Jane Eyre
7.9
Jane Eyre

livre de Charlotte Brontë (1847)

Des hauteurs de Thornfield, Lecture et critique d'une première année de fac..

Je partage avec vous cette critique car, même si elle est lourde et souvent maladroite, y a du contenu de cours universitaire dedans qui peut être intéressant à découvrir.


Jane Eyre, c'est un roman particulier, marquant, un de ces romans où se mêlent l'autobiographie et la fiction, fort de son authenticité mais aussi comme toute grande œuvre, de sa subversion. Premier roman publié, dit autobiographique, de l'auteure Charlotte Brontë en 1847, Jane Eyre est une romance sans naïveté, mais pas sans sensibilité qui dépeint de l'enfance à l'âge adulte la vie d'une orpheline devenue institutrice dans l'Angleterre puritaine du XIXème siècle. Alliant la franchise et la conviction de ses opinions, l'héroïne, cette narratrice « inconvenante » mais « au bon cœur » s'attirera aussi bien les foudres des penseurs de son temps que l'adoration attendrie de son public, « Jane Eyre, note la reine Victoria dans ses journaux personnels, c'est un livre merveilleux, très étrange par endroits, avec une telle puissance, un ton si subtil ...»


Ça doit bien faire six ans que j'ai lu ce bouquin, mais je m'en souviens comme si c'était hier ! Je l'avais bouffé en une seule nuit, le front moite et le cœur palpitant. Je crois même qu'il s'agit de la plus belle romance que j'ai jamais lue, et sans mentir, j'ai beau me faire un tableau de chasse de toutes mes lectures, je ne lui trouve rien de semblable. Y a un critique anglais qui a dit que Jane Eyre, c'était « une âme parlant à une âme » et je n'aurais pas mieux dit ; faut peut-être simplement rajouter qu'après cette âme-là vous taraude toute votre vie, comme une pièce ajoutée à la tirelire de votre cerveau, mais bien grosse celle-là, bien trébuchante. Ce qu'il me reste principalement de ce roman, c'est un Mr de Rochester planté dans le cœur, une rêverie électrique dans un jardin, où la nature irréelle rugit et s'inspire de sentiments ardents puis enfin une écriture fine, sans concessions, une petite musique dans la tête. Je sais que Mr de Rochester c'est un vilain « bonhomme », un petit homme « vilain », « trapus », un « Barbe bleu » dramatique, un être angoissant, mais c'est ce parfum fauve émanant de lui qui le rend irrésistible. Sous son emprise, l'ardente Jane, digne et libre Jane, essaye de lui échapper, mais tel un animal il la relance « Est-ce parce que vous croyez que je mange comme un ogre ou un vampire que vous refusez d'être la compagne de mon repas ? », il la confronte, l'intimide, l'esseule pour mieux la mordre. Comme j'ai manqué de salive, bouche-bée, quand je lisais ces têtes à têtes houleux, atrocement sensuels entre Jane et lui, y avait comme le chant perpétuel d'un violon dans le phrasé qui me rendait fiévreuse. Dans Jane Eyre, tout est ténèbres, même les yeux de son amant et dieu que les ténèbres sont beaux. Mais aussi c'est vrai, ce qui compte d'abord dans ce livre c'est la voix de la narratrice. On a souvent dit, et le livre s'est fait appeler ainsi, qu'il s'agissait d'une autobiographie, mais que ce soit vrai ou pas dans les faits ce n'est pas ça qui compte, c'est plutôt le degré d'authenticité qu'on y perçoit. Or, je crois que ce qu'il y a de fou dans cette histoire, c'est qu'on ne fait pas qu'entendre la narratrice, y a des fois où on le devient. Je veux dire, on suit le personnage de son enfance à l'âge adulte, petite Jane, orpheline malchanceuse ; D'abord entre les mains d'une tante affreuse, puis celles d'un inspecteur rigide et tortionnaire dans un pensionnat de jeunes filles lugubre, pour la sentir parfaitement dans « cette étreinte de fer » avec Mr de Rochester mais aussi jusque dans ce petit village puritain sous la coupe d'un pasteur extrémiste. On vit, on endure, on ressent auprès d'elle comme si on était son ombre, une partie d'elle-même, et le monde devient une peinture de brumes, de landes, de hautes tours, de cavaliers dans la nuit.


