"Comment tout a commencé" de Philippe Joanny : Edouard Louis, en un peu mieux ?

En lice pour le Goncourt du premier roman 2019 finalement remporté par le Court vêtue de Marie Gauthier, Philippe Joanny et Comment tout a commencé ont retenu notre attention chez Lettres it be. Entre autofiction et roman biographique, Philippe Joanny nous propose une plongée dans le Paris des années 70-80, dans une existence bousculée et basculée.


La bande-annonce


Paris, 1979. Rue d'Austerlitz, à deux pas de la gare de Lyon. Une enfilade d'hôtels, le Bourgogne, l'Aveyron, le Toulouse..., des filles qui font le trottoir, un bistrot où traînent des maquereaux et des loubards. Sans oublier les gosses, qui après l'école jouent sur les pavés. Rue d'Austerlitz, on ne s'ennuie jamais.
Patronne du Bourgogne, Annick n'a pas une vie facile. Entre l'hôtel dont elle est prisonnière et son mari, Gérard, une brute alcoolique et raciste qui la trompe sans arrêt, elle n'est pas loin de craquer. Il y a bien ses deux garçons, mais l'aîné n'est pas le fils espéré. À onze ans, il dessine des robes de princesse, rêve devant les majorettes, est maniéré.
Un jour, le garçon voit sa mère monter dans le panier à salade, embarquée pour proxénétisme. C'est la déchirure. Son père, dont le nouveau héros est Jean-Marie Le Pen, il le hait si fort qu'il souhaite et planifie sa mort. Il n'a qu'une hâte : grandir vite, partir. Jusqu'à ce que le « cancer gay », qu'on n'appelle pas encore sida, fasse son apparition, un soir, au journal télévisé...
La peinture juste et terrible d'une période charnière, et la mue poignante d'un adolescent pas tout à fait comme les autres.


L’avis de Lettres it be


Le narrateur de cette histoire, petit garçon dans les premières pages, raconte cette tranche d’existence dans les chambres et les couloirs de l’Hôtel de Bourgogne à Paris, à quelques pas de la Gare de Lyon. Une mère prostituée, un père alcoolique et raciste, un petit frère modèle puis une descente qui ne tourne pas vraiment bien… Le tableau n’est pas reluisant, le tout noyé dans un Paris des années 70-80 dont l’ambiance est très vite et bien posée, point fort du roman. Ce narrateur, nous le suivrons tout au long du récit, sur les pas d’une homosexualité qui se découvre et se déclare avec ces envies coupables d’enfiler les escarpins maternels ou de broder des pétales de rose. Et c’est précisément à partir de là que le bât commence à blesser…


« Un soir, le ciné-club programme le film Freaks. C’est un choc. Il n’a jamais rien vu de pareil. Les phénomènes qu’on exhibe à la Foire du Trône comme la femme à barbe, Rita la femme la plus grosse du monde, les sœurs siamoises ou les géants le font trembler. Dans Freaks, il y a pourtant bien des siamoises, un homme tronc, des nains et des géants, mais ce film-là, il ne sait pas pourquoi, c’est autre chose. Il le regarde le corps tendu sur sa chaise, sans oser ciller de peur de louper une image, complètement captivé. Ces monstres qui savent vivre et rigoler le rassurent. Le manchot fume avec ses pieds, l’une des siamoises a même un fiancé. Quant au drame au cœur de l’histoire, il est déchirant. La détresse de Frieda, l’attendrissante naine écuyère qui perd son amoureux, Hans, un lilliputien magicien fasciné par la diabolique Cléopâtre qui joue de ses sentiments pour lui extorquer son argent, lui tire les larmes. Comme Frida il a le cœur brisé, comme Hans il est enflammé. Toutes ces émotions qu’il éprouve le bouleversent, mais le remplissent d’une joie nouvelle. Il le sent proche de ces êtres difformes. Il le sait, lui non plus n’est pas comme les autres. »


Dans Comment tout a commencé, le lecteur est souvent invité à retrouver l’auteur sur la place du lieu commun. Malheureusement, cette homosexualité qui passe par les escarpins féminins, ce père alcoolique et nécessairement raciste soit le cocktail le moins reluisant qui soit pour illustrer le Mal et la Haine… Tout cela enlève une certaine épaisseur à un récit qui, pourtant, parvient à captiver et tenir plus ou moins en haleine par une plume bien inscrite dans l’époque racontée. Et parce que Philippe Joanny fait le choix de l’autofiction (supposément ?), impossible de trop souligner cela : si c’est fonction c’est mal venu, si ce n’est pas fiction c’est difficilement attaquable car fruit du souvenir personnel. Précisément les mêmes remarques que l’on peut faire à des auteurs comme Edouard Louis et consorts…


« Quand il les regarde avec des yeux émerveillés manier leur bâton pailleté, le faire vriller entre leurs doigts et leurs jambes avant de le lancer en l’air et le récupérer avec agilité, il regrette au fond de lui de ne pas être une fille pour parader avec elles. Il voudrait être une majorette. »


Les bouleversements politiques entraînés par l’arrivée au pouvoir de François Mitterrand, l’expansion du sida véritable « cancer gay », ce narrateur qui ne souhaite rien d’autre que répandre l’amour et la paix autour de lui dans un climat (déjà ?) d’homophobie latente… Tous ces éléments s’entremêlent dans un récit supposément autobiographique/autofictionnel. La maladie sexuel croit trouver un pendant politique avec l’émergence du Front National, le racisme semble être le parallèle de l’homophobie. Et ainsi de suite… Difficile de ne pas être touché par ce premier roman de Philippe Joanny. Seulement, dans un livre qui ne se dit jamais vraiment (fiction ou réalité ?), on peine à tenir la ligne de vie. On peine à rester dans les flots de l’auteur qui multiplie les thématiques et les réflexions sur une époque traitée avec un manichéisme entêtant.


Retrouvez la chronique en intégralité sur Lettres it be : https://www.lettres-it-be.fr/critiques-de-romans/auteurs-de-f-%C3%A0-j/comment-tout-a-commenc%C3%A9-de-philippe-joanny/

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le 4 juin 2019

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