Ruwen Ogien nous invite dans le monde passionnant de la Philosophie Morale Expérimentale. Livré avec une écriture envoutante et un style des plus accrocheurs, ce livre, qui fait partie de ce domaine si étrange de la philosophie, tient à rappeler que la Philosophie Morale Expérimentale n'est encore qu'un enfant face aux autres domaines de la philosophie. Ogien précise qu'il ne sait pas quelles retombées aura les résultats de ce domaine d'étude, si jamais retombées il y a.
Je pense qu'on oublie trop souvent cette introduction, qui montre clairement que Ruwen Ogien n'est pas un idéaliste (au sens commun du terme), il a conscience des limites de ce qu'il va dire. Ou du moins, c'est ce que l'on peut penser (je nuancerai d'avantage mon propos vis à vis de la seconde partie du livre).

L'ouvrage se veut "une boite à outils intellectuels pour affronter le débat moral sans se laisser intimider par les grands mots et les déclarations de principe". C'est déjà très présomptueux. Cela sous-entend deux choses, soit ce livre suffit à affronter de véritables intellectuels connaissant bien la philosophie morale, auquel cas Ogien a les chevilles qui enflent. Ou bien il nous donne des armes suffisantes pour vaincre les vulgaires amateurs.
Or, dialoguer de philosophie avec des ignares les plus complets qui se repaissent de leur totale ignorance, ce n'est pas forcément des plus glorieux non plus. Convaincre un néophyte ne prouve pas la validité de nos arguments.

Derrière la moralité, discutable donc, de ce livre, nous devons rentrer dans le vif du sujet. Ruwen Ogien réalise trois parties : des dilemmes moraux, des outils de la cuisine philosophique morale et enfin un glossaire. Ce dernier n'étant pas officiellement une troisième partie, mais je le trouve assez complet et bien fait. Ruwen Ogien permet en effet aux néophytes de comprendre avec aisance les bases de la philosophie morale (éthique des vertus, conséquentialisme, déontologisme). Pour le débutant le plus total, c'est une façon claire de découvrir ce nouveau monde surprenant, pour l'amateur éclairé, cela sera une révision de plus appréciable.
Le point fort de ce livre, c'est la somme hallucinante de problèmes moraux qu'Ogien nous offre : dix-neuf ! Et plusieurs ont des variantes. Ha qu'est ce qu'on s'amuse ! Car oui, ils sont souvent assez amusant à imaginer ... Mais, vous aurez noté que je suis passé des "dilemmes" à des "problèmes". Ruwen Ogien pense certainement que le mot "Dilemme" est vendeur, malheureusement un dilemme n'a pas de "bonne réponse", c'est même ça qui le constitue. Parmi les dix-neufs problèmes nombreux sont ceux qui ont une réponse claire et évidente, c'est même cela qui pose un problème, pourquoi choisir une réponse avec une telle aisance ?
C'est très dommageable de vouloir faire croire qu'il s'agit de dilemme quand ce n'est pas le cas, le lecteur pourra se monter la tête face à des vrais dilemmes après, pensant trouver une réponse trop facilement pour véritablement comprendre tout l’enjeu ... du "problème".