C'est quand elle est enfant que c'est intéressant aussi. Vous vous rendez compte tout de même que pour l'époque ça a du sacrément choquer de trouver ce personnage de petite fille extrêmement cultivée et « inconvenante ? » A vrai dire, Jane Eyre semble être une enfant curieuse. Elle apprécie énormément la lecture, et porte un grand intérêt à la diversité des ouvrages. Ainsi, la voit-on lire des contes d'Arabie, l'histoire de Rome de Goldsmith, la bible, l'Histoire des oiseaux des îles britanniques ou encore le Voyage de Gulliver. Amatrice de lectures de jeunesse, mais aussi des lectures qui l'aident à comprendre le monde, Jane Eyre est une jeune fille que la personnalité imprégnée de fictions rend imaginative. Elle se figure que dans la chambre rouge où elle est enfermée dorment des fantômes, des monstres, « mi fées mi- gnomes » et aime aussi à se raconter des histoires, se figurer l'avenir, observer les gens. Ses lectures, son intelligence et la précocité de son caractère moraliste font de Jane une enfant capable de cerner beaucoup de vérités, telles que le mépris que lui porte sa tante, sa condition de jeune fille pauvre, mais aussi elle a la faculté de réfléchir et de confesser ce qu'elle pense avec une certaine verve. Petit « démon », qualifiée d' « insolente », Jane Eyre se heurte à l'hypocrisie d'une haute société, faussement dévote et qui gâte ses enfants par vanité. Ainsi dans ce monde qui semble être à haute échelle une autre chambre rouge, c'est justement par la lecture que Jane Eyre s'évade et se construit, et c'est bien souvent grâce à la fiction plus que dans la réalité, qu'elle y puise des enseignements. Ce thème de la lecture, comme premier éveil au monde sera d'ailleurs repris avec ironie lors de sa première rencontre avec monsieur Brockelhurst, doyen de Lowood. Elle est futée Jane Eyre, mais drôle, surtout quand celui-ci, lui demandant si elle est lectrice de la bible, l'interroge sur sa connaissance de l'Enfer et comment elle peut l'éviter. Au lieu de lui répondre par une formule convenue, l'héroïne répond : « Il faut que je reste en bonne santé et que je ne meurs pas ». Pour nous lecteurs contemporains, cette franchise ingénue mais sincère porte à sourire, cependant par cet acte, Charlotte Brontë affirme la personnalité intrinsèquement indépendante de son personnage. Cette petite fille au sacré caractère et qui ne manque pas de courage ! Et oui, c'est quelque chose de très important : Jane Eyre est une petite fille. Or, ce genre de qualités intellectuelles dans l'Angleterre misogyne du XIXème siècle était uniquement l'atout des garçons. Charlotte Brontë pose donc la question de l'égalité des sexes, en reniant les aprioris, défendant les femmes, et ça...c'est beau ! Coup de théâtre, pavé dans la mare ! Y a un autre épisode à ce sujet qui m'a marqué, rappelez-vous quand Mr. Brockelhurst accepte de prendre Jane Eyre pour pensionnaire, il lui remet en mains ce Guide de l'enfant, insignifiant bouquin dogmatique, avant de l'inciter à le lire « sérieusement. » En gros, d'après les maigres descriptions significatives du bouquin, le Guide de l'enfant est un de ces romans religieux édifiants où les méchants enfants meurent dans d'atroces conditions, et là tu sens un étaux se fermer lourdement.


