« Une femme ça n’a besoin de rien, rien du tout. Rien ne pourra jamais réparer, rien jamais ne fera cicatriser cette immense plaie qu’elle a au milieu du corps, cette cicatrice que Dieu lui a faite au couteau du manque. »
Cette citation résume, à mon sens, toute la problématique du livre de Louise Chennevière.
J’aurais souhaité vous présenter Louise Chennevière, mais tout ce que j’ai pu trouver sur elle c’est qu’il s’agit de son premier roman, qu’elle a 26 ans et qu’elle déclare, en fait de présentation : « Je ne suis pas sur les réseaux sociaux ». Néanmoins elle confesse : « Il y a dix ans je voulais écrire un livre avec un grand héros, un roman existentialiste, pas sur des putes qui se font violer ! Avec ma culture littéraire classique, il m’a fallu du temps avant de remettre en cause l’ordre symbolique dominant. C’est venu d’un coup, brusquement, suite à une expérience intime. Mon écriture s’est retrouvée modifiée, les textes venaient, venaient et réaffirmaient une brutalité. C’est vrai que c’est un roman particulièrement violent, mais commencer comme cela dans l’écriture était une nécessité. Ce livre m’est tombé dessus. » Son style est troublant, fort, violent comme les violences imposées à ses protagonistes, chaotique et d’une maturité ahurissante pour un premier roman d’une femme de 26 ans ! Un exemple :
L’anorexique : « Mais toi qui es-tu ? Et as-tu le droit de parler, toi, en ton nom ? Et avec quels mots, et comment dire la dépossession ? La honte, et les caillots de sang dans la culotte, et le sang qui ne vient plus ? Et ce trou sombre ? Et la douleur du corps qui fait défaut, qui se terre, dans les recoins, les cavités, les cloaques de l’existence ? Et toi qui femme, n’est qu’un corps tout entier ? […] C’est, peut-être, cette façon particulière de n’être pas soi, d’être toujours déjà une image. D’être toujours déjà, d’abord, une femme. D’abord, toujours déjà, et pourtant, tu l’as compris, tard, trop tard. Tu étais tombée du bon côté du monde, jamais tu n’as su, enfant, que tu étais une petite fille. Tu n’as pas, su ce corps trop tôt, cette place. Tu n’as pas : été violée enfant par un homme, tu n’as pas éprouvé la section précise du couteau dans ta chair retranchant à jamais ton plaisir, tu n’as pas eu à te tenir en silence, dans ta chambre, cloîtrée, tu n’as pas dû cacher ton corps et tes formes, tu n’as pas eu à demander la permission, à laisser la place au grand frère… »
Les portraits de femmes se multiplient à l’infini, pimentés de troubles psychiatriques, IVG, viol, incestes, homosexualité, pulsions meurtrières… J’avais pensé trouver un de ces livres féministes se lamentant sur le machisme masculin, dans le vent de la pensée actuelle, il n’en est rien : « C’est compliqué à faire entendre dans la période actuelle mais je tiens à dissocier la pratique militante, la lutte pour les droits et la littérature. Cela n’a rien à voir. Autre chose se joue ici. Ce texte est un livre de littérature qui est le lieu du trouble. Il n’est pas un discours, il n’y a pas de parti pris. On ne peut pas sortir de mon livre en disant « Voilà, elle pense ceci, cela ». Les femmes sont constituées à partir d’un imaginaire énorme, hyper puissant, hyper violent » déclare l’auteure dans une interview, « des gens pourront être dérangés par le livre, certains le sont déjà. C’est la preuve que le corps des femmes est encore extérieur, qu’on n’est pas à l’aise avec lui. »
Le modèle : « Mon corps est une prison, mon corps est adoré. Il est adoré par des milliers de filles à travers le monde. Je les laisse faire. Je leur parle au creux de l’oreille, je les guide, je leur donne des conseils. Je suis pour elles un modèle, une grande sœur. La femme parfaite. […] Sous chacune de mes photos s’étalent des centaines de commentaires, je n’y réponds jamais. Je demeure silencieuse. Mon pouvoir est immense, et il augment chaque jour. […] Et chaque jour n’est que la mesure de cette haine-là, cette addition-soustraction posée dans notre chair. Je veux qu’elles souffrent autant que moi, je veux qu’elles sentent leur corps décharné, affamé peser du poids terrible de tous les regards du monde sur elles. »
L’agression : « … lui qu’elle connaissait si bien portant, qui était son amant depuis des mois déjà, lui dont elle aimait le corps et dont elle aimait les gestes brusques, et la façon dont il lui tirait les cheveux, mordait le corps, lui qui arrivait presque à la faire jouir, mais elle ne savait plus qui était cet homme, là, derrière elle, […] et devant ses yeux comme un écran noir, elle avait peur du noir, et la panique, et la sensation de suffoquer, et le cœur qui s’emballe, comme mille chevaux galopant sur ses reins, brisés par le poids de cet homme sur elle, et elle avait dit stop, et s’il te plait, et la peur qui montait, mais lui qui avait continué, joué le jeu jusqu’au bout, rien qu’un simple jeu, jusqu’à jouir sur son dos. »


Voilà, j’ai laissé Louise, ou ses personnages s’exprimer, elles parlent du livre bien mieux que je ne pourrais le faire. J’aurais aimé que tout le livre soit écrit avec ce même rythme chaotique qu’au début, auquel très probablement, on doit très vite s’habituer. Bon, je ne suis qu’un vieil homme qui, au soir de sa vie n’a pas élucidé le mystère de La Femme. Amies lectrices, soyez rassurées, ce n’est pas ce livre qui vous mettra à nu, il me semble qu’il épaissit encore plus l’énigme, j’en arrive à remercier le sort qui, dans mon cas, a fait gagner un spermatozoïde XY. Il y a sans doute, des portraits surabondants, des doublons, des sujets redondants, le CORPS revient comme un leitmotiv et si on accuse les hommes de toujours brandir leur sexe comme un étendard il me semble qu’ici les femmes prennent leur revanche !
A ce propos, j’ai perdu la citation, et j’aimerais beaucoup qu’un(e) futur(e) lecteur(trice) me la reprécise car je l’ai bien aimée : il s’agit de la métamorphose de ces animaux de compagnies si appréciés des humains que sont les chiens amoureux éperdus des hommes et les chats que les humains aiment tant, et ce qu’ils deviennent en changeant de genre : des chiennes et des chattes…


P.S. : Toutes les confidences de l'auteure proviennent d'une rencontre avec DIACRITIK en avril 2019.

Philou33
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le 24 avr. 2019

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