Sur les côtes sauvages de l'île d'Inverara, au large de l'Irlande, l'hiver est extrêmement rude. Le vent menace d'enfoncer les portes. La mer furieuse rabote les falaises, frappe aux carreaux des chaumières trop littorales. Les vagues viennent mordre loin dans les plaines, puis se retirent en emportant leur butin : roches, débris divers, cadavres d'animaux dont le lieu grouille...
Sur Inverara, les naufrages au large sont de bonne augure : si la mer prend, elle est aussi prodigue, et offre en pension aux habitants de l'île tout ce que des épaves peuvent offrir : matériaux, planches, tonneaux, vivres et biens divers que les hommes récupèrent sur la plage, l'occasion, parfois, d'un rixe à la mode locale.
Car les hommes de cette île sont les dignes rejetons battus de cette nature toute-puissante. Gouailleurs, cancanier, laborieux et rustres, forts et buveurs, fiers, résignés... Catholiques. Ils conservent quelques relents de paganismes, et ne manquent pas de remercier Crom pour les naissances de bétail. On évolue ici dans une Irlande qui n'existe plus.
Mary, fille illégitime d'un châtelain puissant, a été forcée de prendre pour époux John le Rouge, un autre de ces paysans qu'en raison de ses origines et de son éducation, elle ne peut que mépriser. Mary se soumet au tempérament de l'île, à son mariage, à la nécessité sociale de vivre comme une femme d'Inverara. Mais elle est belle et forte, trop belle, trop forte, pour John, qui en a peur. Elle rêve de raffinement, de douceur, de culture. D'échapper à la violence des choses et des destinées insulaires. C'est en l'Étranger, qui vit sous le toit conjugal depuis quelques temps, qu'elle voit l'opportunité d'entrer en contact avec ce monde d'élégance. L'Étranger est un homme beau, éduqué, mais surtout, c'est un homme détruit. Un éclat d'obus en France, l'horreur de la guerre, les tranchées, qu'il a connu sous la bannière britannique. Il est sur Inverara pour soigner son mal. Il est l'Âme noire. Il est aussi le corps étranger sur ce bout de terre. Une écharde d'intellect et d'angoisses. S'offrent à lui deux choix, celui de résister, au risque de basculer comme le chêne de la fable, ou bien celui de plier, en bon roseau, sous le poids de l'environnement, de la simplicité agréable de ces natures sauvages, et de répondre à la passion animale que lui offre Mary. Leur amour est capricieux, brutal, à l'image du climat local, qui fluctuera d'ailleurs selon les quatre saisons contées.
L'homme vacille, se raidit, puis ploie et y trouve le salut de son âme écorchée. Mais à l'heure de fuir avec Mary, peut-t-il renoncer à l'endroit qui lui a donné la paix ? Quel mauvais grain cette aventure fait-elle germer dans l'esprit de John le Rouge ?

Ce roman est une lutte. La nature y affronte la raison. La simplicité d'un présent chasse les angoisses du passé. Un homme est confronté à sa Bête, enfin.
O'Flaherty ne minaude pas. Chez lui l'amour, c'est physique, viscéral. Un temps combattant de la cause irlandaise, c'est un natif des îles, qu'il décrit dans l'Âme Noire de manière organique. On les sent vivre, battre en lui au moment de prendre la plume.
D'ailleurs, comment douter de la parentée étroite entre l'auteur et l'Étranger, son personnage ?
O'Flaherty nous livre un bout de son âme, de son âme noire en recherche de sens, de beauté, de repos. Comme son personnage, il fut blessé au front par un obus, en 1917. Un traumatisme qui ne l'a probablement jamais quitté.
L'Âme noire marque l'entrée de Liam O'Flaherty dans la littérature, refuge prisé des natures soumises à l'angoisse chronique. Ceci, peut-être, explique cela.
Lomel
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le 28 févr. 2013

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Lo. mel

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