Ajouter cette vidéo à mon blog


C'est quand elle est enfant que c'est intéressant aussi. Vous vous rendez compte tout de même que pour l'époque ça a du sacrément choquer de trouver ce personnage de petite fille extrêmement cultivée et « inconvenante ? » A vrai dire, Jane Eyre semble être une enfant curieuse. Elle apprécie énormément la lecture, et porte un grand intérêt à la diversité des ouvrages. Ainsi, la voit-on lire des contes d'Arabie, l'histoire de Rome de Goldsmith, la bible, l'Histoire des oiseaux des îles britanniques ou encore le Voyage de Gulliver. Amatrice de lectures de jeunesse, mais aussi des lectures qui l'aident à comprendre le monde, Jane Eyre est une jeune fille que la personnalité imprégnée de fictions rend imaginative. Elle se figure que dans la chambre rouge où elle est enfermée dorment des fantômes, des monstres, « mi fées mi- gnomes » et aime aussi à se raconter des histoires, se figurer l'avenir, observer les gens. Ses lectures, son intelligence et la précocité de son caractère moraliste font de Jane une enfant capable de cerner beaucoup de vérités, telles que le mépris que lui porte sa tante, sa condition de jeune fille pauvre, mais aussi elle a la faculté de réfléchir et de confesser ce qu'elle pense avec une certaine verve. Petit « démon », qualifiée d' « insolente », Jane Eyre se heurte à l'hypocrisie d'une haute société, faussement dévote et qui gâte ses enfants par vanité. Ainsi dans ce monde qui semble être à haute échelle une autre chambre rouge, c'est justement par la lecture que Jane Eyre s'évade et se construit, et c'est bien souvent grâce à la fiction plus que dans la réalité, qu'elle y puise des enseignements. Ce thème de la lecture, comme premier éveil au monde sera d'ailleurs repris avec ironie lors de sa première rencontre avec monsieur Brockelhurst, doyen de Lowood. Elle est futée Jane Eyre, mais drôle, surtout quand celui-ci, lui demandant si elle est lectrice de la bible, l'interroge sur sa connaissance de l'Enfer et comment elle peut l'éviter. Au lieu de lui répondre par une formule convenue, l'héroïne répond : « Il faut que je reste en bonne santé et que je ne meurs pas ». Pour nous lecteurs contemporains, cette franchise ingénue mais sincère porte à sourire, cependant par cet acte, Charlotte Brontë affirme la personnalité intrinsèquement indépendante de son personnage. Cette petite fille au sacré caractère et qui ne manque pas de courage ! Et oui, c'est quelque chose de très important : Jane Eyre est une petite fille. Or, ce genre de qualités intellectuelles dans l'Angleterre misogyne du XIXème siècle était uniquement l'atout des garçons. Charlotte Brontë pose donc la question de l'égalité des sexes, en reniant les aprioris, défendant les femmes, et ça...c'est beau ! Coup de théâtre, pavé dans la mare ! Y a un autre épisode à ce sujet qui m'a marqué, rappelez-vous quand Mr. Brockelhurst accepte de prendre Jane Eyre pour pensionnaire, il lui remet en mains ce Guide de l'enfant, insignifiant bouquin dogmatique, avant de l'inciter à le lire « sérieusement. » En gros, d'après les maigres descriptions significatives du bouquin, le Guide de l'enfant est un de ces romans religieux édifiants où les méchants enfants meurent dans d'atroces conditions, et là tu sens un étaux se fermer lourdement.


Jane Eyre. Charlotte Brontë


D'après Bachelard, un critique littéraire amoureux de la psychanalyse, l'eau, le feu, ou la terre peuvent dans une œuvre trouver des connotations qui permettent de mieux comprendre l'état d'âme d'un personnage ou d'un narrateur. Un peu comme une longue, très longue et complexe métaphore filée. Dans Jane Eyre, ce qui frappe c'est l'omniprésence de la pluie et de l'eau dans tout ce qui est tragique dans son histoire, et le feu pour les moments délicieux. Dans le voyage de Jane Eyre vers Lowood et son arrivée notamment, le monde a quelque chose de glacé, de violent, de ténébreux. Dans la diligence, ou devant la cheminée de l'auberge, l'enfant se recroqueville sur elle-même, « emmitouflée dans un châle », elle s'éloigne de la réalité pour supporter sa solitude et sa peur, et nous avons l'impression qu'une autre prison se construit autour du personnage à ce moment précis, une geôle intérieure qui ne l'enferme pas négativement mais la protège. Nous pouvons noter ici la présence du feu dans la cheminée à l'auberge, faisant écho à Bessie cette domestique qui seule l'aimait chez sa tante. Ce concept de la chaleur associé au souvenir tendre de cette bonne, parait minuscule face à cet « air entièrement de pluie » mais sonne comme un retour sur elle-même, vers une appréhension. Y a aussi ça dans le roman d'Henri Troyat, Youri. Après la révolte communiste, les riches parents de Youri doivent quitter le pays en toute hâte et sans biens. Au travers de leurs périples, mêlés d'horreurs et d'obstacles, l'enfant transfigure cette fuite comme une aventure extraordinaire. Cependant, lorsqu'il se retrouve tout seul dans une certaine scène et qu'il pense avoir perdu ses parents, le petit garçon se retrouve comme Jane Eyre vis-à-vis de lui-même effrayé, timide et tantôt son imagination l'aide à se tranquilliser, tantôt à se paniquer davantage car tout autour de lui prend une dimension fantastique et irréelle. Dans Jane Eyre, lorsque l'enfant voit pour la première fois les bâtiments de Lowood, sous cette pluie, l'endroit fait figure de décor gothique, presque hanté et on comprend que l'enfant, en revient par cette transfiguration à ses peurs premières : l'inconnu et le fait d'être seule face à celui-ci. Cette vision par ailleurs de l'école, bien que particulièrement troublée et forte, semble très moderne à l'heure d'aujourd'hui, car quel enfant ne ressent pas pour ses premiers jours dans ce genre d'enceinte une crainte exaspérée ? Le fait que Jane Eyre soit seule, imaginative, intelligente, renforce bien sûr cette impression d'irréalité mais caractérise ce que l'école produit chez chacun de nous : le bouleversement. Aujourd'hui, nous parlons facilement de ces premiers temps de notre vie, pour autant était-ce le cas au XIXème siècle ? Charlotte Brontë nous démontre encore une fois son caractère indépendant et moderne, en mettant au centre de son œuvre la psychologie d'un enfant face à ses doutes et à ses craintes.


