Bien sûr ces huit années de pouvoir ce sont celles exercées par Barack Obama. Mais ce livre est surtout un formidable réquisitoire sur la condition des Noirs aux États-Unis, les maîtres-mots de ce livre étant “racisme” et son corollaire “suprématie blanche”.
Ce n’est ni un roman ni une histoire drôle, même si elle se termine sur l’élection d’un président “carnavalesque”.
Le projet de l’ouvrage est original : parcourir les huit années de présidence de Barack Obama non seulement comme le parcours exceptionnel de cet homme mais comme le révélateur dans la vie américaine de « l’existence du racisme et de la suprématie blanche en tant que forces significatives de la vie américaine ». La densité de cet ouvrage vient de ce que Ta-Nehisi Coates mêle son parcours personnel, ses échecs et ses réalisations au choix de faits d’histoire et d’actualité. Il insère un nombre impressionnant de références. Chaque exemple qu’il sélectionne montre aussi sa capacité à élargir sa réflexion. La pertinence du choix de cet axe de réflexion se confirme d’article en article, faisant de Coates non pas seulement un penseur noir de la communauté noire mais un penseur américain.
Enfin on(je) réalise combien, aux États-Unis, ces deux communautés ne vivent pas côte à côte, mais bien face à face.
Ta-Nehisi Coates est un écrivain et journaliste américain (noir) né en 1975 à Baltimore (Maryland). Après des études à l'université Howard de Washington, Coates se consacre au journalisme. Il est correspondant à The Atlantic où il couvre les affaires nationales, et s'intéresse particulièrement aux violences raciales. En 2015, il publie Between the world and me, traduit sous le titre Une colère noire en français, un livre écrit comme une longue lettre à son fils, dans lequel il montre qu'en dépit des décennies de luttes pour les droits civiques, le racisme contre les Noirs reste un problème majeur aux États-Unis. L'ouvrage reçoit le National Book Award.
Comme pour “Contre-Histoire des États-Unis” de Roxanne Dunbar-Ortiz, livre non sans ressemblances avec celui-ci, je n’ai pu trouver de version numérique. Ce sont des Post-it qui repèrent les passages importants.
53, c’est le nombre de Post-it qui en décorent les marges, après lecture ! Rassurez-vous, on va trier !
Roxanne Dunbar-Ortiz, dans son ouvrage, fait le procès de la suprématie blanche au détriment des Amérindiens. Ici, il s’agit encore de suprématie blanche, mais au détriment du peuple noir.


Pas facile d’être un Noir aux États-Unis ! Ils portent et porteront encore pour longtemps leur lourd passé d’esclaves. En voyant Obama entrer à la Maison Blanche, le monde a pu croire à la fin du racisme dans ce Grand et Beau Pays. Coates remet les choses à leur juste place.
Dans les années 1860 « quand Lincoln invoquait le rêve d’une nation “conçue dans la liberté” et s’engageait à réaliser l’idéal selon lequel “tous les hommes sont nés égaux”, il effaçait la quasi extermination d’un peuple et la réduction en esclavage d’un autre ». La servitude des Noirs « n’a pas disparu avec l’indépendance des États-Unis ; […] elle résulte du dessein de l’Amérique. La conviction que la guerre de Sécession n’est pas (leur) affaire, résultait de la longue élaboration d’un récit national susceptible de réconcilier les Blancs entre eux, en évitant de révéler ce que les historiens professionnels ont maintenant bien établi : une partie des Américains a essayé de construire un pays entièrement fondé sur la possession de Nègres, et qu’une autre partie, dont faisait partie de nombreux Nègres, les en a empêché. »
Mais cette servitude passée a laissé des traces indélébiles : en 1944 lorsque la Nation commença à envisager l’intégration des Noirs dans l’armée un jeune homme (blanc) originaire de Virginie-Occidentale écrivit à un sénateur : « Je suis un Américain typique, du Sud, et j’ai vingt-sept ans […] Je suis loyal à mon pays et je n’ai que révérence pour son drapeau, MAIS je n’accepterai jamais de combattre sous ce drapeau avec un nègre à mes côtés. Plutôt mourir mille fois et voir (le drapeau) piétiné dans la boue pour ne jamais se relever plutôt que de voir notre terre bien aimée dégradée par cette race abâtardie, rejetée dans la sauvagerie la plus extrême. »
En 1954, la ségrégation est devenue anticonstitutionnelle, mais elle a continué à être pratiquée. Les restaurants, les laveries, les hôtels, les théâtres, les épiceries et les magasins de vêtements étaient soumis à la ségrégation, les Noirs ont monté et géré leurs propres commerces ce qui a donné au peuple noir le sentiment gratifiant d’être une communauté indépendante, mais elle s’est poursuivie dans le logement, l’enseignement et l’emploi au détriment de l’égalité des chances. Il y a un siècle les théoriciens noirs s’inquiétaient que « l’esclavage avait totalement détruit la famille noire et étaient obsédés par les mêmes problèmes : le crime, la sexualité débridée, et une turpitude morale généralisée […] Déjà dans les années 1930, les sociologues avaient constaté que l’évolution des hommes noirs prenait du retard par rapport à celle des femmes noires. » 25 % de la population carcérale mondiale est américaine alors que les Américains représentent moins de 5 % de la population de globe ! Un triste record, mais il est vrai qu’en 1993 « le Texas rejeta une offre d’investir 750 millions de dollars dans des écoles, mais approuva un budget d’un milliard de dollars supplémentaires pour construire des prisons » ! En 2010, un homme noir sur trois, entre 20 et 39 ans, ayant abandonné l’école secondaire, était en prison (contre 13 % pour les Blancs). Les hommes noirs incarcérés sont deux fois plus nombreux que les prisonniers blancs alors que la communauté noire ne représente que 13 % de la population américaine.
L’auteur confie que, lorsqu’il était jeune : « Je considérais surtout l’école comme un lieu où l’on se rendait pour éviter de se faire tuer, de devenir drogué ou de se retrouver en prison. »
L’incarcération exclut du marché du travail, rend inapte à nourrir sa famille, permet la discrimination dans l’habitat sur la base du contrôle des antécédents criminels, augmente le risque de se retrouver sans domicile, augmente les risques d’être de nouveau incarcéré…
Et Obama, alors ?...


