L’ANNÉE DE LA PENSÉE MAGIQUE: OU LE DIFFICILE APPRENTISSAGE DU DEUIL

Je retrouve une nouvelle fois l’excellente plume de Joan Didion; cette dernière faisant face cette fois-ci à la mort de son mari. Malgré le sujet, j’ai été attiré par le titre; titre qui m’a semblé paradoxal d’ailleurs. En effet, comment l’année où on a perdu l’homme de sa vie, son meilleur ami, le père de son enfant aurait pu être magique?


Avant de répondre à cette question, j’ai envie de vous livrer mes impressions. Une fois encore, j’ai été bluffée par l’écriture de Joan Didion. Forte, réaliste, faussement simple et qui vous remue les tripes. J’aurai presque envie de dire que la vie ( et aussi la mort pour le coup) n’a plus de secret pour elle tant elle en a vécu des choses, le meilleur comme le pire. Je sais que beaucoup trouverait sa démarche morbide d’autant plus qu’elle la réitéra plus tard lors du décès de sa fille. D’autres s’offusqueront de cette intimité partagée, du fait qu’elle se livre sans détour alors que peut-être tout ça aurait du rester dans la sphère privée. Ses blessures, sa souffrance, les souvenirs heureux, ceux qui le sont moins; et, la vie qui reprend envers et malgré tout. D’autres ne comprendront pas non plus le seul fait qu’elle ait à un moment donné voulu assister à l’autopsie de son mari.
Personnellement, je n’ai jugé à aucun moment sa démarche; au contraire, je l’ai compris même si je n’ai pas perdu mari et enfant. Je pense seulement que le travail de deuil est un travail personnel, propre à chacun. Chacun réagit donc en fonction de son éducation, de son caractère , de son vécu et de son histoire.


Malgré tout et au delà de ça, je vois dans ce livre une sorte de « guide ». L’auteure met des mots sur ce qui est parfois invisible et souvent incompris. Lorsqu’on a perdu quelqu’un, il y a ceux qui sont désolés pour vous et ceux qui sont touchés de près par cette perte. Ces derniers sont comme des écorchés vifs, mis à nu, seul et sans défense. Même avec la meilleure volonté du monde, les autres ne peuvent vivre et comprendre ce par quoi on passe. Et, alors que les autres nous couvrent d’attention avec de bonnes intentions et nous accablent avec » ça passera avec le temps « ou l’atroce » il est mieux là où il est », la douleur est bien là ainsi que le vide. Et puis, il y a ce besoin de comprendre, de trouver des réponses aux questions sans réponse. De donner, de trouver un sens là il n’en y a pas forcément.


Joan Didion en plus d’être une femme, une mère et une épouse, est une brillante intellectuelle ce qui rend d’autant plus difficile sa quête. Elle a besoin de comprendre qu’est qui a fait que ce soir là tout a dérapé. Comment d’une seconde à l’autre tout a basculé. Y a t-il eu des signes? A t-elle été une bonne épouse? Son passé et son présent se déroulent alors devant elle sans une remise en question perpétuelle. Et s’ils étaient allés vivre à Parfis finalement, John serait-il encore là? Et si, elle aurait su pour ce soir là, qu’aurait-elle fait de différent? Elle est persuadée d’avoir raté quelque chose, les signes qui lui disaient que tout n’allait pas bien mais qu’elle a préféré ignorer.


Dans ce tourbillon de sentiments contradictoires, l’absence se fait plus violente mais étrangement aussi parfois, elle oublie. Elle voit quelque chose et se dit: » J’en parlerai à John ce soir « avant de se rappeler cruellement que John n’est plus. Mais pourtant, toutes ses affaires sont là; et, elle sent sa présence comme si ce » fameux » soir du 31 n’avait jamais existé. Ni seringue, ni tâche de sang sur le sol de leur appartement. Et, que penser de son bureau toujours à l’identique qui semble n’attendre que lui? Ses vêtements toujours au même endroit?


La minute d’avant, ils étaient un couple marié et la seconde d’après, Joan Didion était veuve. Dans ce combat permanent entre elle même et la puissance des souvenirs, elle lit beaucoup surtout des ouvrages sur le deuil ainsi que le rapport d’autopsie de son mari qu’elle finira pas connaitre par cœur. Une façon pour elle de retenir John à ses côtés et à la fois, de le laisser partir, de lâcher prise et d’avancer. Peu à peu, la vie reprend ses droits mais cela ne veut pas dire pour autant qu’elle est guérie. Dirons-nous plutôt que c’est un sursis, le calme avant la tempête, avant de perdre une fois de plus un être cher.
Je pense que c’est penser et » retourner le couteau dans la plaie » qui ont été salvateurs pour l’auteure. Elle n’a pas été dans le déni de ce qui lui arrivait du moins pas tout le temps. Je crois d’ailleurs que ce livre en est la preuve vivante. Une année magique dans le sens où malgré tout ce qui s’est passé, elle est encore debout ce qui tient presque du miracle peut-être. Magique aussi peut-être car pendant cette année, elle a rembobiné le film de sa vie. Et, dans ce laps de temps, John était toujours à ses côtés dans un hôtel à Hawaï à bosser tout le temps sur un scénario qui ne verrait jamais le jour. Sa fille Quintana n’était pas malade non plus, c’était une petite remplie de vie.


Sur la quatrième de couverture de L’année de la pensée magique, un journaliste indiquait que Joan Didion offre avec ce livre » un magnifique tombeau littéraire « à l’homme de sa vie. Le critique n’avait pas menti; celui qui dit que l’ouvrage est une référence en matière de deuil non plus. Du reste, je crois aussi ne pas mentir en pensant que Joan Didion est une femme courageuse et brillante; et une des auteures américaines les plus emblématiques, marquantes de son temps.

Missbale974
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le 1 sept. 2015

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