Un portrait réaliste de l'Amérique du début du XXème siècle ou la vie tragique d'un homme-enfant
Il n'est jamais trop tard pour lire les classiques auxquels on a échappé lors de sa scolarité. Notez cependant qu'il est bien fâcheux, en France, de ne donner à étudier à nos chères têtes blondes - ou brunes - que des auteurs français. Si Camus et Giono m'ont séduit, Flaubert et Balzac auraient pu me rendre réfractaires à la lecture, et cela aurait été bien dommage.
Mais il est des auteurs qu'on n'enseignait pas de mon temps : ce sont les Steinbeck, Hemingway et Eco pour ne citer qu'eux. C'était une époque où l'on nous soûlait avec Molière sans nous laisser entrevoir Shakespeare, une période où on nous contait les mésaventures de Ruy Blas plutôt que d'aborder l'Ingénieux Don Quichotte de la Manche. L'enseignement a-t-il évolué ? Je n'en sais rien mais ce sont des choses qui m'ont manquées et que je rattrape aujourd'hui.
« Of mice and men » qui peut se traduire par des souris et des hommes tel le titre d'un traité de philosophie ou de sociologie. A l'origine, je pensais qu'il racontait le combat que se livraient des hommes qui récoltaient le blé qu'ils avaient semé avec des souris qui venaient en prélever un minuscule écot, mais il n'en est rien.
C'est un roman prenant qui nous présente les routiers, ces travailleurs itinérants qui traversaient les Etats-Unis pour travailler dans les ranches. Grands voyageurs, hommes de caractères et parfois rêveurs, Steinbeck nous en décrit deux en particulier George et Lennie. Ces deux-là font la route ensemble depuis des années. Si George est ce qu'on pourrait appeler aujourd'hui un grand-frère pour Lennie, c'est parce que cet homme à la force herculéenne est un homme-enfant. Lennie n'est pas mauvais, dans le fond, mais il ne sait pas ce qui est bien de ce qui est mal, ce qui se fait de ce que la société n'accepte pas.
Ils arrivent dans un ranch pleins de rêves. Pour avoir leur propre terre, il faudra encore travailler. Pour cette terre Lennie s'occupera des lapins, il y aura encore de la sueur à verser mais le travail ne les effraye pas. Dans ce ranch, ils vont rencontrer d'autres personnages qui ont accepté la sédentarisation car ils n'ont plus de rêves. On y voit un vieux qui a trop marché et qui y a trouvé un point de chute, un noir qu'on traite comme un nègre, une femme qui peut nous sembler être une allumeuse mais qui est aussi une paumée de la ville venue s'échouer là après son mariage avec le fils du patron.
Et tous ces gens, sans jugement, Steinberg nous en fait partager la vie. L'époque n'était pas drôle. On survivait plus qu'on ne vivait. On n'y devenait pas plus humain, on restait ce qu'on était. Un drame va tous bousculer car Lennie va une fois de plus passer la frontière ténue qui sépare le bien et son désir de la douceur du mal absolu qu'est le meurtre. Accident ou pas ? Qui sait ? Mourir dans ses rêves est peut-être la meilleure fin qui soit ? Je vous en laisse juge. Ce roman est un classique et je ne vous en révèle pas la fin bien que les touches de mon clavier m'en brûle les doigts.
Il n'est pas de grande nation sans petites gens. Il n'est pas de rêve qu'on ne puisse réaliser sans y laisser un peu de soi. Il n'est pas de justice ici-bas hormis celle des hommes qui condamnent celui qui est profondément innocent malgré ses crimes. Il n'est pas de monstres, juste des paumés, des êtres vivants dans un monde qui n'est pas fait pour eux. Il n'est pas plus de destin pour une simple souris que pour un homme.
A lire absolument car c'est un chef d'œuvre. Je recommande les éditions avec dossier documentaire.
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