Joli roman, d'un style dépouillé, tout en subtilités et en finesse. À travers l'histoire de Bhupati et de sa jeune femme Chârulatâ, c'est toute la difficulté des relations de couple qui est explorée, mais dans un pays précis, l'Inde, et dans une famille d'une classe sociale aisée, ce qui implique de nombreuses conséquences spécifiques à cet environnement.


Bhupati, qui pourrait très bien se permettre de ne pas travailler, se voue corps et âme à la direction d'un journal politique, délaissant sa femme, qui traîne son désœuvrement dans le gynécée de leur maison - vu leur rang social, la plupart des tâches ménagères incombent aux domestiques, et Chârulatâ, en tant que femme indienne riche, n'a jamais été préparée à imaginer des projets personnels, et encore moins professionnels. Cela, Tagore ne le dit pas expressément, pas plus qu'il n'insiste sur le fait que le mariage a été arrangé, le lecteur indien ayant déjà toutes les données en mains, un peu comme Edith Wharton ne précise pas ce qui se fait ou ce qui ne se fait pas dans la bonne société de Chez les heureux du monde.


Chârulatâ, donc, s'étiole, jusqu'à ce que l'installation d'un cousin de Bhupati, Amal, à peu près du même âge qu'elle, et avec qui elle va pouvoir partager plusieurs centres d'intérêt, dont, essentiellement, la littérature, ainsi qu'inventer des plans plus ou moins réalisables. Chârulatâ devient une sorte de muse pour Amal, qui écrit de plus en plus, de mieux en mieux, jusqu'à être publié et devenir connu. Or, tant qu'Amal écrit juste pour elle et lui, leur relation reste privilégiée et comble le grand vide qui habitait jusque-là la jeune femme. Elle se sent trahie parce qu'Amal ne porte pas le même intérêt qu'elle à leurs activités littéraires, autrement dit, à leur relation. Et puisqu'Amal, qui aime assez se faire dorloter et aduler, commence également à lire ses textes à une belle-sœur qui vit avec eux, pourtant peu férue de littérature, Chârulatâ va se comporter de façon mesquine et laisser libre cours à toute sa jalousie et à un sentiment de possessivité à l'égard d'Amal qui le fera fuir, la première proposition de mariage arrangé servant de prétexte.


En perdant Amal et leurs échanges littéraires, elle perd tout ce qui faisait l'intérêt de sa vie ennuyeuse et bascule dans un état de profonde tristesse, s'étiole à nouveau et encore plus profondément, sans bien comprendre ce qui lui arrive. Et sans voir que son mari, Bhupati, s'est fait flouer et a perdu son journal, et erre lui aussi maintenant sans but, cherchant à revenir vers elle. C'est là que se trouve le cœur de l’histoire, celle de Chârulatâ et Bhupati. Ils ne se connaissent pas, ils n'ont jamais vraiment vécu ensemble, ils sont incapables de se trouver et de remplir ensemble le vide qui les ronge. Tagore décline subtilement toutes leurs maladresses, toutes leurs incompréhensions, et tous leurs chagrins, chagrins qu'ils sont incapables de partager. C'est un un constat amer sur les relations de couple en Inde et la condition des femmes, et encore davantage que cela.

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le 3 juin 2018

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