Des éclairs
7.4
Des éclairs

livre de Jean Echenoz (2010)

Un ascenseur social nommé… Westinghouse

Ce roman est une pure fiction, soit avant tout un travail d’écrivain. Le personnage central est un certain Gregor, né une nuit orageuse quelque part en Europe centrale. Indice révélateur, la trame fait intervenir un certain nombre de personnalités réelles : scientifiques, financiers et mêmes artistes. En fait, ce livre est une version romancée de la vie de Nikola Tesla, scientifique ayant beaucoup travaillé dans le domaine de l’électricité.


Le style Echenoz permet de tout présenter de manière légère, rendant la lecture agréable, alors que Gregor est présenté comme un cas. Imagination féconde, il a tout du savant un peu en dehors des réalités. Peu intéressé par la réussite financière, il déchire ostensiblement un contrat pouvant lui assurer une rente mirifique, mais mettant son principal commanditaire sur la paille. Ce faisant, l’auteur montre la position du scientifique du XIXème confronté à une débauche d’idées révolutionnaires mais dépendant des moyens qu’on veut bien mettre à sa disposition. Echenoz montre également la lutte entre deux compagnies (Edison et Westinghouse) qui utilisent les idées de scientifiques comme Tesla, Marconi et consorts. Le nerf de la guerre étant encore et toujours l’argent, la position du financier est déterminante. Intéressant également, de voir Gregor présenté (surtout à ses débuts) comme une sorte de phénomène de foire. Des inventions qu’il n’a pas encore eu le temps d’utiliser de façon commerciale, impressionnent le grand public. Le grand public est d’ailleurs également sollicité dans la guéguerre Tesla/Marconi à propos des avantages et inconvénients du courant continu et du courant alternatif. Gregor est décrit comme un homme pensant avant tout et de manière obsessionnelle à ses travaux scientifiques (œuvres de sa vie), au point d’en devenir désagréable pour son entourage. Son seul luxe est de bien s’habiller et d’habiter une chambre dans un grand hôtel new-yorkais. Une chambre d’hôtel où il finira par devenir indésirable, non pour avoir reçu des femmes en quantité (seule Ethel Axelrod semble l’avoir ému, sans qu’il ose jamais tenter quoi que ce soit, Ethel étant mariée au seul homme pouvant lui assurer son avenir financier), mais parce qu’il y héberge des pigeons (blessés) en quantité de plus en plus insupportable. Une sollicitude qui se retournera contre lui, finalement.


Du personnage réel, on peut retenir que, cerveau scientifique rapidement reconnu, Tesla trouve son épanouissement en s’expatriant, aux Etats-Unis comme beaucoup d’autres. Incroyablement inventif, il dépose plusieurs centaines de brevets scientifiques, beaucoup d’entre eux attribués à tort par le grand public à Edison qui fut son employeur mais également son exploiteur. C’est chez Westinghouse qu’il est rémunéré plus justement. Fort de son invention géniale de la lampe à incandescence, Edison s’entête à tort en prônant l’utilisation du courant continu malgré ses nombreux inconvénients (tension non adaptable entrainant la nécessité de plusieurs générateurs selon les usages, accidents, nécessaire proximité entre le producteur et le consommateur, etc.) alors que Tesla qui sent bien les avantages du courant alternatif (celui qui alimente tous nos appareils domestiques) n’est qu’un employé. Tesla a des idées (des éclairs… de génie) et il voit loin. Son défaut est d’être en avance sur son temps, on le prend pour un fou (voir sa tour de Wardenclyffe) alors qu’il raisonne en altruiste imaginant le moyen de fournir de l’énergie en quantité, pour tous, gratuitement…


Extrait caractéristique, aussi bien du personnage central que du style Echenoz :


« Et quand dort-il donc, on ne sait pas, peut-être qu’il ne dort pas. Et quand baise-t-il donc, rien n’indique non plus qu’il se livre à cela, il n’est pas exclu qu’il lui manque un peu de temps pour être plus de quatre personnes à la fois. Toujours présent, toujours très efficace et vif, il n’y a que sur la question des dépôts de brevets, peut-être, qu’on pourrait le blâmer d’aller un peu trop vite au risque de se montrer négligent. »


La recherche scientifique (de l’époque) est donc présentée de manière crédible et agréable, dans un court roman (175 pages) qui clôt une trilogie consacrée à des biographies romancées (après « Ravel » et « Courir »). Si le livre se lit bien, j’y ai trouvé un peu moins d’originalité que dans d’autres du même auteur. Néanmoins, il illustre de façon originale les progrès fulgurants dans le domaine de l’électricité au XIXème siècle, sans jamais chercher à embarquer le lecteur dans des descriptions incompréhensibles. Au contraire, Echenoz laisse entendre que ses connaissances dans le domaine sont très communes, ce qui explique sans doute une description exagérément lyrique des conséquences d’une expérimentation suggérant la piézoélectricité (Tesla n’ayant aucune paternité dans ce domaine d’après mes investigations).

Electron
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le 17 mars 2015

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