Coup marketing cathartique ou vulgarité gratuite ?

Un titre peu attractif, une quatrième page excessivement dithyrambique : pas grand-chose ne m'aurait incité à ouvrir ce livre si on ne me l'avait pas offert. A lire la dédicace de Mansbach à sa fille de trois ans, « sans qui rien de tout cela ne serait possible », on pourrait penser que le livre, malgré le titre, va nous raconter quelque chose de merveilleux ou du moins agréable. Raté !

L'ouvrage est composé de quatorze doubles pages organisées de la même façon avec à chaque fois un quatrain de Mansbach illustré par Cortés. A noter qu'il ne s'agit pas d'une histoire, mais de scènes différentes, et l'illustrateur varie ainsi les personnages et les décors. Jusqu'ici, tout va bien.

Mais on comprend dès la première double page de quoi va être fait le livre : en illustration on voit un enfant apparemment endormi de même que des chatons, tandis que le texte affirme de façon à mon avis excessive : « te voilà bien au chaud dans ton lit à présent. Alors dors et fais pas chier, je t'en prie ». Le ton est donné, et c'est la même chose jusqu'à la fin, jusqu'à l'overdose.

L'expression « faire chier » est ainsi présente dans tous les quatrains, soit un total de quinze fois avec le titre ! On pourrait dire que c'est un peu de l'Oulipo, Mansbach se serait fixé la terrible contrainte de décliner l'expression dans tous ses quatrains. Sauf que c'est un peu facile, très vulgaire et que ça gâche tout, alors que c'est un sujet important qu'il aborde ici.

Il s'agit en effet d'évoquer les difficultés des parents, et notamment les sentiments honteux qui peuvent les submerger lorsqu'ils se mettent à pester contre leur enfant voire parfois à ressentir de la haine, alors qu'ils aiment leur enfant. « Ma vie est un échec, je suis un parent indigne ». Voilà une phrase de l'ouvrage qui résume assez bien le thème, celui de parents qui ne supportent plus leur enfant qui ne veut pas se coucher ou qui se réveille la nuit.

Sur ce point, la quatrième de couverture est excessivement dithyrambique, du genre : « ah ouais trop génial, ça casse un tabou, avant on ne pouvait pas dire de notre enfant qu'il nous emmerde parfois, ah ouais, trop cool ! ». Je ne vois pas ce qu'il y a de révolutionnaire là-dedans, et surtout, pourquoi diable en parler de façon aussi vulgaire ? Pour faire un coup marketing ?

Quelques exemples de ces grossièretés : « c'est quoi ce bordel », « je vais péter un câble », tu la boucles ». Une vulgarité qui exprime bien la violence qui nous gagne parfois, où nous nous détestons d'éprouver ces sentiments. C'est plutôt bien vu, mais le problème, c'est qu'on le sait déjà, et lire ces propos vulgaires ne déculpabilise pas et ne change en rien le fond du problème. La volonté de déculpabiliser les parents passerait à mon avis bien mieux sans cette vulgarité que je trouve complètement gratuite.

Si le sujet vous intéresse, écoutez plutôt la chanson de Benabar intitulée « La berceuse », qui est très jolie et infiniment moins vulgaire : Benabar a envie de dire que son gamin le fait ch..., mais et c'est là que c'est plus drôle, il ne le dit pas vraiment, son amour est plus fort que tout.

Mais au-delà de la vulgarité, le ton employé par Mansbach est violent, voire très menaçant à l'égard de l'enfant : « ton doudou, tu peux le mettre où je pense » ! Ou encore : « endors toi ou je ne réponds de rien » ! Certes, il est écrit que ce n'est pas un livre pour enfant (là, au moins, on est d'accords), mais ces propos pourraient presque légitimer une attitude violente des parents. Ce n'est manifestement pas le propos de Mansbach, mais un lecteur mal attentionné pourrait le comprendre ainsi !

C'est vraiment dommage car l'ouvrage comprend des aspects intéressants, comme je vais essayer de le démontrer, bien que le résultat soit étonnant et un peu déconcertant, il est vrai.

Le texte de Mansbach, par exemple, n'est pas que vulgaire, certains passages sont assez poétiques, et il évoque par exemple les bras de Morphée, le marchand de sable, différents animaux comme les pangolins géants de Madagascar, mais aussi « les graines qui sommeillent sous la terre des champs ».

Cet ouvrage est ainsi fondé sur une série de hiatus, sans doute volontaires, entre vulgarité et poésie, entre le texte et les illustrations, dont je n'ai pour l'instant pas parlé, mais qui sont tout à fait remarquables.

Cortés illustre en effet merveilleusement les paysages, avec de très belles couleurs, c'est magnifique, à couper le souffle tellement c'est beau. Je suis beaucoup moins convaincu quand Cortés dessine les enfants, mais même si c'est beaucoup moins bien, force est de reconnaître son talent : j'aime moins mais il parvient très bien à exprimer les sentiments de ses personnages, son trait rendant admirablement les volumes et les expressions du visage à tel point qu'on pourrait parfois croire être en face d'une photo. Bref, cet illustrateur a beaucoup de talent !

Au final, pour la note, je suis embarrassé, j'accorde 2 pour le texte (quelques passages poétiques dans un océan de vulgarité) mais 9 pour les illustrations. Résultat, 5 car pour moi le texte est plus important que l'illustration.

Conclusion, un peu dure de ma critique, mais faut être honnête, je vous conseille de parcourir ce livre, sans le lire ! Le feuilleter suffira. Les illustrations sont de toute beauté, et le texte vraiment laid... Quel dommage !
socrate
5
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le 10 févr. 2012

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socrate

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