Catch 22
7.8
Catch 22

livre de Joseph Heller (1961)

Sur l’île (fictive) de Pianosa, au large de l’Italie, pendant la Seconde Guerre Mondiale, une base aérienne américaine occupe un endroit stratégique. Le personnage central, Yossarian (consonance arménienne, faisant de lui un « étranger » à ce conflit) est mitrailleur dans un B-25. C’est la guerre avec toutes ses horreurs, le stress est évident. On ne compte plus les morts et Clevinger a disparu dans un nuage.


Ce qui intéresse Yossarian, 28 ans, c’est la vie et rien d’autre. Il ne supporte pas les bigots, les vantards, les snobs, les hypocrites de tous poils. En bon maniaco-dépressif, malheur, ignorance, persécution, violence, taudis, cupidité, crime, corruption le dépriment. Il considère que « l’ennemi, c’est quiconque vous envoie à la mort. » Alors, il cherche tous les moyens d’échapper aux prochaines missions. D’abord à l’hôpital où l’infirmière Duckett le réconforte. Il s’y occupe en falsifiant le courrier rédigé par les hommes pour leurs familles ; il signe Washington Irving (auteur du classique La légende de Sleepy Hollow). Mais pour rester à l’hôpital, il faudrait quelque chose de sérieux. L’idée géniale serait de passer pour fou. Malheureusement, le colonel Cathcart qui commande l’unité a prévu contre ça un article imparable, le Catch 22 (arnaque) du titre qui précise que si un homme demande à ne plus voler c’est qu’il n’est pas fou. Or s’il n’est pas fou, il est parfaitement apte pour les prochaines missions…


Tout est dit ou presque avec cet article. La guerre a rendu tous les hommes cinglés. A Pianosa, tous se débattent contre une situation impossible. Chacun observe les autres. Tous conservent la lucidité qui leur permet de vivre et d’agir, mais ils passent leur temps à se traiter mutuellement de cinglés… ce qui est parfaitement adapté à ce que le lecteur découvre progressivement.


Pour le lecteur, il s’agit d’une expérience bizarre. On découvre brusquement une situation déjà en place (depuis combien de temps ?) régie par un absurde qui ne se dément jamais, au gré de nombreux dialogues de sourds. Dans cette confusion organisée, chacun tient un décompte minutieux des missions effectuées, car le règlement précise le nombre nécessaire avant de pouvoir demander à retourner en Amérique. Ce qui rend fou Yossarian (entre autres) c’est qu’à chaque fois qu’il s’approche du nombre fixé, les autorités l’augmentent arbitrairement. Gag répétitif inépuisable.


Leur avenir restant très incertain, les hommes s’organisent une petite vie de plaisirs en tentant d’échapper à la mort. Ainsi, la lubricité des hommes s’exerce auprès de prostituées (souvenirs d’une permission à Rome) ou des infirmières, comme Duckett pour Yossarian. L’autre besoin élémentaire est la nourriture. Milo s’occupe du mess des officiers. Milo, roi de la combine, est à la tête d’un syndicat à l’organisation très particulière. Du moment que Cathcart lui fournit un avion, il peut récupérer des oranges ou du chocolat n’importe où dans le monde. Mais Milo va loin, trop loin, car il traite aussi avec l’ennemi.


On s’étonne presque que ce soit le colonel Cathcart et non Milo que certains envisagent de tuer. Il est vrai que Cathcart est celui qui augmente perpétuellement le nombre de missions à effectuer. De plus, il envisage une nouvelle mission sur Bologne, la précédente laissant de fâcheux souvenirs. Et puis, Cathcart se débat avec des querelles intestines dues aux rivalités entre gradés ambitieux. Là aussi, l’absurde règne en maître.


La flatteuse réputation de ce roman foisonnant est parfaitement justifiée. Une histoire de dingues (Joseph Heller a connu l’ambiance d’une base américaine basée en Sicile…) qui pullule de personnages tous plus cinglés les uns que les autres, qui se côtoient dans une cohabitation forcée où chacun tente à sa façon d’évacuer le stress. On en rit mais il faut parfois s’accrocher, car les 42 chapitres sont autant de tableaux dédiés à l’absurde, y compris dans la narration.


Absurdité de la guerre : jusqu’où Yossarian ira-t-il pour échapper à l’article Catch 22 ? La situation de guerre est un révélateur de la condition humaine, car l’auteur laisse entendre que c’est la vie elle-même qui est absurde. Chacun passe son temps en une quête qui supporte mal la confrontation avec celles des autres. Comment échapper à cette absurdité sinon par la suicide ? Oui, mais ce serait renoncer à tout ce qui fait la beauté de la vie… Catch22 !

Electron
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le 2 avr. 2014

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