Et si l'appréhension de Jane Eyre était juste ? Si Lowood était réellement un lieu de ténèbres ? A vrai dire, d'un certain point de vue, Lowood reflète surtout un versant sombre de l'Angleterre du XIXème siècle. A la façon de Charles Dickens dans Oliver Twist, qui montre comment les individus naissent et doivent apprendre à vivre dans une certaine sphère sociale sans espoir d'ascension, Charlotte Brontë nous dévoile le destin réservé aux orphelins pauvres de son temps . Car, lorsque dans sa candeur, la jeune Augusta avait déclaré : « on dirait presque des enfants de pauvres », celle-ci touchait sans le savoir à l'un des points les plus significatifs de cet établissement et de ce qu'il symbolisait. Cette idée de sphère est importante, car ce qu'on enseigne aux élèves de Lowood, tant par la présence de ces vieilles filles comme professeures coupées du monde, ou l'aspect enfermé des bâtiments, c'est ce contentement à la fatalité et ce devoir d'y survivre en y étant rudement formée. « Le jardin était un vase enclos de murs tellement hauts qu'on eût le moindre point de vue. » De même, Lowood est une institution qui ne parvient à fonctionner que par la charité, les dons de la haute société anglaise. Mr Brockelhurst en est le symbole dans la sphère aristocrate qu'il fréquente et donne dans ses discours l'impression qu'il collabore avec ce système. « Miss Temple doit rendre compte à Mr. Brockelhurst de tout ce qu'elle a fait. Mr Brockelhurst achète toute notre nourriture et tous nos vêtements. » Ainsi, c'est justement le scandale qui permettra à Lowood de recevoir davantage de fonds. Mr Brockelhurst ayant eu de grands soucis d'économie se verra affronter une épidémie de typhus dans l'établissement, et ce n'est que par l'action de ses institutrices, les rumeurs, qu'il cédera à donner davantage de moyens pour ses élèves. On sent que ces jeunes filles sont formées pour devenir nécessaires, malléables, utiles, à cette société donatrice et que les qualités d'effacement, de ferveur religieuse doivent être leurs atouts. Qui aimerait en effet, embaucher dans une famille bienséante une jeune fille qui sait penser, être jolie, entreprenante et espérer à d'autres vocations ? L'école privée de Lowood sert que ce soit conscient ou non une certaine éthique de la société, et participe à la formation non pas d'individus mais de futures employées. C'est d'ailleurs ce dont se moque cruellement Monsieur de Rochester lorsque demandant à Jane Eyre de jouer de piano, il note qu'elle sait en jouer comme toute institutrice sans trop d'extravagance et très scolairement. C'est probablement aussi pour cela que Jane Eyre décidera de quitter Lowood avec rancœur et certitudes car sans être de l'ingratitude elle semble comprendre le rouage dans lequel elle a été mise. Comment parvenir à une telle éducation par ailleurs si ce n'est par la dureté et l'uniformisation ? Dans Jane Eyre, nous sommes proches de cette image renvoyée du pensionnat rigide des Pink Floyd dans The Wall, où l'école fabrique des êtres semblables et dociles. Dans le film de Stevenson, le caractère despotique des lieux est d'ailleurs aussi bien représenté : les jeunes filles sont toutes alignées, Jane est au centre, la mise en scène convoque les thèmes de la solitude et du rejet par le conformisme. Du point de vue de cette rigidité, les faits relatés par Charlotte Brontë frôlent l'effroyable et le scandaleux. Il s'agit d'une prise de position très ferme qui a beaucoup choqué les lecteurs de son temps, car la condition des jeunes orphelins était taboue et n'avait jamais été révélée par une écriture aussi empathique et subversive. Il s'agirait d'ailleurs d'un aspect autobiographique de cet ouvrage, car la jeune Charlotte Brontë aurait été mise en pensionnat dont elle aurait gardé un très mauvais souvenir avec ses sœurs. Les jeunes filles vivent dans des dortoirs mal isolés, où l'eau, souvenons-nous de Bachelard, est toujours gelée, l'air perpétuellement timide. « un vent de nord-est coupant, sifflant toute la nuit dans les fentes des fenêtres de nos chambres nous avait fait frissonner dans nos lits et avait transformé en glace le contenu des brocs. » La nourriture y est chiche par soucis d'économie si bien que les élèves sont menues, généralement malades. Les propos de M Brockelhurst quant à ce mode de vie démontrent que ces jeunes filles doivent impérativement se contenter de cela, car pour leur condition sociale de tels offres semblent déjà extrêmement charitables. « La qualité était mangeable, la quantité réduite ; comme ma part semblait petite ! » La scène au registre le plus pathétique par ailleurs est la mort de sa jeune amie Hélène Burns, que l'on pense être la transfiguration de sa petite sœur décédée de maladie. La petite fille a « bon cœur », c'est la seule amie de Jane. Elle est bonne élève et se montre extrêmement habituée aux mœurs de Lowood comme si elle n'avait jamais rien connu d'autre, et par cet équivoque ne s'est construit qu'au travers des lois de l'établissement : « Tu dois avoir des défauts Helen, dit Jane admirant les qualités de son amie, Quels sont tes défauts ? (...) –Apprends de moi à ne pas se fier aux apparences. Je suis, comme l'a dit Miss Scatcherd, peu soignée ; je mets rarement de l'ordre dans mes affaires et ne les tiens pas rangées ; je suis négligente ; mes leçons ; je ne suis pas méthodique ; et il m'arrive comme à toi, de dire que je ne peux absolument pas supporte d'être soumise à des arrangements systématiques. Tout cela exaspère Miss Scatcherd, qui est par nature ordonnée, ponctuelle et méticuleuse. » Remarquons la notion de « par nature » employée par Helen, qui dans son innocence ne semble pas remarquer l'effet que produit Lowood sur ses pensionnaires.


