Daryl Gregory est très probablement l'un des auteurs d'imaginaire les plus intéressants de notre époque. J'avais déjà été fermement convaincu par son court roman "Nous allons tous très bien, merci", et n'ai entendu que des éloges concernant "After Party". J'ai choisi de lire sa première oeuvre, saluée ici et là pour son renouveau dans le genre pourtant si éculé ces dernières années du "zombie". On en a eu dans tous les sens, du zombie, quasiment autant que les vampires: du zombie d'horreur ("Zombie Island"), du zombie documentaire ("World War Z"), du zombie comique (avec le film "Shaun of the Dead") et même du zombie sentimental ("Vivants"). Autant dire que motiver mon intérêt pour ce domaine était assez difficile, d'autant plus que je n'ai jamais été un grand passionné de la créature (même si dans ses portées philosophiques et métaphoriques, c'est extrêmement intéressant!).
Mais voilà, malgré mon peu d'expérience avec la littérature de Daryl Gregory, je lui fais une absolue confiance. Et j'en suis pour l'instant ravi.


"L'Education de Stony Mayhall" est un livre très maîtrisé et quelque part, assez frustrant. Commençons par le plus évident: on tient entre nos mains plusieurs histoires, tant dans le fond que dans la forme. La plus réussie, d'après moi, est la plus courte: c'est l'enfance de Stony. D'une grande douceur, la première centaine de pages du roman convainc sans problème. On découvre la famille de Stony et leur relation avec cet étrange enfant, d'apparence cadavérique mais qui, pourtant, grandit, apprend, aime... On voltige donc entre rêves d'enfant, réflexions adolescentes, aspirations d'un jeune adulte qui décidément ne comprend pas ce qu'il est. Et ainsi d'intégrer un des grands thèmes du roman: chercher sa place dans un monde qui ne nous comprend pas. Et c'est d'une finesse rare, la portée métaphorique d'un être réellement "mort-vivant" facilitant évidemment la démarche.
En tous cas, ce début de roman est magnifique et presque trop en rupture avec la suite, que j'ai moins aimée. Mais c'est strictement personnel, puisqu'à bien des égards, le roman prend réellement sens à la suite de cet incipit. Et c'est très différent, ménageant moins de vertus métaphoriques pour s'orienter plus résolument vers un roman d'intrigue. L'histoire est effectivement bien ficelée, et les hypothèses concernant la nature des zombies sont passionnantes.


On retrouve là les mêmes reproches que j'avais déjà formulées lors de la lecture de "Nous allons tous très bien, merci". L'intrigue fourmille de dizaines d'idées toutes plus excitantes les unes que les autres, et c'est très frustrant de ne pas les voir plus développées. De la même manière, je trouve un peu dommage que la portée "sentimentaliste", ou du moins le versant plus doux et plus métaphorique du début de roman soit reléguée en arrière-plan lors de la suite du livre. Il y a même quelques aberrations: qu'en est-il de certains des personnages auxquels on s'est attaché en début de livre? Des évènements majeurs de leur histoire sont à peine mentionnés, relégués derrière une intrigue qui avouons-le, part un peu dans tous les sens.


Et je pense que c'est ainsi qu'il faut imaginer ce roman: comme une suite d'histoire modelant un personnage, faisant son "éducation" et aboutissant à une certaine unité. C'est certes très intéressant, puisque le roman se renouvelle fréquemment tant dans ses personnages que dans ses lieux et intérêts, mais c'est très frustrant, surtout sur la longueur d'un roman.
On ne pourra pas reprocher à Daryl Gregory son originalité. C'est, très franchement, le point fort de cet auteur. Son style est globalement sans éclat: le roman est bien écrit mais ne brille pas d'une prose unique. En revanche, l'abondance d'idées uniques intégrées à une intrigue menée tambours battant: voilà ce que fait M. Gregory, et il le fait très bien.


Au bout de ce périple fort en rebondissements, l'histoire de Stony Mayhall se clôturera de fort belle manière. Le lecteur attentif et porté sur l'abstrait pourra en deviner les tenants et les aboutissants, sans pour autant que cela lui gâche le plaisir de la conclusion.


Concluons donc ainsi: Daryl Gregory réussit effectivement la tâche impossible de livrer un roman de zombie original. Dans la veine d'un Chuck Palahniuk, l'écrivain continue son chemin vers des livres résolument protés sur les intrigues et le fourmillement d'idées. On regrettera un peu le côté "lisse" de ces personnages, peu émotionnels. Cela reste de la très bonne littérature d'imaginaire, et c'est peu de dire que la mythologie que développe Daryl Gregory est très alléchante.
Définitivement un auteur à suivre pour les prochaines années.

Wazlib
7
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le 12 avr. 2018

Critique lue 153 fois

Wazlib

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