Le « Club Van Helsing », on en cause pas mal ces derniers temps, dans les recoins les plus interlopes du ouèbe (fréquentés uniquement par des ados attardés dénués de goût). Mais qu'est-ce donc que ce « Club Van Helsing », se demande le jeune lecteur candide (ou mature et de bon goût) ? Eh bien, cher ami, le Club Van Helsing est une collection créée il y a peu par Xavier Mauméjean (soit un très bon écrivain de SF-et-plus-si-affinités) et Guillaume Lebeau (soit un parfait crétin à en juger par ses polémiques de bac à sable sur le forum du Cafard cosmique, ou alors un type qui a un sacré sens de l'humour ; c'est comme pour Jean-Claude Van Damme, on sait pas trop) aux éditions Baleine, et qui sent bon le roman de gare, tendance Maxi Best Of Poulpe. Note d'intention : « un monstre, un chasseur, à chaque fois un match arbitré par l'un des plus fameux auteurs français issus du polar ou de l'imaginaire ». Des bouquins brefs (entre 150 et 200 pages), à lire dans le train ou en faisant la queue à la Sécu. Une collection qui ne prétend pas faire autre chose que divertir, mais se paye le luxe d'être joliment présentée et d'accueillir quelques plumes fort sympathiques.

Le bilan, jusqu'ici, est cependant plutôt mitigé ; si beaucoup s'accordent pour vanter les mérites des livraisons de Johan Héliot et Bretin & Bonzon, le reste a laissé plus sceptique, voire déchaîné quelques incendies critiques sur lesquels je n'oserai pas pour l'instant me prononcer, n'ayant pas encore lu les volumes incriminés. Délires d'Orphée est en effet le premier titre de la collection que je m'enquille. A cela, une raison on ne peut plus simple, qui a pour nom Catherine Dufour.

Catherine Dufour écrit bien. Elle écrit même très bien, quand elle veut. Que celui qui ose en douter (le sagouin) jette un œil à son beau roman de science-fiction Le Goût de l'immortalité (prix Rosny-Aîné, grand prix de l'Imaginaire et prix Bob Morane 2006, vi, rien que ça). Catherine Dufour sait faire dans la noirceur vraiment très très noire (comme dans le roman sus-cité, ou encore la chouette nouvelle « La Liste des souffrances autorisées », dans le gros Bifrost n° 42). En même temps, l'auteur de Blanche Neige et les lance-missiles sait aussi faire dans l'humour (le vrai, celui qui fait rire, si si ça existe). J'aime bien la tonalité générale de ses récits (et pas que de ses récits, d'ailleurs). Alors la voir manier du chasseur de monstres dans un bouquin du CVH – et donc presque nécessairement riche en clins d'œil –, ben, logiquement, ça m'a tenté. Et d'acheter ce Délires d'Orphée qui venait de paraître, et au sujet duquel je n'avais pas encore lu la moindre critique, histoire de pouvoir m'en forger une par moi même, du bouquin comme de la collec'. En chasse.

Le chasseur, ici, c'est Senoufo Amchis, le « dernier Grand Maître de la Confrérie des tueurs de cachalots des Açores » (ah oui, quand même), lequel aurait semble-t-il déjà figuré dans un précédent roman du CVH. Un habitué, donc, mais contraint et forcé : il ne vit que par et pour son Queequeg, pour l'heure à quai. Pour combattre le mal de terre, Senoufo accepte donc de jouer du harpon contre des proies un peu moins volumineuses, mais non moins dangereuses, celles que lui désigne à l'occasion ce vieux grigou de Lord Van Helsing (bien différent du personnage de Bram Stoker ; je suppose qu'il s'agit du descendant du fléau de Dracula, mais n'en suis pas totalement certain, alors camembert).

