Le passage à l'âge adulte selon Stephen King

Préambule : La critique ici concernera les deux tomes de Ça. King n’a divisé l’ouvrage en deux que pour une question de praticité, il n’y a donc aucune raison de les considérer comme deux œuvres à part.
Cette critique peut contenir des spoilers.


Ça est une œuvre de Stephen King qui se place dans le Maine aux Etats-Unis, mais qui imbrique deux chronologies distinctes, l’une se passant en 1958 où on suit un groupe d’enfants de 11 ans et l’autre en 1985 où on suit le même groupe, devenu adulte. La première chose à noter, c’est que Stephen King a vécu dans le Maine, qu’il écrit cet ouvrage entre 1981 et 1985 et qu’il avait 11 ans en 1958. Cette information révèle déjà toute la portée autobiographique que peut avoir ce livre. Le roman commence sur le meurtre de George Denbrough en 1958.


Et pour débuter, nous allons nous intéresser à la constante du récit : Derry. Derry est la ville dans le Maine où se passe toute l’intrigue, c’est l’endroit où Ça agit, c’est l’endroit où nos héros grandissent, c’est là-bas où ils retournent. Tout d’abord, Derry s’inscrit dans la continuité des villes américaines, ce n’est pas un îlot isolé, mais une ville qui vit avec son temps. D’ailleurs King se plait, au travers des intermèdes qui ponctue le récit, à raconter l’histoire de l’Amérique du point de vue d’une petite ville. Il sera fait mention de la montée syndicaliste, de l’industrialisation, du grand banditisme, du racisme, de la ségrégation ou encore de l’homophobie. Selon moi, cet élément nous indique que Derry est comme n’importe quelle ville et n’importe quelle ville pourrait être Derry. Cette dernière nous ait longuement (trop longuement parfois) décrit par Stephen King. On imagine sans mal les lieux iconiques : la bibliothèque, le château d’eau, Neilbolt Street, les Friches-Mortes etc. Mais Derry est également le lieu où Ça à toujours vécu, où il se nourrit et il semblerait que Ça le rende bien à la ville, la rendant prospère (une représentation de la corruption ?) . D’ailleurs quand Ça meurt à la fin du livre, Derry sombre avec elle.


Dans l’imaginaire collectif, Ça est avant tout un roman d’horreur est loin de moi l’idée de les faire mentir. Stephen King démontre ici un grand savoir faire dans la manière de représenter l’effroyable et de le narrer. Ça possède en effet la capacité de changer de forme et son petit pêché mignon, c’est de se changer en ce qui terrifie le plus sa cible. Elle nous offre la palette des monstres classiques (Loup-Garou, Momie, Lépreux etc.) dont certains peuvent avoir une signification (le Némésis d’Eddie, garçon hypocondriaque est le lépreux.) Certains moment en compagnie de ces créatures fantasmagorique sont réellement saisissant et angoissants. C’est une horreur simple qu’un enfant peut comprendre et combattre. Mais la force de King est de ne pas se contenter de ça.


En effet, à l’horreur surréaliste des monstres, il adjoint l’horreur du réel, du quotidien, de la banalité du mal. On assiste ainsi au harcèlement d’un garçon et sa scarification à cause de son poids, à un père qui bat sa fille en pleine rue, des batailles à coup de galet et de pétards qui font saigner, un enfant noir à qui on jette de la boue pour le rendre « plus noir », un enfant psychopathe qui étouffe son jeune frère etc. Cette horreur est limite pire pour un lecteur adulte qui la perçoit comme plus tangible.
Loin de nous conforter que ceux ne sont que des jeux morbides d’enfant, King étend cette banalisation du mal à la société de Derry en général. Avec un massacre à coup de hache dans un bar, l’explosion d’une aciérie provoquant la morte d’une cinquantaine d’enfant, le massacre d’un groupe de bandits, l’incendie criminel d’un bar clandestin afro-américain etc.
Et le plus effrayant est sans doute l’indifférence que cette horreur provoque. Aucun passant n’essaiera d’aider la fille qui se fait battre, personne n’arrêtera la bande de petite brute qui terrorise la ville, personne ne sera condamné pour l’incendie du bar clandestin, personne ne bougera le petit doigt quand un homosexuel sera battu à mort en pleine rue. Derry subit, mais Derry passe à autre chose et oublie.


Si ces deux conceptions de l’horreur sont séparés au début du livre, au fil du récit, on peut les voir se mêler à la fin, avec Ça qui prend possession de personnes physiques pour accomplir sa basse besogne, car là où le monstre fantastique que représente Ça peut-être vaincu par l’espoir ou l’imagination, l’être humain doit être mis complètement hors d’état de nuire. Comme si King désirait nous montrait qu’en grandissant, ce n’est plus des monstres du placard que nous devrions avoir peur, mais des autres êtres humains.


Cette impression est renforcée par l’angoisse qui émane également de la relation entre les parents et leurs enfants. La plus frappante est sûrement celle entre Beverly et son père qui la bat violemment tout en lui assurant qu’il « s’inquiète beaucoup pour elle ». Ce décalage crée une confusion encore plus grande chez l’adolescente qui culpabilise à l’idée de haïr son père et superpose aux coups qu’elle se prend, les images de son enfance insouciante où son père jouait avec elle dans son bain.


Il y a également la relation entre Eddie (le garçon hypocondriaque) et sa mère, qui le materne, qui l’étouffe avec ses recommandations pour le surprotéger, allant jusqu’à lui faire prescrire un placebo pour un asthme qu’elle fait imaginer à son fils. Une sorte de mère monstrueuse qui entourerait son fils de ses bras pour le rendre dépendant, pour que jamais il ne la quitte.


