Dans la forêt
7.8
Dans la forêt

livre de Jean Hegland (1996)

La petite maison dans la forêt... je n'y crois pas !

Pourquoi ai-je voulu lire ce livre ? Parce qu’il est le premier au top cinquante ? Parce que deux de mes éclaireurs l’ont lu et ont été emballés ? Parce que plus de deux cents personnes l’ont lu et neuf sur dix lui ont attribué une note au moins égale à sept ? Ou plus certainement parce qu’en lisant le synopsis j’ai tout de suite pensé à « Malevil » de Robert Merle, ce roman post-apocalyptique qui, à l’époque, m’avait beaucoup séduit par son côté « Je survis parce que je me débrouille » dans le style MacGyver. C’est du moins, le souvenir qu’il m’en reste : faire preuve d’une grande inventivité pour tirer partie de tout, afin d’assurer sa survie…
Mais voilà que dans la première partie de ce livre (qui en compte trois) on découvre les héroïnes, directement échappées de « La petite maison dans la prairie », téléportées un siècle plus tard dans la série « La petite maison dans la forêt » dans une variante un peu plus catastrophe, la mère est morte d’un cancer, le père ne parvient pas à faire son deuil, Laura s’appelle Nellie, a 17 ans, et sa sœur Mary devient Éva et a 18 ans quand tout s’effondre. Plus d’électricité, plus d’Internet, plus d’essence, plus rien dans les supers marchés. Le pire, c’est que c’est arrivé progressivement laissant à chacun l’espoir du provisoire. Mais nous, lecteurs avertis, on sait bien que la situation va durer et même empirer (sinon il n’y aurait pas de livre !). Et ça empire ! Et nos jeunes filles, complètement déconnectées de la vie réelle et sociale, devenues orphelines, ayant toujours vécues isolées dans leur petite maison dans la forêt, chacune enfermée dans sa bulle, sont totalement inconscientes de la gravité de la situation. Tout particulièrement l’ainée qui ne vit que pour la danse au son d’un métronome mécanique et de la musique qu’elle joue dans sa tête. Quant à la cadette, elle incarne un certain rêve américain, celui de la réussite des études, dans la meilleure université possible. Ce sera Harvard ! Comme elle ne sait quelles études elle entreprendra et bien elle apprend TOUT !... Sans fréquenter d’écoles… et bien sûr, elle est très en avance sur les autres enfants de son âge et… Harvard lui tend les bras !
On est dans l’utopie absolue et le délire le plus complet.
L’irresponsabilité est totale. Il faut pratiquement attendre la fin de la narration pour entendre une parole sensée : « Depuis que tout a commencé, nous avons attendu d’être sauvées, attendu comme de stupides princesses que nos vies légitimes nous soient rendues. Mais nous n’avons fait que nous berner nous-mêmes, que jouer un autre conte de fées » et encore « Pendant tout ce temps on a vécu dans le passé, en attendant d’y revenir. Mais le passé n’existe plus. Il est mort. »
Pour une fille très en avance sur les autres enfants de son âge… Quelle lucidité !... Quid des autres enfants ?
Lorsque cette fille très en avance décide de prendre les choses en mains, c’est-à-dire d’utiliser le livre de sa mère sur les plantes (afin d’en extraire de la teinture naturelle), on obtient une liste d’actions, une liste à la Prévert, une longue énumération fastidieuse de faits et gestes, de plantes qui soignent, de mauvaises herbes qui deviennent bonnes, sans âme et sans émotion. Nellie devient experte en herboristerie alors qu’elle faisait tout juste la différence entre un arbre et un buisson ! En un rien de temps elle redécouvre ce que ses ancêtres avaient mis des générations à appréhender… Ce que c’est que la femme moderne ! Quand même ! C’est d’une naïveté touchante mais pas très crédible…


Bon. On a vu d’excellents livres dont la cohérence du rationalisme n’était pas la qualité première. Aussi ai-je cherché l’univers poétique dégagé par cet ouvrage… je ne l’ai pas trouvé. J’aurais aimé plus qu’une simple évocation du ciel nocturne que nul contemporain n’a plus contemplé depuis des décennies du fait de la pollution lumineuse… J’aurais aimé plus qu’une simple allusion à la communion avec nos frères vivants, animaux ou végétaux qui peuplent la forêt…
J’ai cherché une leçon philosophique développée dans cet opus… je ne l’ai pas trouvée. Bien sûr on peut tirer une leçon. Chacun à sa façon. Le bilan anthropologique de l’auteur sur ces deux enfants gâtées du XX° siècle n’est pas brillant, à mes yeux. Il semble que ce soit le fruit de l’éducation laxiste des parents qui avaient tout des soixante-huitards attardés. Rejet du groupe, fuites. Fuite dans le passé puis fuite en avant vouée à l’échec du fait du rejet des autres. Les deux sœurs sont à ce point repliées sur leurs deux nombrils qu’elles voient dans l’autre un ennemi systématique. Or il n’y a pas de salut hors du groupe, de la horde, de la tribu la plus importante possible. Les tribus indiennes dont il est fait le panégyrique étaient très nombreuses (fin XVIII°, en Californie on comptait plus de 300 000 indiens) … Alors deux jeunes filles, seules, perdues dans les bois…
Alors, pour ma part, la leçon philosophique sera celle du poète : « Pendant que nous parlons, le temps jaloux s’enfuit. Cueille le jour, et ne crois pas au lendemain ». La recherche du bonheur n’est pas dans un retour au néant mais dans un évitement des extrêmes. Entre le retour à un dépouillement extrême et l’assujettissement au matérialisme extrême, il y a tout une gamme d’équilibres où l’homme peut vivre heureux.
Je ne crois pas en ce livre !

Philou33
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le 27 nov. 2017

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Philou33

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