Jane Eyre, c'est aussi un roman de femmes, et des rapports entre les femmes. Jane souffre de sa laideur ou de sa banalité. A plusieurs reprises dans le roman, on le lui rappelle comme une malédiction. St John, le pasteur dira : « Elle a l'air sensé, mais elle n'est pas belle du tout », les domestiques de Thornfield où elle travaille comme gouvernante auprès de Mr de Rochester s'exclameront : « Elle n'est pas particulièrement jolie, mais ce n'est pas une idiote et elle a très bon cœur. », et pire encore ! Mr de Rochester jouera cruellement de ses complexes en lui évoquant la beauté des autres femmes et en lui exposant. La laideur de Jane, dans ce monde si misogyne, c'est comme l'injustice d'être pauvre, d'être impuissant, c'est devoir d'accepter qu'on vous rejette sans crier. Car oui, d'hier ou d'aujourd'hui, la femme doit être belle si on peut l'aimer. Je pointe du doigt Mr de Rochester, lui, il ne souffre pas de sa laideur et dévoile même un certain contentement de sa personne. Il est plutôt fait état de sa condition sociale, de sa fortune ou de son charisme, mais y a que Jane pour lui confesser qu'il est laid parce qu'au même titre qu'un homme elle se permet de juger ça. Avec une étrange lucidité et sincérité, Jane nous livre sa liaison avec elle-même, et toute femme qui la lit se rappelle de ces fois où son propre miroir était brisé : « Jane Eyre, entends ta sentence : demain, pose ton miroir devant toi et fais ton autoportrait à la craie, fidèlement, sans atténuer un seul défaut. N'omets aucun trait disgracieux, n'estompe aucune irrégularité désagréable puis écris dessous : Portrait d'une gouvernante, sans relations, sans fortune, sans beauté ».


