Une mignardise de cocktail mondain, non sans charme

L'historiographe du royaume, Maël Renouard, Grasset


Voici le récit d'un camarade de classe de l'aîné des princes du Maroc que le destin rappellera, quinze ans plus tard, au côté de son ancien condisciple du collège royal, devenu le roi Hassan II. Ancien normalien dans le Paris des années 50, fréquentant les cercles indépendantistes du quartier latin, Abderrahmane est un garçon de petite naissance mais de haute culture dont le souverain va faire un homme-lige, lui marquant ses faveurs ou défaveurs au gré de ses humeurs, avant de le désigner «  historiographe du royaume » chargé d'écrire à sa gloire, comme Racine ou Boileau le firent pour Louis XIV. Une vie d'observateur inquiet et de serviteur de postérité, un peu naïf mais soucieux de bien faire, toujours sur la ligne de crête entre grâce et disgrâce et qui aura connu les deux, avec quelques satisfactions personnelles mais sans jamais aucun repos de l'âme.


Un tel sujet frise le casse-cou. Hassan II fut, certes, un personnage de premier plan, mais sa main de fer dans un gant de velours mondain, frivole et arrogant, les prisonniers politiques, les libertés muselées, les « années de plomb », la persistance de la misère dans son pays sous son long règne ne portent guère à l'hagiographie.


En outre, Maël Renouard nous livre son récit dans une langue délibérément saint-simonienne, de sorte qu'on songe, en lisant les premières pages, au brillant pastiche d'un normalien réactionnaire, friand des tournures de style précieuses et contournées, passées de mode – ô combien ! - s'étonnant qu'on puisse encore prendre plaisir, au XXIème siècle, à un tel exercice de style d'une autre époque où pullulent les imparfaits du subjonctif.


Pourtant le charme opère très vite, puissant et voluptueux, on se régale.


D'abord parce que ce livre n'est pas une biographie de Hassan II et moins encore une hagiographie. C'est le livre des états d'âme, satisfactions et craintes mêlées, d'un courtisan dans une cour d'un autre âge. « D'un autre âge » ? Voire...Les phénomènes de cour que nous conte Renouard, qui fut la plume de François Fillon premier ministre, sont intemporels et sans géographie particulière- exceptés peut-être les pays du Nord de l'Europe. Ce livre d'un courtisan est une mise en abîme, quelquefois drôle et toujours plaisante, des vanités et des frayeurs des hommes de pouvoir, un miroir dans lequel se reflètent les travers ou les vicissitudes des collaborateurs, statutaires ou génétiques, des princes. Une page sur les journalistes accrédités est particulièrement goûteuse («  Il y avait un gouffre entre ce qu'il savait et ce qu'il écrivait […]. Il tenait à son honneur d'être un homme bien informé, à son propre usage pour ainsi dire, et parvenait d'autant mieux à l'être qu'il n'avait pas l'ambition d'informer ses lecteurs »).


Ensuite, parce que l'auteur, avec un réel talent de conteur, nous apprend ou nous rappelle beaucoup de choses. La tentative de coup d'Etat du 10 juillet 1971 pendant les réjouissances que le roi offre à ses invités dans sa résidence de Skhirat (plus d'une centaine de morts)  ou l'attaque aérienne fomentée contre lui un an plus tard par le général Oufkir, son puissant ministre de l'intérieur et de la défense. Mais il aborde aussi l'histoire plus ancienne du royaume chérifien : Moulay Ismaël, premier de la dynastie alaouite, contemporain de Louis XIV, qui régna 55 ans, étendit sa suzeraineté de la Méditerranée jusqu'au fleuve Sénégal et fonda Meknès, mais dont la brutalité et la cruauté furent à ce point légendaires que le roi Hassan II renonça, par prudence, à organiser des festivités pour honorer l'anniversaire de son règne ; le corsaire devenu vizir, Abdellah ben Aïcha, qu'on enverra en ambassade à Paris . Des digressions sur les fastueuses cérémonies de célébration du 2 500 ème anniversaire de l'empire perse organisées en 1971 par le Chah d'Iran, les fêtes versaillaises sous Louis XIV, le ridicule des diplomates français à travers les âges, les hagiographes des rois de France, les motifs de la disgrâce de Racine, l'histoire des traductions françaises des contes des Mille et une nuits parsèment le récit.


Les idéologues, sans doute, maudiront ce livre où on ne parvient pas à se convaincre que le narrateur est Marocain -on le croit Français tout le long du livre, ce qui n'est certes pas une réussite- la rue marocaine y est absente, comme la mosquée, la discothèque ou le lupanar, la foule, l'agitation des souks, les miséreux, les bouibouis, la jeunesse, le hammam, l'esprit de débrouillardise, les révoltes, les intellectuels du pays qui se morfondent, l'attente de changement. Oui, tout cela y est absent.


Mais les lecteurs qui aiment bien les gourmandises, l'érudition et la belle langue, l'apprécieront à sa juste valeur : une mignardise de cocktail mondain qu'on ne parvient pas tout à fait à détester en dépit de la compagnie. Et je dois bien avouer, non sans quelque scrupule, que tenant le Maroc pour le plus beau pays du monde, j'ai pris beaucoup de plaisir à ces histoires de cour.

JoëlBoyer
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le 6 déc. 2020

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Joël Boyer

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