Comme je le disais les dix-neufs problèmes sont bien écris, assez amusants aussi. Malheureusement leur intérêt est limité. Certains de ces problèmes s'effacent totalement face à quelqu'un qui connait un minimum la philosophie. Ils sont souvent mal présentés en réalité, Ogien préférant un style facile à lire à une rugueuse précision. Bien souvent donc les problèmes n'en sont pas et c'est facile de les comprendre.
Je me permet de paraphé le problème numéros 13, "On vous a branché un violoniste dans le dos". L'idée est facile à comprendre : un grand violoniste gravement malade vous a été branché dans votre dos, vous immobilisant dans une chambre d’hôpital. Ceci est la seule façon de le sauver car son rein est gravement malade et vous êtes le seul à être compatible avec lui pour ce traitement d'un genre nouveau. Heureusement, cette situation ne durera que 9 mois, après quoi lui et vous serez séparés. Cela a été fait sans votre accord au début, car vous étiez endormi (drogué bien sur), mais maintenant réveillé vous avez le choix : souhaitez vous continuer jusqu'au bout des 9 mois ou préférez vous vous séparer et laisser mourir le violoniste ?
Bien entendu, vous aurez compris que l'idée est de créer un cas similaire à l'avortement. En gros si vous pensez que c'est immoral de laisser mourir le violoniste, alors vous devez trouver immoral l'avortement, et inversement. Cette situation est d'autant plus gênante qu'on sent qu'Ogien est loin d'être un conservateur coincé et qu'il voit en l'avortement une véritable évolution. On sent également qu'il n'est pas coincé et offre plusieurs pistes de réflexion sur ce problème.
Cependant, ce "problème" est facile à résoudre : au bout de 9 mois le violoniste ne sera plus là, il se séparera de mois. A l'inverse, un enfant est la modification ad vitam de la condition d'existence de la mère. La raison, fréquente en tout cas, de l'avortement, n'est pas le refus de la grossesse mais bien le refus de la possession, dans sa vie, d'un enfant à sa charge. Voilà donc (encore) un problème mal posé. Et ce livre en est remplis !

Heureusement, il y a plein de pistes de réflexions, plein de petits problèmes qu'on peut se poser. C'est véritablement passionnant et amusant. De véritables exercices de pensé ! Et puis, il faut le dire, vu la facilité à lire ce livre et son faible prix, c'est un plaisir !
Malgré cela, on peut aussi s'interroger sur l'utilité philosophique de voir les réponses de la majorité des gens. Il n'est pas inutile de se demander en quoi les statistiques peuvent aider la philosophie.
La seconde partie est moins passionnante car moins amusante et montre plusieurs erreurs de pensé. Je me permet d'en parapher une autre. Ogien veut montrer que la règle "devoir implique pouvoir" ne marche pas toujours, il prend donc l'exemple suivant :
Roméo habite à 30km du centre de Rome, il donne rendez-vous jeudi à 16h précise à Juliette, pour manger dans une pizzeria qui est au centre de Rome. Jeudi, Roméo a particulièrement bien mangé le midi, et il fait une sieste. Malheureusement, il ne se réveille qu'à 15h55. Il est donc impossible pour lui de ne pas être à l'heure. Il semblerait donc que selon la règle Juliette ne devrait pas lui en vouloir, pourtant, l'on trouve ça tout à fait normal.
Ruwen Ogien explique que c'est parce que la règle "Devoir implique pouvoir" ne marche pas toujours, qu'elle est ponctuelle (et donc, ce n'est plus une règle). Je me permet de critiquer cela en soulignant que le Devoir est lié à la promesse et qu'au moment où la dite promesse a été formulé, Roméo était dans la capacité à l'exaucer, il en avait le pouvoir. Il l'a toujours eut ce pouvoir. Cette perte de pouvoir (5min pour faire 30km) résulte d'une action libre qu'il a effectué (faire une sieste) et qu'il aurait put éviter de mille et une façon (manger léger le midi, mettre un réveil, etc ...).
J'ai conscience d'ajouter des procédés empirique à cet exemple, mais je veux montrer qu'en réalité, Juliette peut s'énerver et respecter en même temps la règle "Devoir implique pouvoir", je me permet donc de lui donner des arguments moraux pour une future dispute de couple.

Voilà donc ce qu'est ce livre. Quelque chose de facile à lire, d'intéressants, mais remplis d'erreurs facile à voir, où le lecteur prendra un malin plaisir à les décortiquer. A ce demander si le véritable but d'Ogien n'était pas de nous faire réfléchir ainsi.
Je recommanderais donc vivement cet ouvrage pour sa facilité de lecture, ses exemples amusants et les pistes de réflexion que le lecteur peut trouver de son propre chef.
mavhoc
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le 19 juin 2013

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