Comment dire, est-ce roman, récit, fiction, reportage? Disons que, «Des âmes simples», c'est comme un roman de vies et d'un lieu, ce deuxième livre de Pierre Adrian. Il nous donne à lire des séquences d'histoires dans une communauté montagnarde, qui s'invente chaque fois, selon les passages, à l'abri des murs du monastère qui tient par la foi, la force et l'empathie de Pierre, son curé-moine.
C'est l'été, avec son vélo l'auteur découvre le village de Sarrance, avant le col du Somport, visite le monastère mitoyen de l'église et fait connaissance avec Pierre, le curé de la vallée d'Aspe et le seul moine occupant le monastère.


Cette rencontre ouvre la porte à Pierre Adrian pour y retourner. Il s'y installera, pour quelque temps -un mois en hiver-. Il va observer, apprendre et prendre tout ce qui vient, accompagner, apporter aussi sa part à ce lieu exceptionnel et finalement banal où les âmes simples -et les autres- s'arrêtent pour se reposer d'une bonne marche, demander de l'aide, recevoir du confort, s’éloigner ou se cacher des poursuivants, se protéger des embûches, se préparer à affronter les obstacles, partager peines et espoirs...


Des âmes simples [publié aux éditions des Équateurs] est le "roman-récit" de cette rencontre. Par une écriture minutieuse et aussi fluide et alerte, nous parcourrons la vallée d'Aspe, ce morceau des Pyrénées, dans le Béarn, à la frontière du pays basque. Le chemin de fer, historique dans la vallée qui mène à la vieille gare de Canfranc. Autrefois la ligne ouvrait vers l'Espagne, où passait des voyageurs et des marchandises. Mais aussi l'or nazi, en provenance de Suisse, ou les bijoux et les montres volés aux déportés. Avant que les allemands l'occupent en l'hiver 1942, par là sont passés également de nombreux juifs, cachés dans des sacs postaux ou entre deux wagons. Plus tard c'est par là que se sont enfouis les meurtriers de la Wehermacht pour partir en Argentine ou le Chili via l'Espagne et le Portugal. Aujourd'hui ne reste plus rien, sauf les bâtiments et tout au tour en friche, comme ailleurs.


Depuis le tracteur et la télévision tout la vie a été bouleversé comme le dit Pierre le curé. «Ce que j'appelle moi, la civilisation du tracteur et de la télévision, le passage d'une agriculture de subsistance à une agriculture de rendement... Les Basques eux, sont restés attachés à leur culture, à leur langue... au moment de cette prise de conscience de la culture basque, les Béarnais abandonnaient la leur».


Nous sommes souvent sur la route avec le père Pierre car ils sont nombreux à l'appeler dans la vallée, ou d'une maison isolée. Ils ne viennent pas souvent à l'office, certains jamais, mais ils savent que Pierre est là, en cas de coup dur ou d'une sévère angoisse nocturne!


Les descriptions des lieux, des passages, des montagnes nous font associer à Giono dans cette découverte du terroir. Sans trop dire mais suffisamment pour y être, pour l'imaginer et même le ressentir...


La foi est très présente dans ce livre ou plus exactement la place de la foi pour les croyants et les non croyants. Comme si, tout compte fait pour Pierre, curé et moine, c'est la croyance en soi et dans l'autre qui fait que nous nous croisons, nous rencontrons et construisons ce bel édifice de solidarité et de fraternité fusse-t-il derrière des murs austères et froids, si bien dépeints par l'auteur, de ce monastère, perdu et presque ignoré dans la Vallée d'Aspe.


«Tout vaut la peine quand l'âme n'est pas petite»


La majeure partie de ceux qui s'arrêtent ne font que passer. Une halte sur le chemin de St Jacques dans la voie d'Arles. Pour d'autres, venus il y a longtemps dans les Pyrénées, au gré des mouvements alternatifs ou écologiques de retour à la terre (quelques fois un voyage sans retour, pris ensuite dans la marginalité voire la drogue). Dans la vie de galère, ils savent que quelque chose est possible chez Pierre, pour un temps. D'autres encore, parfois les mêmes ce sont de l'époque de l'indien, lors de l'épisode de la construction du tunnel du Somport et tout le mouvement de contestation alors engagé par Eric Petetin, dit l'Indien, des années 80/90.


C'est là aussi qui arrive Marie, avec sa valise, égarée sans trop savoir où elle atterri, fuyant un compagnon violent. Confusément elle sait qu'elle peut y faire une halte!


Après avoir fermé le livre «Des âmes simples», confrontés à un tourbillon de séquences de vies, on ressent une sorte d'admiration et de sérénité communicative pour Pierre, l'âme du lieu qui accueille sans demander ni juger notre destination, et met tout en œuvre pour que le présent soit apaisant et nourrissant. Nous poursuivrons ensuite le chemin, de la lecture ou de la marche, certains que Sarrance, par le regard et la parole de Pierre Adrian nous aura montré une nouvelle clé de vie. Ce lieu où les portes n'ont pas de clefs.


Et il m'est venu en mémoire ce qui écrivait Fernando Pessoa, «tout vaut la peine quand l'âme n'est pas petite» [Tudo vale a pena quando a alma não é pequena]. Celle du curé-moine de Sarrance est grande, remplie d'une croyance «humaniste»!


ArthurPorto
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le 30 juil. 2017

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