Il faut qu'on parle de ce livre

Il faut qu'on parle de ce livre. Premièrement parce que c'est un excellent livre, que personnellement en tant qu'animateur BAFA je conseille toujours dans les centres où j'arrive (pour faire la lecture avant la sieste des tout petits), mais aussi parce qu'il y a quelque chose d'étrange avec ce livre sur Sens Critique. Il me semble que j'écris la première critique de ce livre, et à ce jour il est huitième dans le TOP 111 Livres. Disons que, malgré la grande qualité de ce livre, le voir passer devant "Les Frères Karamazov" de Dostoïevski m'a un peu secoué.

Ce qui frappe d'abord dans ce livre, c'est la force de l'imaginaire. Tout est foisonnant, comme la bibliothèque d'Hipollène, et dans chaque dessin on trouve des petits détails révélateurs, une richesse poétique partout dans les coins. Tous les noms sont signifiants, et les personnages sont attachants. On est très, très loin au-dessous de la soupe pour jeunesse qui sort par dizaine chaque jour dans les rayons des supermarchés : ce livre atteint véritablement au statut d’œuvre d'art. Il y a à la fois de la symbolique et du mystère, quelque chose qui fait que même l'adulte en lisant prend du plaisir (tout comme, par exemple, dans les meilleurs dessins animés réalisés par les studios Pixar). Et puis c'est à la fois un récit initiatique, qui aborde les thèmes majeurs dans l'éducation de l'enfant (la naissance, la mort, le voyage, etc..)

« L’arbre sans fin » est sans doute le chef-d’œuvre de la littérature jeunesse, juste devant les autres ouvrages de Claude Ponti. Mais voilà, la grande question c’est : est-ce qu’on peut mettre ce livre entre Dostoïevski et Rimbaud ? Beaucoup trouvent ça mignons, que ce livre soit dans le Top 10, comme un hommage à notre jeunesse, à la jeunesse en général. Ce serait, disons, comme la présence du « Tout Desproges » juste après « L’enfer » de Dante, pour prouver que nous ne sommes pas bouchés et fermés d’esprit, que nous savons qu’il n’y a pas que la « grande littérature », comme on dit, dans la vie.

Mais, de mon côté, j’avoue qu’il y a quelque chose qui me gêne là-dedans. Si je devais mettre une note sur ce livre uniquement dans le cadre de la littérature jeunesse, je mettrais d’emblée 10/10. Mais là, nous parlons d’un classement qui doit mettre en perspective toute la littérature mondiale. Ce livre-ci est un livre sans prétention, à qui il ne faut pas en prêter de trop grandes : il sert à faire rêver et à faire grandir les enfants. Face à une littérature qui cherche à transformer le monde ou à toucher les sommets du style, ce livre reste un premier livre, qu’on a lu de nombreuses fois dans son enfance, qui est resté longuement sur notre chevet, mais qui ne peut pas prétendre aller au-delà.

Je m’en tiendrai donc à un joli 7/10. C’est le maximum que je peux donner, et à vrai dire c’est peut-être déjà beaucoup trop, étant donné qu’il y a des films ou des livres considérés comme des « chefs-d’œuvre », à qui j’ai mis autant ou moins. Je crois que mettre plus, c’est céder à un penchant « mignon », de pseudo-nostalgie, alors qu’il faudrait plutôt y réfléchir. Disons que, malgré le rêve et l’imaginaire fournis par ce livre, je serai toujours scandalisé quand un Dostoïevski, et même un classique du roman français que j’aurai moins aimé que Dostoïevski, se trouvera derrière.