Le roman d'ailleurs c'est à noter, est peuplé de beautés féminines, presque fantasmagoriques, et quand on écoute le cœur de Jane battre, on la sent envier ces femmes tout en s'ingéniant à ne pas les jalouser. C'est la force de sa bonté, la faiblesse de sa résignation qui la rendent comme ça, à l'image d'un petit oiseau blessé qui se refuse d'envier ceux qui volent. A la même époque, Chateaubriand disait : on préfèrera toujours la rose au chardon, la femme belle à la femme laide, le beau est ce qu'on préfère. Pour autant si cela est vrai, Charlotte Brontë ne dénonce pas la nature, mais le choix d'une culture qui fait de la beauté un caractère essentiellement féminin. Et de fait, cette humilité, cette souffrance touchent le lecteur et peut être se font subversives, car par la compassion celui-ci pourra se demander : et si la femme ne devait pas être nécessairement belle pour être aimée ? Et si comme le pensait Jane, l'homme devait en revenir à l'âme, à la seule beauté de l'âme pour vraiment aimer? Après l'avoir lue, découverte, Jane, et avoir aimé autant qu'elle Mr de Rochester, personnages de papiers, virtuelles images, ne se dit on pas qu'elle a raison? Et au coeur, on fait voir ce que la richesse de l'intelligence a pour plastique, et ce que la beauté de l'âme, dense beauté de l'âme, produit comme charme.


Ah les hauteurs de Thornfield, les rires malsains dans l'obscurité, ces silhouettes effrayantes dans la pénombre des corridors, cette chambre rouge peuplée de fantômes, ces longs périples dans la pluie glacée. Je me souviens de vous.

Mouchni
10
Écrit par

Cet utilisateur l'a également mis dans ses coups de cœur et l'a ajouté à sa liste Top 10 Livres

Créée

le 21 oct. 2019

Critique lue 752 fois

3 j'aime

4 commentaires

Soso la bricole

Écrit par

Critique lue 752 fois

3
4

D'autres avis sur Jane Eyre

Jane Eyre
Gand-Alf
8

Prends-toi en main ! C'est ton destiiiiin ! (air connu)

On peut dire que je l'aurais sans cesse repoussé aux calendes grecques, cette lecture de "Jane Eyre", classique des classiques rédigé par Charlotte Brontë dont on me vante les mérites depuis je suis...

le 27 mai 2013

35 j'aime

5

Jane Eyre
Lehane
9

Je fus émerveillée en regardant cette belle créature...

Dès lors qu'on considère ce roman de Charlotte Brontë comme une œuvre colossale il devient difficile d'en parler avec justesse tout en lui étant suffisamment redevable. Jane Eyre est une fresque...

le 24 nov. 2013

31 j'aime

2

Jane Eyre
Eggdoll
9

Jane, ce modèle.

Comment transformer ce qui pourrait être une histoire d'amour banale, semée de rebondissements, d'émotion et heureusement terminée par un happy end, en un classique de la littérature ? (Note : cette...

le 4 oct. 2013

26 j'aime

1

Du même critique

Kadaver
Mouchni
7

Très bon concept !

Fan incontestée de films d'Horreur depuis mon adolescence, je suis souvent déçue par les dernières sorties du genre. A part quelques petites trouvailles par ci par là, j'avoue que je commence à me...

le 26 oct. 2020

15 j'aime

1

Jeruzalem
Mouchni
3

Quelle recette pour Jeruzalem ?

500 grammes de pub pour Jérusalem made in Agence de voyage du coin. 4 personnages à 30 de Q.I ( ou moins ça donnera le même résultat) 1 réalisateur bourré qui ne sait pas tenir une caméra. 1...

le 10 févr. 2016

12 j'aime

Extinction
Mouchni
2

Ou comment j'aurais aimé être un zombie pour les achever....

Non, mais comment peut-on faire un film aussi ennuyeux, fade et drame français en parlant de zombies, d'apocalypse et de survie? Sortir de l'ornière, je suis pour ! Revisiter le thème, encore plus...

le 7 mars 2016

11 j'aime

3