Forbidden
6.7
Forbidden

livre de Tabitha Suzuma (2010)

Je suppose que je ne vais pas soulever des foules de bons sentiments avec cette critique, mais je pense sincèrement qu'une mise au point s'impose.
Plusieurs choses déjà: j'avais trouvé les critiques sur Youtube, Babelio et Sens Critique étonnamment très élogieuses à propos d'un roman au sujet si sensible. On me parlait de "roman qui change une vie", de "tourbillon émotionnel" etc etc... Je dois vous avouer que quand j'ai vu que c'était publié chez Milady, j'ai eu un long moment d'hésitation. Et puis après tout, je me suis dit que dans le pire des cas je n'en serais pas à ma première erreur! Oh la la, c'est peu de dire que j'étais loin de la réalité!
Deuxième remarque: je ne pense honnêtement pas être un lecteur peu aventureux. Les sujets sulfureux ne me dérangent absolument pas, au contraire: j'ai soif de découverte! Là, je devais cependant avouer que l'inceste entre un frère et une soeur, c'était un sujet glissant. Pas du tout un sujet inexploitable ou inintéressant, mais un sujet à manier avec précaution. Tout le monde sait très bien que sur des sujets aussi brûlants, on peut sortir des chefs-d'oeuvre, ou en tous cas des oeuvres marquantes. En témoignera par exemple "Lolita" de Nabokov. Mais on sait aussi qu'on peut se retrouver face à un ouvrage malsain qui sent les pieds. Devinez un peu dans quelle catégorie je place le bien-nommé "Forbidden"?


Alors allons droit au but. Ce qui cloche dangereusement, avec ce bouquin, c'est la manière avec laquelle il traite son sujet. Enfin non, ce qui cloche le plus et qui m'inquiète franchement (et je pèse mes mots), c'est l'engouement qu'il a engendré. Sur des Twilight ou 50 Nuances de Grey, c'était un peu innocent, mais sur "Forbidden", pas du tout...
Evidemment, on part sur une famille dysfonctionnelle au possible. Pas de parents, une société qui ignore une large fratrie où évidemment, les deux aînés vont se dégager et prendre le rôle de parents et nous voilà parti sur des bases jusque là attendues. On pourrait discuter longuement la responsabilité de cette famille déstructurée dans cette relation incestueuse, et ç'aurait d'ailleurs été intelligent de la part de l'auteure d'aborder un peu plus cette problématique. Il me semble évident que oui, cela a un rôle, malgré les insinuations glissées par l'auteure, qui tente même de nous prendre à contre-pied au-travers de son personnage lorsqu'il tourne en dérision cette hypothèse. Dans une période aussi déterminante qu'est l'enfance et l'adolescence, avec notamment la prise de repère et l'identification des ainés, le fait d'être laissé à l'abandon influe forcément sur le développement identitaire. Tenter de nous faire croire que c'est en réalité un amour qui dépasse les frontière biologiques est d'une idiotie incroyable: c'est simplement la preuve d'un développement vicieux (et bien malgré nos personnages, on est d'accord!) qui poussé à l'extrême, redéfinit les bases de tout un fonctionnement psychologique et sentimental. Et l'auteur a en plus cette fâcheuse tendance, au-travers de ses personnages, à porter la société "moralisatrice" en tant que belligérante.
Car oui, c'est la société qui les empêche d'exprimer pleinement cet amour, qui ne "fait de mal à personne". C'est là une faille de l'histoire, bien malheureusement, puisque pour une fois la société ne porte pas ici un jugement de valeur arbitraire. L'inceste, s'il est bel et bien devenu un tabou sociétal, est bien au départ un tabou biologique. Le patrimoine génétique n'est pas fait pour être taquiné avec celui de sa soeur, car on aboutit alors tristement à des individus non-viables ou tristement très malades... C'est par notre interprétation culturel, en tant que civilisation, qu'on l'a simplement placé en interdit légal. Alors non, ce n'est pas la société qui s'acharne contre les deux tourtereaux, mais bel et bien leur condition biologique. Et si la possibilité physique d'entretenir une relation avec sa fratrie existe indiscutablement, de même que la possibilité psychologique d'après l'auteure, alors il est franchement possible qu'on déclare cela "pathologique", qu'on l'inscrive au "DSM-V" et qu'on tente d'aider les malheureux qui en souffrent.


Et c'est là l'immense reproche que je fais à l'auteur. Finalement, tout ce que je dis, l'auteur ne le nie pas, puisqu'elle s'exprime seulement au-travers des deux amoureux. Et c'est d'une maladresse incroyable! Quelle erreur de ne pas faire intervenir le point de vue d'un tiers, le point de vue d'un être rationnel et rationnalisant. Cela manque cruellement, et c'est là finalement que le bouquin devient très malsain: on assiste à une relation amoureuse finalement assez classique où tranquillement un frère va jouer à touche-pipi avec sa soeur, et ce dans une pure atmosphère young adult amoureuse, pleine de description fleur bleue etc...


C'est quand même franchement problématique. Qu'on suive une névrose ou je ne sais quoi d'autre, pour les besoins d'une histoire, pourquoi pas. Mais n'oublions pas, comme certains semblent l'avoir fait, qu'on parle ici d'une relation incestueuse. On ne peut pas dire qu'on trouve cette histoire "d'amour magnifique, même si certains ne pourront pas comprendre". Réveil!!! Ce n'est pas une question de compréhension, ou de manque d'empathie, ou d'esprit trop fermé. C'est une question de se laisser piéger par une histoire très mal équilibrée par son auteure, qui affleure un problème sans en attaquer le coeur et pire, fait mine d'y répondre au-travers d'une intrigue ultra-émotionnel et tire-larmes au possible.


Mais rien n'y fait: l'inceste, on ne réfléchit pas dessus dans ce bouquin, au contraire. Et cela en fait finalement une intrigue pas si innocente que ça, qui même au-travers de la liberté d'expression et de création a du mal à se justifier tant ce qu'elle expose est finalement dérangeant.
Le problème, c'est que visiblement, je suis le seul à m'en insurger. Ce qu'il y a de certains, et j'aimerais que ce soit bien clair: le problème n'est pas le sujet du livre. Qu'on nous parle d'inceste, pourquoi pas. Mais comme dans toute situation, c'est la manière dont on en parle qui compte. Et ici, je trouve personnellement qu'on dépasse les bornes.


Et d'ailleurs,


Que se serait-il passé si nos chers amoureux avaient finalement réussi leur pari? Une fois l'intensité de l'adolescence passée, la découverte finalement d'un monde jusque là effleuré et la maturation d'un esprit qui jusque là explorait, que se passerait-il? On aurait là deux êtres brisés portant un bien lourd tribut.
Cette histoire n'est pas celle de deux amant maudits, mais bien d'un frère et une soeur sans issue de secours.

Wazlib
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le 31 août 2018

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Wazlib

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