L'année dernière, Entre les Murs de Laurent Cantet se voyait décerner la palme d'or de la main du jury présidé par Sean Penn au Festival de Cannes. Il n'en fallait pas plus pour que la presse française s'emballe et acclame un film «tour à tour grave, subtil, incisif, perturbateur, drôle, poignant» (Le Monde). Très vite, l'engouement se répand outre-Atlantique où le film est acclamé par le très sérieux New York Times qui parle d'une «expérience aussi émotionnelle que cérébrale».

Soyons de bonne foi : Entre les Murs n'est pas un mauvais film. Sa plus grande qualité est son grand réalisme, au sens littéraire du terme. Souvent, lorsqu'il s'agit de dépeindre le quotidien banlieusard (qu'il s'agisse d'une salle de classe ou d'une cage d'escalier), le vocabulaire et le jeu sont atrocement datés quand ils ne sont pas fantasmés. N'importe quelle personne ayant fait l'expérience de ces situations peut en témoigner. Ici, ce n'est pas le cas, le tout est d'une grande justesse dans le comportement des jeunes de la classe comme dans celle du professeur de français, le pas si fictif M.Marin, visiblement depuis longtemps passé du désemparement au renoncement. Le tout est aussi plutôt solide sur le plan filmique, et l'écriture franche et musicale garantit de bonnes joutes verbales. Laurent Cantet cinéaste s'en sort donc plutôt bien, préférant mettre l'accent sur l'intimisme et le côté clinique des lieux plutôt que sur l'exhaustivité. Une classe, quelques protagonistes, une intrigue épurée qui traduit au final assez bien la monotonie d'une année scolaire, établissement sensible ou pas. Par contre, Laurent Cantet idéologue esquinte lui même son film.

Car contrairement à l'insoutenable "l'Esquive", le film semble délivrer un message. Et c'est au final cette tentative de politisation qui rend un témoignage spontané et authentique complètement irrecevable car beaucoup trop biaisé. La plus grande force du film, qui est sa capacité à rendre compte d'une réalité indéniable (et qui ravive souvent le souvenir douloureux d'avoir été volé de sa scolarité à n'importe quelle personne qui l'a accomplie dans l'un de ces milieux) est alors désamorcée par les leçons de morale et le parti pris peu subtil adopté par le réalisateur et probablement par François Bégaudeau, puisque le film s'inspire de son propre quotidien de professeur de français narré dans son roman éponyme. Ce dernier, depuis longtemps désabusé vis à vis du système, s'évertue tout de même à inculquer à ses élèves un tant soit peu de culture et d'exigence linguistique malgré les standards extrêmement dégradés de son établissement du vingtième arrondissement de Paris.

L'approche de l'enseignant en question est dogmatique : refus borné de toutes sanctions, acceptation de la médiocrité culturelle de ses élèves, et même célébration de celle-ci. Si le héros du film est si peu attachant, c'est parce qu'il trouve des excuses universalistes au renoncement de tout un système sociétal et éducatif. Seront ainsi célébrées la fameuse diversité culturelle, qui n'est jamais la source des conflits, tout au plus des incompréhensions, et quand bien même ce serait le cas, on nous fait clairement comprendre que le système devrait s'adapter, pas l'inverse. Quant à la bêtise des opinions de certains élèves (pas toujours imputables à leur âge, loin de là), elle sera tout au plus révélée par quelques traits d'esprit de l'enseignant. Rajoutons aussi un peu de «sans-papiérisme» toujours bienvenu pour faire pleurer dans les chaumières.

Ces prises de positions, bien que conformistes, auraient pu se révéler intéressantes éprouvées à la contradiction intègre. Mais le réalisateur a l'air d'être aussi borné que le personnage principal de son film puisque les seuls contradicteurs sont dépeints comme des connards inhumains (le professeur de mathématiques) ou des impuissants qui font acte de figuration (le proviseur). Dans un réflexe de repli sectaire, les auteurs ont tout de suite voulu nous montrer quelle était la bonne solution. J'ai ainsi eu la désagréable sensation que dans ses hors pistes politiques peu subtils, Entre les Murs prônait la fuite en avant. De quoi embuer une fenêtre pourtant limpide sur la réalité de ces salles de classe, qui devient un vulgaire observatoire pour bobos, voyeuriste alors qu'il aurait pu être simplement édifiant. C'est pour cette raison précise que ce film ne peut prétendre au statut de brillant drame social façon The Wire ("Sur Ecoute", 2002). Parce qu'il a voulu sortir des murs, Entre les Murs reste confiné au ghetto idéologique d'une caste bourgeoise en mal de combat social... mais se garde bien de préciser que leurs têtes blondes ne les franchiront pas, elles, ces murs.
Jben
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le 5 juil. 2011

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