L'Arrache-cœur
7.5
L'Arrache-cœur

livre de Boris Vian (1953)

Emerveillé par l'Ecume des jours, j'ai ainsi voulu m'attaquer à l'arrache cœur. Bien différent du premier livre cité, la poésie que parsème Vian n'alimente ni le rêve éveillé ni l'extase mais bel et bien la noirceur, l'ironie du monde. Or cela en fait quelque chose d'étonnant, amenant des réflexions sur la maternité et une remise en question profonde sur la famille.

Queneau écrit dans son avant-propos ; « Boris Vian va devenir Boris Vian » et nous assistons ainsi certainement à l'éclosion d'une maturité nouvelle de l'auteur qui se sent profondément dans ses paysages, ses dialogues et sa narration. Le choix d'un tel personnage, psychanalyste qui puise, vole et imite en ses congénères, leurs sentiments et leur profondeur afin de se créer est totalement justifiée, tant que l'on s'imagine que vous et moi sommes Jacquemort. Surpris et choqués par certains faits, certains actes, nous sommes ; tout comme l'est au début le personnage avec la foire aux vieux, la crucifixion de l'étalon ; mais finalement la lassitude, le ressac et la répétition des faits nous habituent à tout, à l'horreur, au drame et aux crimes contre lesquels on se révoltait antérieurement. Nous devenons acteurs de la barbarie par une passivité, d'autant plus mise en relief que dans ce livre, nous assistons impuissants à la bêtise bien pire qu'inhumaine d'un village en n'étant que « simple » lecteur.

Et le paradoxe est là, dans ce coin reculé, c'est l'éternel affront de l'impuissance passionnelle contre l'activité dévastatrice du monde. A trop en vouloir, Clémentine devient celle qu'elle a tant détesté, l'homme, son mari, elle s'enferme dans une prison immense, clôt l'univers. Mais pourtant, quelle beauté exposée ! Cette femme profonde bien que pure devient la plus ignoble créature, triste retour à l'animal, c'est peut-être là la réponse à la honte. Il ne faut plus s'élever, la condition primitive efface la douleur et le supplice mais à quel prix ? Il est dur de le dire.

Comme il aime à le faire, Vian mêle aussi l'humour à la religion laquelle jamais ne méprise, au contraire, pensant pouvoir ainsi sauver l'Homme de sa nature meurtrière et pernicieuse.

Mais ce que j'ai trouvé étonnant et en fait cela ne l'est pas, c'est l'évocation d'une sexualité crue et torride voire bestiale assez présente au début du roman qui s'accorde tout à fait avec cette idée de nature archaïque et immuable. Et cette sexualité s'efface pour laisser place à la réflexion. Ainsi, Jacquemort se délaissera des rendez vous sexuels libérateurs avec Culblanc mais se nourrira peu à peu de la vie de La Gloïre à qui il succèdera. Et c'est ainsi que le roman se construit, par une évolution déconstruite des personnages, confrontés à la mouvance de leur démons intérieurs. Et c'est cela qu'on peut voir dans les trois enfants, cette pureté qu'ils symbolisent n'est autre qu'une formidable arme destinée à torturer leur mère. On discerne nettement en chacun d'eux l'imposante construction de l'Homme oscillant entre peines, chagrins, joies, bonheurs futiles, orgueils, admiration, dégoût mépris etc. Ils reflètent aux yeux de tous, la pantomime qu'à chaque moment tout un chacun se dresse voulant tant bien que mal essuyer ses erreurs. Nous enfermer en cages, nous séparer de la liberté et de nos frères ,aux sens propre et figuré, est-il vraiment la solution ? Vian vous en donne les clés. Un moment d'une réflexion puissante et à la fois agréable dû à la patte très originale de l'auteur. Un livre époustouflant !
TueReves
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le 8 mars 2012

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TueReves

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