L'Homme qui tombe
6.3
L'Homme qui tombe

livre de Don DeLillo (2007)

Cet homme que le titre évoque, c’est un anonyme photographié le 11 septembre 2001, victime affolée de la catastrophe, saisi par l’objectif d’un appareil photo dans une posture improbable. Mais c’est aussi, plus tard, un homme qui mime cette chute en se jetant des endroits les plus improbables, sous l’œil de passants médusés, une sorte d’artiste performeur cherchant l’impossible soutenu par un simple harnais et des câbles, mais sans le moindre dispositif destiné à amortir la chute. Il me semble logique d’ajouter que cet homme qui tombe c’est aussi l’anonyme dans la foule qui chute du haut de ses illusions. Car, ce jour-là, ce ne sont pas seulement quelques milliers d’occupants du World Trade Center qui ont disparu (transformés en poussière mortelle), mais tous ceux qui ont subi un choc inimaginable et n’en sont jamais revenus.


Ce que Don DeLillo fait en écrivant ce roman, c’est de se demander « Comment une telle horreur a-t-elle pu être ne serait-ce qu’imaginée ? Dans quel(s) cerveau(x) démoniaque(s) a-t-elle pu être conçue ? Comment des hommes ont-ils pu de leur plein gré, entrer dans cette machinerie infernale ? »
Les réponses à ces questions sont évidemment beaucoup trop complexes pour un roman, quelle que soit l’envergure de son auteur. Et Dieu sait que Don DeLillo fait ici preuve d’intelligence. Il contourne la difficulté en décrivant à sa manière le chaos, ainsi que l’absurdité de la condition humaine. Car, si tout un chacun est au fait des conséquences évidentes, de par leur médiatisation et la façon dont elles ont marqué les esprits, les causes sont multiples.


L’auteur fait sentir que le chaos ne date pas du 11 septembre 2001. Il fait intervenir de nombreux personnages dans le roman, mais se montre déconcertant dans sa manière de les présenter, de les faire vivre. Les avis que j’ai pu lire mentionnent tous qu’il est difficile d’entrer dans ce roman et c’est également mon ressenti. Le lecteur doit s’accrocher car il est confronté à des bribes de dialogues. Certains passages donnent suffisamment d’informations pour qu’on s’y retrouve à peu près et qu’on perçoive bien les intentions de l’auteur. Las, on enchaine sur d’autres faits, d’autres personnages de manière assez incongrue, avec des dialogues où on doit se contenter d’impressions. Le style est à l’avenant, avec des bouts de dialogues s’intercalant tant bien que mal dans des descriptions, etc.
Alors bien sûr, un certain nombre de personnages reviennent régulièrement, directement ou indirectement, ce qui permet de s’en faire une idée plus précise, même si les liens entre les uns et les autres restent souvent flous. Ce n’est certainement pas un hasard si l’une d’elles s’occupe d’un atelier d’écriture pour patients atteints de la maladie d’Alzheimer. DeLillo évoque de multiples facettes du drame, il va jusqu’à évoquer une rencontre heureuse, conséquence de ce drame.


A la lecture des faits relatés dans le roman, je pense que l’auteur tente, en prenant un peu de recul (les vies des terroristes sont évoquées), de faire comprendre que le gâchis de vies ne se limite pas à l’attentat. Il est constant, avec ces personnes qui passent leurs journées obnubilées par des motivations absurdes, ce qui est présenté dans une sorte de kaléidoscope à tendance schizophrène. Faut-il voir une provocation ou un simple constat quand il fait dire par un des personnages que ces tours étaient faites pour être détruites ?


Le roman évoque l’avant 11 septembre, quelques moments du jour même et l'après 11 septembre, sans oublier de présenter le côté des assaillants. S’il est intelligent, je ne le recommande pas particulièrement, en raison de sa construction : seules des impressions persistent après la lecture. Pour son intelligence, je recommande plutôt Cosmopolis du même DeLillo nettement meilleur que son adaptation cinématographique. Sur le thème du 11 septembre « Extrêmement fort et incroyablement près » de Jonathan Safran Foer est nettement plus original, sensible et marquant.

Electron
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le 15 oct. 2016

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