J'avoue qu'en tant que mâle blanc H2O (hétéro, occidental et oppresseur), la perspective de lire Virginie Despentes me donnait des sueurs froides. Mais à la suite d'une déambulation aléatoire dans ma librairie de quartier et attiré par la rutilante couverture ainsi que par la taille très courte de l'opuscule (je croyais que c'était un roman, c'est en fait un essai), je me suis laissé tenter.


Eh ben franchement c'est pas mal. Je dois dire d'emblée que j'ai un point commun avec Despentes qui est plus fort qu'il n'y parait, c'est notre origine classe moyenne (du genre moyenne moyenne). Le mérite de Despentes est qu'elle ne s'exprime pas de sa tour d'ivoire de théoricienne bourgeoise, mais bien de son expérience personnelle de fille de la rue. Elle parle du viol, de la prostitution, de la pornographie, avec une force et une franchise renversantes en mode "tiens prends ça dans ta gueule".


Ce qui était nouveau pour moi, qui pour des raisons purement géographiques connais mieux le féminisme anglo-saxon, c'est le trait d'union que fait Despentes entre lutte contre le patriarcat et lutte contre le capitalisme. Rien de vraiment nouveau bien sûr, et on comprend bien l'idée sous-jacente : capitalisme = organisation de mâles blancs = patriarcat. Despentes nous parle comme si le féminisme c'était la lutte de la nature contre la société, contre la culture. J'aurais plutôt dit l'inverse (il me semble que c'est bien la modernité qui rend le féminisme possible, plutôt qu'un retour à un état naturel non identifié) et la position de l'auteure a eu au moins le mérite de me faire réfléchir.


Je passe sur l'interprétation de King Kong un peu tirée par les cheveux, King Kong en monstre non binaire, sérieusement ? Je l'aurais plutôt vu comme un symbole de virilité grotesque. Mais ce doit être ma masculinité que je projette sur le primate. Virilité, parlons-en, car Despentes se revendique tout au long de son essai comme une femme 'virile' : la virilité ne doit pas être l'apanage des hommes, les femmes peuvent aussi l'être. Certes.


On a ainsi droit sur la fin à une liste à la Prévert d'hommes virils pour nous montrer que la virilité chez les hommes c'est bandant aussi (allant de Joeystarr à Hemingway, pour moi des beaufs plutôt que des exemples de virilité, mais bon chacun ses fantasmes). Despentes est assez maligne pour se défendre de vouloir faire des femmes des garçons manqués : elle parle aussi pour les hommes pas virils, et puis aussi pour les femmes "féminines", qui aiment se faire belles et plaire à l'autre sexe. Elle les inclut dans son propos, elle sait bien que sinon son argumentation sans cela s'effondrerait, mais on sent quand même qu'elle ne les aime pas trop ces femmes-là, ou disons qu'elle s'en méfie, qu'elle ne les comprend pas. Fascinante limite théorique : il est impossible de définir ce que devrait être une femme, car ce serait là l'anti-thèse du féminisme. On est donc condamné(e)s à dire ce qu'elle ne devrait pas être, mais en n'étant jamais trop précise.


PS : Despentes remarque très pertinemment que malgré la prolifération de littérature féministe depuis près d'un siècle, le premier grand livre sur la masculinité se fait encore attendre. On en prend bonne note.

Orazy
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le 7 avr. 2019

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