Ces abus se retrouveront d’ailleurs dans la vie adulte des protagonistes. Beverly épousera un homme violent qui la considéra davantage comme un objet à sa disposition que comme une personne, reproduisant la relation avec son père. Eddie épousera une femme semblable à sa mère, obèse comme elle et dont leur dépendance est mutuelle.


De manière plus légère, le roman est également une véritable ode à l’enfance et à l’amitié qui dure avec ses jeux, ses projets, épopées, créations de cabanes, mais également comme nous avons pu le voir, ses difficultés, ses horreurs. La force de King est de justement réussir à décrire parfaitement la réflexion de l’enfant et de se mettre à leur place et de nous faire replonger dans cette nostalgie de l’enfance tout en ne l’idéalisant pas.


Car l’une des thèses défendu par King est qu’il faut en finir avec l’enfance pour pouvoir devenir adulte.Cette idée est notamment liée au fait que tous les protagonistes soient infertiles sans aucune raison médicale. King leur refuse ainsi la caractéristique qui est le propre de l’adulte, la faculté à se reproduire. Tout au long du récit, les différents protagonistes devront revivre leur souvenir et seront amenés à affronter les démons du passé. Bill (le frère de Georgie) mettra fin à la culpabilité de la mort de Georgie, Beverly mettra fin au cycle de ses relations en faisant l’amour avec une personne qu’elle aime, Eddie prendra le risque de se blesser etc. Finalement, ils arrivent à vaincre Ça, ce qui les condamne, dans une fin douce-amère à perdre tout souvenir de leur enfance, de leurs amis retrouvés, de Derry, mais enfin capable d’aller de l’avant.


C’est selon moi une thèse forte de King qui insiste sur le fait de ne pas vivre dans le passé, car ces souvenirs, nos amis d’enfance, sont d’une certaine manière déjà en nous et forment l’identité que nous sommes une fois adulte, tout en n’oubliant pas de garder une le désir de l’enfance.


Ça est donc roman bien plus centré sur le passage à l’adulte sur l’horreur malgré la qualité excellente de ce dernier moment. Ce passage est d’ailleurs marqué tout au long du récit de manière plus ou moins subtil : les premiers flirts, les premiers sentiments amoureux, la découverte de la sexualité, le corps qui change (qui se manifeste pour Beverly, de manière peu subtile, par le regard insistant de son père sur ses formes naissantes et sur du sang sortant de l’évier comme une métaphore des règles.) les premiers signes de courage, mais également les premières réflexions d’adultes. Tout cela prend forme lors de la lecture de ces 1500 pages.


Un autre point qui mérite d’être évoqué, c’est le fatalisme dissolue qui parcourt le roman. Les protagonistes sont soit dirigés par des entités supérieurs, comme des pions sur un échiquier ( Ça contre l’Autre), soit sont victimes d’une réactions en chaîne de conséquence qui les privent de leur libre-arbitre. Ainsi, la plupart des protagonistes ont régulièrement des intuitions qui les guident vers ce qu’ils devraient faire, niant l’idée même de libre-arbitre. Ainsi, au lieu de juger les personnes agissant mal, King les prend en pitié.


L’un des exemple le plus marquant est sûrement le cas d’Henry Bowers, la brute de Derry à qui on doit la plupart des exactions sur les protagonistes. Fils d’un père revenu fou de la seconde guerre mondiale, Henry a été élevé dans le mépris des noirs, mais également de la faiblesse. Son père lui donne régulièrement des corvées et le bat quotidiennement. Malgré tout, Henry veut être aimé et apprécié de son père. Il arrive à se constituer un groupe d’amis fidèle et brutalise les autres. Ce qu’il est intéressant de noter, c’est que ceux sont les brimades d’Henry qui souderont définitivement l’ensemble des protagonistes et leur permettront de se rencontrer. Henry a conscience que ce moment où il est le plus fort et son heure de gloire et que le monde des adultes ne lui réservent rien, que ceux qu’il brutalise aujourd’hui atteindront des postes auxquels il ne pourra jamais prétendre. C’est cette angoisse du futur qui fait d’Henry la brute qu’il est. Au final, Henry sera complètement manipulé par Ça, ses deux meilleurs amis se feront tuer par cette dernière, la culpabilité le rongera, il sera arrêté et envoyé en asile psychiatrique duquel il s’échappera pour mourir 27 ans plus tard. Henry devait suivre ce parcours pour permettre aux protagonistes de se réunir et de vaincre Ça, Henry n’a jamais eu l’occasion de choisir une autre voie.


Malgré mes louanges sur la richesse des thématiques abordés, je dois reconnaître que Ça n’est pas exempt de défauts. Le livre souffre d’un style un peu lourd, avec énormément descriptions, parfois d’endroits qui ont déjà été décrits précédemment, ce qui rend le tout assez fastidieux. Même si au détour d’une page, King arrive à nous surprendre avec le lyrisme de certaines descriptions. Je reprocherai également tout le dernier quart du livre, consacré à la résolution que je trouve très redondant, ennuyant et qui n’apporte pas grand-chose au propos qui a été développé durant tout le reste du livre, un délire d’action psychédélique et de batailles intérieurs qui ont du mal à révéler le caractère épique de l’affrontement. On pourrait également reprocher le manque d’empathie qu’on peut ressentir envers le leader, Bill, qui malgré un défaut notoire, semble trop parfait.


En dépit de ces défauts, je suis forcé d’admettre que Ça a réussi à me conquérir avec cette description si précise, si juste de cette adolescence, de ce passage à l’âge adulte et la richesse du propos que King arrive à sortir de ce livre sur l’humanité de manière générale et qui est selon moi, une œuvre pivot de sa littérature.

IronBastard
8
Écrit par

Créée

le 6 nov. 2020

Critique lue 71 fois

IronBastard

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