OBAMA N’ÉTAIT PAS NOIR !


« Né en 1961 à Hawaï, Obama fut élevé par sa mère, Ann Dunham, qui était blanche, et par ses grands-parents, Stanley et Madelyn. Ils l’aimèrent passionnément, le soutinrent sur le plan affectif et l’encouragèrent intellectuellement. Ils lui dirent aussi qu’il était noir. » Son père, Barack Obama Senior, est un économiste et homme politique kényan. Les parents de Barack Obama se marient en février 1961. En août 1963, son père entre à l'université de Harvard mais il part seul pour le Massachusetts. Le divorce sera prononcé en janvier 1964. Diplômé en économie en 1965, le père de Barack Obama repart au Kenya où il fonde une nouvelle famille, se tue dans un accident de voiture en 1982.
« Ce qui a été décisif pour Barack Obama, ce n’est pas le fait qu’il était le fils d’un homme noir et d’une femme blanche, mais c’est le fait que sa famille blanche avait approuvé l’union, ainsi que l’enfant qui en était issu. »
Pas de ségrégation dans la famille Obama, pas de racisme. Son intégration a été facilité par des Blancs. Sa mère l’a conduit vers l’histoire et la culture Afro-Américaine. Son grand-père originaire du Kansas l’emmenait voir des matchs de basket à l’Université de Hawaï, dans des bars fréquentés par des Noirs. Ainsi « ce qu’Obama pouvait offrir à l’Amérique blanche est quelque chose que très peu d’Afro-Américain pouvait offrir : la confiance. » Grâce à cet environnement privilégié, Barack est un Noir peu noir « …il est difficile d’appartenir pleinement à l’identité culturelle noire sans avoir subi le traumatisme de l’identité raciale. »
Et c’est cette éducation exceptionnelle qui impressionne l’auteur au point de lui faire dire : « Je n’avais jamais vu un homme noir comme Barack Obama. Il s’adressait aux blancs dans un langage nouveau, comme s’il avait confiance en eux. […] Il se définissait sans équivoque comme un homme noir. Il avait épousé une femme noire. Il est facile d’oublier aujourd’hui à quel point c’était choquant, étant donné la conviction répandue à l’époque, selon laquelle assimilation rimait avec succès. Suivant le discours ambiant, l’homme noir qui avait réussi, épousait une femme blanche et pénétrait ainsi dans un aride « no man’s land » ni noir, ni blanc. »


Je laisserais où elles sont les injures racistes de bas étage dont il a été la cible pendant ses huit années de pouvoir et lors de ses campagnes électorales pour vous en réserver tout le fiel. Nous terminerons avec l’élection de son sublime successeur, dont le portrait vaut le détour et que je vous laisse découvrir : « Certes, tout électeur de Trump n’est pas un suprémaciste blanc […] Mais tout électeur de Trump a trouvé acceptable de confier le destin du pays à un suprémaciste blanc. » De sorte que « C’est ainsi que le pays le plus puissant du monde a cédé le contrôle de tout ce qui compte – la prospérité de toute une économie, la sécurité de quelque 300 millions de citoyens, la pureté de son eau, la pureté de son air, sa sécurité alimentaire, l’avenir de son vaste système éducatif, la fiabilité de ses autoroutes nationales, de ses voies aériennes, de ses chemins de fer, le potentiel apocalyptique de son arsenal nucléaire – à un aboyeur de carnaval qui a introduit la phrase “Attrapez-les par la chatte”, dans le lexique national. »

Philou33
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le 15 mars 2019

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