Comme son titre le suggère, ce texte est écrit sur le ton d’un cours magistral, descriptif et non dialogué. Il propose une description, assez allégorique, des aventures de l’âme, depuis son origine divine jusqu’à son retour à Dieu après une sorte de chute et toutes sortes de mésaventures dans la vile matière pleine de séductions trompeuses.

En ce IIe siècle, la personnification de l’âme est de rigueur : il en va ainsi dans le récit d’Apulée, « L’Âne d’Or ou les Métamorphoses », où l’âme est personnifiée sous le nom de Psyché. Le parallèle avec ce conte célèbre n’est pas fortuit. Les aventures de l’âme dans cet « Enseignement d’Autorité » évoquent beaucoup de contes populaires, dans leurs versions aussi bien antiques que contemporaines. L’âme, ici, est fille d’un homme qui se remarie en secondes noces avec une femme qui a trois enfants aux noms peu avenants : Désir, Haine et Jalousie. Déjà, ce thème de la belle-famille perverse et méchante se retrouve dans « Blanche-Neige » et « Cendrillon ».

Mais, ici, l’héroïne se laisse contaminer par les perversités de cette famille peu recommandable, cède aux passions terrestres, et ne garde nullement sa virginité comme on pourrait l’attendre de toute bonne jeune fille sympa. Mais son père – divin – ne l’oublie pas. Il lui envoie un fiancé, l’Intellect (on retrouve ici un des attributs divins majeurs du gnosticisme), qui lui apporte en secret le Logos comme nourriture et comme baume pour les yeux (car la jeune fille est aveugle – signe de sa fermeture aux réalités divines). L’âme finit par changer d’attitude, renonce à tout, s’impose des pratiques ascétiques, et ne songe plus qu’à regagner sa demeure céleste. La fin de son itinéraire est la chambre nuptiale lumineuse, le mariage, et la consommation d’une nourriture immortelle.

On constate que cette présentation de l’âme se borne à faire de celle-ci une jeune écervelée qui vit un peu une jeunesse folle en raison d’une mauvaise influence familiale. Bien qu’il s’agisse à l’évidence de métaphysique et d’ontologie, le récit n’expose pas le drame gnostique habituel : pas de chute, ni cosmogonique ni individuelle, juste un portrait terre-à-terre d’une fille déboussolée. Le scénario de cette descente-montée est voulu par Dieu de bout en bout, afin qu’Il se fasse connaître. Pas de conflit réel, par de vilain Archonte. Le texte reste gnostique en ce que c’est grâce à la Connaissance (amenée par le Logos) que l’âme réussit à remonter vers la Lumière.

En fait, au bestiaire théologique accoutumé du gnosticisme se substitue ici un « alourdissement » progressif de l’âme, d’inspiration platonicienne : l’âme « raisonnable » est en mesure de percevoir les Idées (platoniciennes), mais elle ne peut descendre dans le monde visible sans se vêtir d’une âme « pneumatique » (capable de perceptions sensorielles). Au passage, elle traverse les sphères planétaires, occasion pour elle de se charger des passions attachées à chaque planète, et l’âme devient ainsi une âme « hylique », lourde de conditionnements indésirables.

L’emploi de paraboles, et la fréquence des allusions au Nouveau Testament, montrent que le « Maître » qui parle cherchait surtout à convaincre un lectorat chrétien. De quoi ? De la proximité du christianisme avec le platonisme, mais aussi – ce qui est moins platonicien – des vertus de l’ascèse et du renoncement à tout ce qui est charnel, dans la veine exprimée par Porphyre.

De lecture aisée, ce texte au ton alerte et magistral témoigne des tentatives de conciliation entre les différents courants de pensée philosophiques et religieux de ce IIe siècle. Sa tenue littéraire se prolongera dans des contes populaires symboliques, et on n’est pas sûr, par exemple, que les Sept Nains de Blanche-Neige n’aient aucun rapport avec le côté « positif » des sphères planétaires traversées par l’âme au cours de sa descente. Adjuvants de l’héroïne, ces nains pourraient correspondre à une prise de conscience par l’âme des conditionnements auxquels elle a été soumise, et sur laquelle elle fait fonds pour revenir vers la Lumière (Chambre Nuptiale).

On rappellera pour mémoire que des oeuvres postérieures démarquent le même schéma : tel le "Pilgrim's Progress" de Bunyan; et nombre d'écrits alchimiques s'en inspirent, avec le thème du Thalamos (la Chambre Nuptiale).
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le 27 févr. 2015

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