Après un recueil de nouvelles qui dévoilait de façon parcellaire le Vieux Royaume, Jean-Philippe Jaworski propose un récit démesuré, centré sur Don Benvenuto, le maître espion qu'il avait introduit dans "Mauvaise donne". Il conviendra donc d'avoir au moins lue cette dernière pour comprendre les tenants et les aboutissants de cet imbrioglio politique extrêmement complexe, mais passionnant.

Antipathique, le scélérat Benvenuto inspire au départ bien peu de sympathie, même si son intelligence politique et pragmatique, qu'il met au service de son maître inspiré de César, force le respect. Mais au lieu de forcer les traits de son personnage, l'auteur va s'efforcer de le déconstruire en lui faisant traverser les pires épreuves, mais aussi en le nuancant de façon admirable, notamment en détaillant ses blessures du passé, ses conflits de loyauté, ses tiraillements intérieurs...

Pour cela, Jaworski a recours à son grand talent d'écrivain. Plus encore que dans Janua Vera, l'écriture est d'une qualité exceptionnelle. Médiéviste confirmé, il décrit avec détail les us et coutumes de sa contrée imaginaire, ses faits d'armes, ses complots... le tout déborde d'érudition sans jamais être indigeste, parce que le roman, malgré sa taille imposante, est formidablement rythmé et varié. Car si Gagner la guerre se veut plus explicite que Janue Vera lorsqu'il est question de dévoiler un peu plus l'histoire du Vieux Royaume, celle-ci reste un élément d'arrière-plan : le monde appréhendé par le lecteur est celui de Benvenuto, qui n'est rien d'autre qu'un truand glorifié.

L'intrigue immense élaborée par l'auteur pourrait presque représenter un cycle littéraire à part entière tant l'arc narratif traversé par le personnage principal est incroyablement vertigineux, sans jamais perdre de sa cohésion ou sa vraisemblance. Et l'univers dépeint, malgré son aspect composite qui mêle influences antiques, médiévales ou de la renaissance, dispose aussi d'une part d'héroïc-fantasy plus traditionnelle, qui permet non pas à l'intrigue de se dégonfler en deus-ex machina comme c'est souvent le cas, mais au contraire de toujours réserver une part de surprise et d'imprévu, et de pimenter les complots politiques qui représentent le coeur de la trame.

Qu'il s'agisse de la richesse de la réflexion politique ici proposée, de la qualité de la forme, stupéfiante, ou du portrait psychologique incroyable du personnage tourmenté et peu recommendable de Jaworski, ce roman est donc un sans-faute. Qui confirme au demeurant le grand talent de toute génération d'écrivains français de ce genre bâtard et mal considéré jusque dans sa titulature que reste la "fantasy", qui donne pourtant à la littérature française contemporaine ses plus grandes oeuvres récentes.
Jben
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le 30 déc. 2012

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le 30 déc. 2012

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Jben

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