Or il s'est produit quelque chose d'impensable : la Bibliothèque Obscure de Bedlam Asylum a été cambriolée. Nécessairement par quelqu'un qui connaissait les innombrables pièges dont fourmille le repaire de Van Helsing, ainsi que Senoufo en fait bientôt l'amère expérience. Il s'agit donc pour le harponneur de retrouver l'objet volé... et de le détruire. Van Helsing est formel. L'artefact en question est un authentique trésor mythologique, et en même temps un monstre en tant que tel, dont le venin est particulièrement douloureux : le désespoir à l'état brut. Et Senoufo de se mettre en chasse, agacé par les nombreux non-dits de son patron. A lui donc de retrouver cette pièce rare, cet instrument de musique à base d'écailles de tortue, qui se terre quelque part dans Londres : la lyre d'Orphée, ou celle d'Homère ? Quoi qu'il en soit, il pourrait être judicieux de se boucher les oreilles, comme le fit naguère un fameux marin, et, surtout, de ne pas se retourner, ne jamais se retourner... même si c'est bien « en arrière » que se trouve à l'évidence l'explication de ce cambriolage incongru.

Pour être honnête, la dimension « enquête » de ce Délires d'Orphée est « un peu » poussive : comme dans un jeu de rôles bourrin, le boulot est un tantinet mâché, à grands renforts de marque-page et d'indic serviable et qui sait tout sur tout, en l'occurrence le dénommé Turkish Delight, aussi sympa, grotesque et bienvenu que le Huggie-les-bons-tuyaux moyen. Et puis Senoufo a parfois des éclairs de génie qui laissent pantois, un peu comme dans ces jeux vidéos d'aventure dans lesquels on essaye de se persuader a posteriori qu'il était parfaitement logique de mettre le hamster dans le micro-ondes après avoir regardé une pendule pour débloquer la scène suivante... En même temps, les révélations n'en sont pas vraiment, et le téléphone sonne régulièrement dans le bouquin, malgré un ou deux twists un peu mieux gérés. Pas gégé sur ce plan-là, donc.

Et pourtant, ça fonctionne très bien, et il ne faut sans doute pas trop attacher d'importance à ce défaut qui aurait probablement été rédhibitoire avec un autre auteur. Mais comme Catherine Dufour écrit bien, et comme elle jongle astucieusement avec les références, tant mythologiques que « populaires » (de Philip K. Dick à Joy Division, en passant probablement par Sandman et bien d'autres choses très chouettes entre-temps), on se prend au jeu. Senoufo est un personnage attachant, plus épais que ce que l'on pouvait craindre au vu de la « catégorisation » (beuh...) du roman et de la collection ; un anachronisme, peu au fait du monde moderne, capitaine Achab contraint de jouer au sous-James Bond, mais sans se séparer de son harpon pour autant (et c'est quand même la classe, un chasseur de monstres avec un harpon). Et on prend plaisir à le suivre dans sa traque, et à s'interroger avec lui (et, à l'occasion, avec le même mépris) sur les interprétations à donner à tous ces vieux mythes qui semblent jouer un rôle dans cette étrange histoire. On s'amuse, quoi. Et ça marche donc très bien : le contrat est rempli, Délires d'Orphée est très divertissant. D'autant plus qu'il est souvent drôle.

Alors que demande le peuple ? Un autre volume du « Club Van Helsing » aussi sympa que celui-là. Y'a du challenge, mais c'est pas insurmontable en principe. J'attaque prochainement le semble-t-il bien plus bourrin et jouissivement débile Mickey Monster de Bretin & Bonzon, je vous tiens au jus. On verra bien si la collec' mérite d'être suivie ou pas. Mais ce Délires d'Orphée est un bon argument en sa faveur, tellement bon, à vrai dire, qu'on serait presque prêt à pardonner un directeur de collection tête à claques dans sa défense acharnée de son bébé : malgré l'autre ahuri, j'ai envie d'en lire d'autres. Alors on verra bien.
Nébal
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le 14 oct. 2010

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Nébal

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