Mon intérêt pour le cannibalisme est né bien avant que je ne suive les aventures d’Hannibal Lecter avec passion. En effet, la chair et le sang qui, par la magie de transsubstantiation, deviennent une nourriture spirituelle ont de quoi étonner le jeune chrétien que j’étais alors. De même, comment ne pas être fasciné par le drame des Andes où les voyageurs survivants d’un crash aérien durent se résoudre à se nourrir de leurs semblables. Et je ne parle pas, plus tard, de ma curiosité devant Le radeau de la Méduse. Autant d’interrogations qui m’amenèrent à m’intéresser au sujet. Aussi cet essai d’Angelica Montanari paru aux éditions Arkhe en ce début d’année m’a permis d’approfondir mes connaissances sur la sulfureuse pratique.


Cannibales, sous-titré Histoire de l’anthropophagie en Occident est une somme érudite qui cite les textes et les différentes imageries où l’acte de la dévoration d’autrui est évoqué. Au début de l’humanité, il va de soi que l’anthropophagie était pratiquée par les différentes communautés humaines. D’ailleurs, il convient de préciser que le terme d’anthropophagie a été utilisé depuis l’Antiquité et que celui de cannibale n’est apparu que récemment avec les découvertes des îles lointaines, dont les Sandwich où on connait la fin éponyme du célèbre Capitaine Cook.


Ce sont dans les premiers siècles après Jésus Christ que les témoignages commencent à apparaître. Ainsi on évoque la faim qui a pu motiver l’entredévoration, mais aussi la vengeance ainsi que la punition divine. L’exemple par excellence est celui de Marie, cette femme qui, lors du siège de Jérusalem par les armées de Rome, n’eut d’autre recours que de tuer et cuire son fils pour survivre. On pourrait incriminer les Romains d’avoir poussé les assiégés à cet extrême, mais la morale communément retenue est que Rome est bonne et lui résister n’amène qu’à la punition. Et quelle peine peut être pire que de devoir dévorer son propre enfant ?


L’anthropophagie est considérée comme un crime contre Dieu lui-même. C’est remettre en cause sa préséance sur l’humanité. La chaîne alimentaire divine est composée des plantes mangées par les animaux, eux-mêmes mangés par l’homme et enfin Dieu qui prend la vie accordée aux hommes. Que des hommes dévorent leurs contemporains est un déni du pouvoir suprême de Dieu.


Cet essai explore de nombreux thèmes, comme celui des faits d’anthropophagie lors des Croisades, la question des reliques et autres organes utilisés en de sombres médecines ou dans des rituels tout aussi obscurs. De même, la question se pose de savoir qui doit-on manger en premier ? Généralement, c’est l’enfant qui gagne à ce sinistre dilemme. Mais là se pose la question de savoir si le dévoreur à privilégier est la mère qui, lors de la maternité, a apporté l’essentiel de la matière qui constitue le corps de l’enfant, ou bien s’il s’agit du père qui, par sa force, dirige et protège sa famille ?


On y verra aussi que l’hémophagie a bénéficié de bien des interprétations, notamment au travers du personnage du vampire. Nous croiserons quelques personnages célèbres dans ce récit et puis des créatures mythiques. Tout d’abord les monstres, comme le cyclope Polyphème et le Minotaure, tous deux apparentés par leur apparence à l’humanité, mais adorant manger les hommes. Et puis, ces créatures dont on inculque la terrifiante existence dès la plus tendre enfance tels les ogres, les sorcières et autres croque-mitaines.


Le thème est étudié dans toutes ses expressions. L’actualité récente, ainsi que les visions fantasmées par le cinéma n’échappent pas à l’étude. Nombre de faits cités ont pu être contestés depuis l’époque médiévale, mais le doute reste présent, insidieux et nous amène à penser que l’homme est un loup pour l’homme. Une approche érudite et documentée qui donne une vision complète de la perception de l’anthropophagie au fil des siècles et vue de l’Occident, car après tout, le cannibale, c’est l’autre, cet autre moi, dont la culture si hermétique à ma pensée doit bien receler ne serait-ce qu’un petit appétit pour ma noble chair ? Non ?

Bobkill
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le 19 juil. 2018

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