qui est bigrement long, mais Rebatet parvient à ne pas nous ennuyer une seule seconde, nous faisant dévaler des montagnes russes, avec des climax réguliers, nous gratifiant de quelques scènes quasi-cinématographiques (le vol du larfeuille au gros richard complètement pété ou encore, la poursuite de la jeune collégienne dans tout Lyon donnant des accents de thriller). L'auteur nous brosse une immense galerie de personnages secondaires, qui amènent encore plus de vie au récit, au fur et à mesure des pérégrinations forcées de Michel par son indigence de plus en plus menaçante. Et surtout, ce génie qu'a Rebatet, de se mettre dans la peau de tous ses personnages et de leur donner une identité quasi-réelle et une manière de s'exprimer qui leur est propre.


Pour conclure, voilà un roman combattant la tiédeur bourgeoise, mettant en scène des personnages extrêmement vivants et profonds, remplis de paradoxes, voulant dominer et éliminer leurs doutes, assez radicaux et extrêmes dans leur façon de vivre les choses. C'est un grand, très grand roman, tellement puissant, tellement long, tellement bon, il fallait bien le Confinement 2020, pour en venir à bout et je ne regrette rien !


Seul regret, c'est que je ne sais pas quoi lire après ce monument, tout va me sembler bien fade après ça, pour quelques temps ... Comme si j'avais perdu le sens du goût ... Merde ! ... J'espère que je n'ai pas chopé le Covid littéraire ! ...

CCG______
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le 13 déc. 2021

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