Nous voici donc repartis dans le monde aussi fabuleux qu'effrayant de Wild Cards, univers-mosaïque multi-auteurs géré par notre bon G. R. R. Martin. Notons une fois de plus la relative discrétion de cette saga, très injustement éclipsée dans la bibliographie de Martin par (naturellement) Game of Thrones. Pourtant, force est de constater qu'elle ne dépareille pas ni en termes de qualité, ni en termes d'envergure.



I- Une revisite bienvenue du mythe super-héroïque.



Pour les visiteurs et néophytes de l'univers, il s'agit à la base d'un vaste jeu entre auteurs de renom (dérivé d'un jeu de rôle existant) prenant en compte un contexte commun: l'attaque virale par une race extra-terrestre, les Takisiens, sur New-York et ses conséquences. Le virus est à l'origine de modifications génomiques conduisant à la mort (la Reine Noire), à des modifications catastrophiques sur le plan esthétique ou fonctionnel (les Jokers), des super-pouvoirs (les As) ou encore à... Rien du tout (les Norms).
On comprend bien, dès cette mise au point effectuée, qu'on est bien loin du traitement usuel du super-héros. Et cela commence évidemment par les Jokers: loin d'être relayés au second plan, ils sont parfaitement intégrés à l'intrigue et leur existence-même vient travailler un argile passionnant (la discrimination, sociale ou appliquée à tout ce que vous voulez; l'humanité et l'empathie, la contre-culture...). Nettement plus nombreux que les Aces, ces derniers sont une vraie mine d'or: qu'ils fabriquent des Eglises à l'image de Jésus Joker ou qu'ils dirigent des boîtes de strip avec danseuses à quatre seins, tout ce qui touche à ces malheureux est haut en couleur. Leur place, a priori mieux dessinée dans la suite de la saga (extrêmement longue: plus de vingt-cinq tomes...), est donc centrale. On notera par ailleurs une thématique chère à Martin, qu'on retrouve aisément dans ces autres œuvres: les marginaux, au sens de l'exaltation des "freaks" à l'aune de leur humanité blessée.
De la même manière, si certains "codes" du comics sont respectés et notamment la présence d'un "super-vilain", l'Astronomer, les problématiques auxquelles sont confrontés nos héros sont très loin des cambriolages du quartier. Après avoir traversé le maccarthisme ou le Vietnam dans les œuvres précédentes, on aperçoit ici l'émergence du VIH et surtout la problématique de la solitude, bien plus ravageuse dans ces pages que n'importe quel individu mal intentionné.



II - Un tome-accélérateur.



Les deux premiers tomes traversaient de longues périodes de temps (environ trois décennies) et installaient de multiples rebondissements, base essentielle de ce tome. Ils avaient permis de découvrir et de s'attacher à (ou clairement haïr) de nombreux personnages. Les Masons, sorte d'ennemis sectaires de l'ombre, ont ainsi pu développer leur emprise sous la houlette de l'Astronomer, mis en échec à la fin du deuxième tome.
Ce tome est ici très différent: toute l'intrigue se déroule sur une unique journée (le Wild Card Day) et convoque quasiment tous les personnages rencontrés auparavant. On assiste donc, de façon accélérée, à un chassé-croisé de personnages incroyables, nouant alliances et défis et s'enfonçant dans des complexités scénaristiques inégalées. Ceci mérite au moins dans un premier temps de saluer le travail extraordinaire des auteurs et de l'anthologiste, G. R. R. Martin, qui vient apporter cohérence et fluidité au récit.
Notons par ailleurs que contrairement aux deux premiers volumes, Jokers Wild est construit comme un roman et quitte donc le format de "recueil de nouvelles". J'imagine mal la difficulté supplémentaire que cela apporte, lorsque plusieurs plumes sont à l'œuvre.
L'intrigue prend donc un sacré coup de pied dans le cul et est menée tambour battant. Vous aurez donc l'occasion de suivre Fortunato (incroyable) dans sa quête de vengeance contre l'Astronomer, Wraith qui s'est mise dans de sacrés ennuis après avoir volé le journal intime de Kien, ennemi juré de Yeoman, Bagabond et Sewer Jack à la recherche de la nièce de ce dernier, Hiram Worchester qui préparer son repas de l'année et passe décidément une mauvaise journée, Spector qui tente d'échapper à l'Astronomer... Bref, vous l'aurez compris, c'est abondant.
Abondant mais riche et travaillé. Aucune quête n'est bâclée ou laissée comme secondaire, et cela finit par converger à plusieurs instants de façon spectaculaire et il faut bien l'avouer, très jouissive.


On pourrait dire que ce troisième opus de Jokers Wild est une masterclass.
Bien sûr, le livre souffre de quelques longueurs et la multiplicité des personnages et sous-intrigues rendra la lecture parfois âpre.
Il en ressort néanmoins un énorme plaisir de lecture et la satisfaction d'une sorte de "conclusion" bienvenue dans cet univers foisonnant.
Je poursuivrai donc sans aucune appréhension cette série décidément très enthousiasmante.

Wazlib
8
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le 22 déc. 2021

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Wazlib

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