Quelle tendresse… et quelle cruauté aussi. Comme dans À l'Est d'Eden, les différents niveaux de lecture me bluffe : Des souris et des hommes c'est d'abord une histoire populaire et accessible, qui touche l'âme sans même qu'on s'en rende compte. Mais c'est aussi une construction narrative précise et resserrée, qui ne doit rien au hasard. Steinbeck joue les symétries pour instiller subtilement en nous un doux sentiment d'humanité et de pitié :
Lenny et George fuient la ville où Lenny a dérapé en voulant caresser la robe d'une femme... on espère que ça ne le reprendra plus. Candy consent à abréger la vie de son vieux chien, mais se lamente de ne pas l'avoir fait lui même... pas si anecdotique que ça lorsqu'on lit la fin du récit, magistral. Chaque élément répond à un autre, rien n'est décoratif.
Les personnages se confient au grand bêta, qui lui tourne en boucles sur ses rêves de ferme et de lapins, réclamant inlassablement à George de lui raconter la belle histoire... Même George veut y croire, et l'aide de Candy suscite en nous l'euphorie, le rêve devient tangible !
Il y en a des morts, dans ce beau roman : les petits animaux d'être trop aimés, la femme de Curley par inadvertance, le pauvre Lenny par bonté d'âme. Steinbeck ne décrit que des morts d'amour, de beauté, de douceur... c'est indéniablement contradictoire, mais c'est terriblement tendre et pathétique.
Sans fioritures, à travers la rudesse de dialogues triviaux entre travailleurs itinérants, et sans jamais proposer une description psychologie de ses personnages, Steinbeck réussit à leur donner une épaisseur, une humanité qu'on retrouve chez peu d'auteurs. Le duo George/Lenny est porté par une tendresse infinie, une des plus belle histoire d'amitié qu'il m'ait été donné de lire.