King Kong théorie par aaiiaao

King Kong Théorie ne se présente plus, même si je m'attendais à un diaporama plus large de la cause féministe. Virginie Despentes est une féministe pro-sexe et elle se concentre sur trois problématiques qui font corps avec le statut social imposé aux femmes : la terreur et le trauma du viol, la prostitution, et la pornographie. Entremêlant son vécu personnel et des réflexions sociologiques et politiques, elle cogne admirablement là où ça fait mal (avec une batte cloutée si vous voulez une image parlante) : le parallèle (audacieux) qu'elle fait entre prostitution (consentante) et mariage, l'angoisse du viol qu'elle perçoit comme constitutif à toute femme, le droit d'avoir été une femme violée et de s'en remettre, (le droit de ne jamais s'en remettre aussi), la féminité intégrée comme "art de la putasserie", l'immense hypocrisie autour de la pornographie et de la sexualité des femmes...
Despentes s'appuie sur son histoire personnelle pour étayer son propos. Elle n'hésite pas à disséquer le viol qu'elle a subit, un jour d’auto-stop. Je vais éviter de la paraphraser et de tordre ses mots sur un sujet aussi sensible, mais c'est admirable de limpidité et de force, sa pensée est brut de décoffrage mais ne m'a jamais semblé caricaturale ou facile. Elle prend en compte les ressorts politiques de la misogynie, elle ne nous préserve d'aucune vulgarité mais sans jamais être excessive.
Elle revient notamment sur son expérience de réalisatrice pour le film Baise-moi, qui avait suscité un tollé lors de sa sortie. Lire sa propre analyse de cette polémique, que j'avais suivie très vaguement à l'époque (j'avais 13 ans), nettement écœurée par tout ce que je pouvais en savoir (c'est-à-dire pas grand chose) et horrifiée par le combo actrices-porno/viol/vengeance-féminine, m'a fait réaliser à quel point ces problématiques étaient profondément politiques : représenter des femmes puissantes et sexuelles, non. Représenter des femmes qui ne s'écrasent pas après avoir subi le pire, qui traquent et fomentent une vengeance contre l'homme violeur, non. C'est presque étourdissant d'avoir été entraînée à mon insu dans ce parti-pris profondément misogyne. Pardon Virginie.
J'ai beaucoup aimé son regard sans concession bien que compatissant à l'égard des hommes : groupe dominant tremblant de peur de perdre ses privilèges, obligé de surjouer la virilité au risque de passer pour des PD (sic), consommant fébrilement films X et prostituées tout en s'assurant que les actrices de ces milieux restent hors de la société des gens dignes… Nous sommes perpétuellement présentées comme des victimes alors que nous sommes les survivantes de mille et un tourments inhérents à notre genre.
C'est un essai qui a ses défauts, un dosage du ton, une forme d'impatience sur la fin qui était moins pédagogique à mon sens, mais ce serait le comble de reprocher à Despentes sa vulgarité, alors même qu'elle la revendique ! J’avais des réticences à lire King Kong Théorie, peur qu’il soit daté ou que je sois assez instruite sur ces sujets pour ne pas m’ennuyer… j’ai eu tort, et j’aimerai que Virginie Despentes se lance dans un nouvel essai féministe, vite vite. Sa pensée s'est enrichie et quand je lis ses interviews récents, je suis ba-ba de sa verve, de ses réflexions cinglantes et empreintes de sagesse.