Nombre d'entre nous connaissent encore Tacite ou Tite Live, voir même Salluste. Mais dès que l'on pénètre dans le monde de l'Antiquité tardive un silence gêné se fait rapidement, simplement parce que longtemps on a considéré les derniers siècles de Rome comme une période de décadence ne valant finalement pas grand chose, en particulier dans le domaine littéraire. La période voyait en plus se multiplier les doxographies, tant les savoirs à maîtriser étaient devenus nombreux, ce qui ne prêchait guère pour la vitalité de la période d'un point de vue culturel. Or, bien au delà de soucis de compilation, dès le IVe siècle de notre ère la littérature retrouvait une nouvelle santé après une relative éclipse durant le IIIe siècle.

Ammien Marcellin s'inscrit dans cette dynamique. Il est, à n'en pas douter, un des historiens romains les plus talentueux et les plus objectifs qui nous soit parvenu. Son oeuvre, dont seuls les livres XIV à XXXI nous sont parvenus, se composait dans un premier temps d'un abrégé des événements survenus entre 96 et 353, puisque sa volonté était de poursuivre Tacite. Cette partie, la moins intéressante probablement, a donc disparut dans les méandres des siècles et des copies et il demeure son chef d'oeuvre ; l'Histoire de son temps, de 353 à 378 (mais il décède sans doute au début du Ve siècle). Cette période de seulement vingt cinq ans nous est, grâce à lui très bien connue et est occupé en grande partie par l'épopée de son héros, l'empereur Julien, celui que l'on connait sous le nom d'Apostat. Contrairement à ses homologues chrétiens, Ammien a une perception très positive du règne de l'empereur païen et nous livre en plus des informations venant de son expérience personnelle, de recherche dans les archives impériales... Un véritable travail d'enquête, ce que doit être, au sens étymologique, l'Histoire. L'épisode le plus marquant de cette oeuvre me semble être le récit du siège d'Amida. En effet, l'historien a été un temps militaire, protector domesticus, sorte de garde du corps des dignitaires de l'Empire, et il se trouve dans cette ville romaine de la frontière, assiégée par les troupes perses. Il se fonde donc essentiellement sur ses souvenir et en profite pour tordre le cou à des idées modernes totalement infondées d'une apathie des soldats romains de l'époque. Il suffit d'avoir parcouru ses lignes pour se retrouver dans la mêlée, au plus près des combats, dans l'enfer du siège pour comprendre l'ambiance de la guerre à l'époque.

Au delà, la guerre n'étant pas le seul sujet de ses investigations, il nous livre un grand nombre de digression sur des sujets multiples, allant de la géologie à la zoologie, avec toujours un esprit curieux et un poil encyclopédique. La portée des ouvrages est également morale ; Ammien, un natif d'Antioche, donc un homme de langue grecque, rédige ses livres en latin, faisant ainsi montre d'une très forte conscience d'appartenance au monde romain. Il exprime cela d'ailleurs avec force, voir même brutalité, quand il lance une critique mordante des habitants la ville de Rome, selon lui abrutis de mollesse et faisant honte à leurs illustres prédécesseurs.

Malgré son implication dans les guerres étrangères soutenues par Rome à l'époque, sa perception des ennemis, les fameux barbares, n'est pas complètement unilatérale. Il estime parfois le comportement noble de certains barbares et vis à vis d'eux s'indigne d'attitudes indigne de ses compatriotes. En outre il n'a pas de jugements à priori sur les barbares engagés dans les rangs de l'armée romaine et ne relais pas les rumeurs dont-ils pouvaient être l'objet en ce qui concerne leur fidélité, si ce n'est pour ne pas y accorder beaucoup de foi.

Il apparaît comme un personnage plutôt modéré. A chaque mort d'empereur il intercale de courtes biographies de chacun, et même pour ceux qui lui sont les plus odieux, il rédige malgré tout un tableau de leurs qualités. Or on sait que justement, si la critique est verrouillée (officiellement) contre les empereurs vivants, elle a l'habitude de se déchaîner une foi leur mort survenue. Pas chez Ammien.

C'est un personnage que je trouve attachant dont la lecture nous apprend beaucoup sur la période romaine tardive. Il gagne à être connu et à retrouver sa place auprès de ses collègues que j'ai cité au début de cette critique. Puisse l'éducation nationale m'entendre!
Flavius_Constan
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le 23 août 2013

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